Le salafisme, lui-même traversé par plusieurs courants, promettrait, selon certains, de faire plonger le monde musulman dans une longue nuit sans Lune. Qu'en est-il réellement ? D'où tient-il ses sources ? Pourquoi les salafistes, qui ont damé le pion aux Frères musulmans ces dernières années, deviennent la principale expression de l'islamisme ? Abderrahmane Moussaoui, anthropologue, a tenté de répondre à ces questions dans une passionnante conférence sur «le salafisme au Maghreb» organisée récemment par l'Institut d'études de stratégie globale (Inseg). Cette tendance de l'islam, qui se réclame du retour des fondamentaux, plonge ses racines dans l'école hanbalite, dans les mouvements de renaissance de l'islam apparus à la fin du XIXe siècle (dont le mouvement des oulémas en Algérie), trouve son prolongement dans la doctrine de Mohammed Ibn Abdelwahab et signa un pacte avec les Ibn Saoud. Les adeptes du salafisme partent du présupposé que l'islam a été altéré et qu'il est temps d'en restaurer la pureté en se rapprochant du temps «béni» des quatre grands califes. Ses apôtres se présentent souvent sans école, mais les chercheurs spécialisés dans la question soulignent les similitudes avec le «hanbalisme», la plus dogmatique et la plus rigoriste des quatre grandes écoles juridiques de l'islam (La hanafia est la plus souple). L'imam hanbalite Ibn Abd El Wahhab, connu pour avoir rigidifié le salafisme en prônant une lecture littérale du Coran et de la Sunna, multipliera les «haram», il ira jusqu'à édicter tous les comportements que doit avoir le bon musulman, de sa tenue vestimentaire aux secrets d'alcôves. «Beni Hanbal va être redécouvert par le réformateur Ibn Taymima qui signera un traité d'unicité», explique Abderrahmane Moussaoui. Cette «unicité» obsessionnellement recherchée sera au cœur des préoccupations de tous les réformateurs qui ambitionnaient, au XIXe siècle, de débarrasser l'islam de la scolastique : Djamel Eddine El Afghani et Mohammed Abdou en Egypte, Mohamed Ibn Badis* en Algérie, vont apporter un vernis moderne à cette doctrine à travers le mouvement réformiste de l'islam. «Auparavant, développe Abderrahmane Moussaoui, il y avait une continuité par la tradition. Ici, la transmission va se faire par le club et la presse à travers les revues El Chihab et El Basair... On va s'emparer de ces outils, comme aujourd'hui via le Net, pour propager l'idéologie et sortir hors des frontières traditionnelles. On s'adresse à une communauté extra-muros». Parallèlement, l'instauration de l'Etat saoudien sur la péninsule arabique apporte un souffle nouveau au salafisme. Dans les années 1960, craignant la menace «baâthiste», les Ibn Saoud choisissent de réactiver le pacte passé avec Mohammed Abdelwahab en 1744. Le royaume met en place un plan pour diffuser sa doctrine et devenir ainsi le «Vatican de l'Islam». «Cela commence, souligne Abderrahmane Moussaoui, par l'ouverture de l'université de Médine que tous les salafistes connaissent, y compris algériens. Trois ans plus tard, ils créeront la Ligue islamique mondiale, puis la Fondation islamique». Dopée à coups de pétrodollars, l'idéologie salafiste se renforcera au fil des ans. Abderrahmane Moussaoui précise : «Les partisans de la salafya aujourd'hui, tous courants confondus, s'inscrivent dans cette longue chaîne. Ils se sont tous abreuvés des sources de Médine et de l'islam wahhabite. Quand un étudiant a fréquenté cette université auprès des plus grands imams saoudiens, il ne manquera pas de le proclamer, car les références sont très importantes. Le fait de les avoir côtoyés fait d'eux des personnes touchées par la grâce». Auparavant perçue comme une mouvance intellectuelle, car ceux qui la pratiquaient étaient des érudits maîtrisant parfaitement le Coran et ses subtilités, la doctrine s'est aujourd'hui démocratisée. * Si de nombreux chercheurs mettent en avant les liens entre le mouvement salafiste et l'Association des ouléma, celle-ci rejette aujourd'hui toute similitude.