Vendredi, 26 juillet 2013. Un communiqué du ministère des Affaires religieuses et des Wakfs «met en garde la société algérienne contre les fatwas promulguées par des Oulémas et imams non algériens», car «pouvant altérer l'intérêt suprême du pays et son intégrité religieuse». Ce n'est pas le premier appel de ce genre. A diverses occasions, le même ministère est sorti de son silence pour demander aux citoyens de ne pas prendre en compte le discours religieux qui n'est pas étiqueté «algérien». Les motifs de ces sorties médiatiques ne sont pas exposés. Cependant, force est de constater qu'au vu du contexte régional et de la situation instable dans des pays du monde arabe, ces types de communiqué sont établis pour contrer les parutions scabreuses de Qaradaoui et autres Aidh El Qarni, qui justifient l'action armée en Syrie, comme ce fut le cas en Libye. Le wahhabisme, djihadisme, salafisme, des concepts idéologiques qui portent atteinte à l'islam authentique. Des prêches intolérants, des discours haineux et des sujets focalisant uniquement sur des détails. 1980, année de l'introduction du wahhabisme La littérature wahhabite s'est introduite en Algérie par divers canaux à partir des années 1980. Tout le monde s'accorde à dire que l'islam maghrébin a, à travers les siècles, été différent de celui pratiqué au Hidjaz et au Nejd. Mais même dans ces parties du monde, l'islam comme appliqué aujourd'hui n'a pas existé. S'il s'inspire grandement des préceptes d'Ahmed Ibn Hanbal, Ibn Theymia, appelé à tort cheikh El Islam, ainsi que d'Ibn El Qayyim, il faut dire que le wahhabisme répond plus à des impératifs politiques que spirituels. Le drame est justement là. Pour revenir brièvement à l'histoire de cette doctrine, qui porte le nom de son penseur et théoricien, Mohamed Ibn Abdelwahab, né en 1703 à Aynia (est de la péninsule arabique), il est à rappeler son alliance au XVIIIe siècle avec l'émir du Nejd, Mohammed Ben Saoud Al Mouqrin. A une période plus proche, trois cheikhs ont été les plus écoutés, les plus suivis, voire vénérés par les disciples de la salafia djihadia, à savoir les cheikh Ibn Baz, El Otheimin et El Albany. Leurs cassettes audio ont été les premiers vecteurs de propagation du discours wahhabite dans le monde dit arabo-musulman. Mais le grand outil de propagation est sans conteste les chaînes satellitaires. Elles sont financées par l'Arabie Saoudite, à l'image d'Iqraa. Cette chaîne a été rendue célèbre grâce aux émissions de l'Egyptien Amr Khaled. Sur Nilesat, une chaîne diffuse H24 les dourouss (leçons) d'El Otheimin. La distribution de livres rédigés par les plus grands maîtres wahhabites, comme Aidh El Qarni ou Salman El Awda, est également un moyen utilisé intensément pour la propagande d'un contenu religieux, qui au final, ne contient d'islamique que le titre des manuscrits. Aujourd'hui, à l'heure du Net, ce sont des milliers de sites web qui sont consultés par une jeunesse avide de savoir. Dans les faits, ils tombent dans un engrenage qui, parfois, les retient prisonniers à vie. A lire certains sites wahhabites, il y a de quoi s'étonner et de s'inquiéter, notamment sur la multiplicité des articles sur le takfirisme. «Des muftis marginaux qui intéressent des jeunes Algériens accros à internet et aux chaînes satellitaires, sans qu'ils ne soient intellectuellement en mesure de vérifier la crédibilité et le sérieux de ces fatwas parfois tout à fait extravagantes», selon l'anthropologue des religions, Zaïm Kenchelaoui, dans un entretien accordé à l'APS. Convertir les locaux au salafisme En Algérie, des cercles wahhabites existent dans plusieurs endroits. Ils sont très prosélytes. Ils portent souvent le sceau de Djamaat Ettablig. Certains d'entre eux organisent des «rahalat» (tournées). Ils sillonnent des villages et autres bourgades. Leur discours s'articule plus autour de la lutte contre les hérésies, la sorcellerie et l'abandon du culte des marabouts. Mais le contenu est loin d'être de jurisprudence malékite. Ce qui crée souvent une rupture de contact entre les mosquées locales, dont des zaouïas, et les nouveaux convertis au wahhabisme. «Le rite en vogue chez de larges franges de notre jeunesse aujourd'hui semble être le rite hanbalite dû à la propagande qui vient du Golfe persique et lors du pèlerinage à La Mecque», explique encore le Dr Kenchelaoui. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, au moment où les autorités algériennes adressent des messages pour contrer le discours wahhabite, il s'avère que la plupart des mosquées algéroises sont gérées par des imams salafistes. Ces derniers sont «acquis à certaines interprétations extrémistes de l'islam», déplore l'anthropologue des religions. Dans leurs prêches du vendredi, Ibn Theymia remplace plus d'une fois le Prophète Mohamed comme référence ! Durant ce mois de Ramadhan, des organes de presse ont consacré des pages thématiques religieuses en reproduisant des fatwas wahhabites. Les autorités excellent dans la contradiction. Sinon, comment expliquer qu'à l'université islamique de Kharrouba, un enseignant continue à activer alors qu'il est connu pour être le 1er cheikh wahhabite algérien qui a obtenu la tazkia (mandat) de la part de prédicateurs saoudiens. En réalité, aucune mesure concrète n'est prise pour stopper le fléau, ou du moins l'atténuer. La Coordination des imams propose la création d'une institution de la fatwa. Là aussi, reste à savoir si elle serait indépendante du régime. L'exemple d'Al Azhar en dit long. L'institution est ligotée par le pouvoir égyptien, allant jusqu'à nommer par décret son responsable. Des savants algériens qui portent en eux et qui défendent les valeurs universelles de paix et d'humanisme, d'amour et de tolérance, du vivre ensemble et de pardon existent dans notre pays. On peut citer des sommités, comme cheikh Tahar Aït Aldjat ou Mohamed Lekhal Chorfa. Mais les pouvoirs publics préfèrent idolâtrer d'autres profils, venus d'horizons extérieurs. Qui ne se souvient pas des invitations lancées par Abdelaziz Bouteflika à Qaradaoui, ce prédicateur du feu et de la violence, du terrorisme et de la fitna. Pour vérifier concrètement l'invasion de la culture wahhabite, il devient aujourd'hui difficile de trouver un récitateur de Coran ayant le «style algérien», ou plus précisément en andalou-maghrébin. D'ailleurs, même l'adhan, l'appel à la prière, en style local n'est plus audible. Il a disparu. Plus qu'une menace politique sur notre culture, le wahhabisme travestit le vrai message divin de l'islam. Il suffit de consulter le livre du propre frère de Mohamed Ibn Abdelwahab, en l'occurrence Sulaiman Ibn Abdelwahab. L'ouvrage intitulé Al Sawa'iq Al Ilahiyyah est explicite quant à la dangerosité de la doctrine wahhabite qui veut s'ériger présentement en 5e école (madhab). «Et aujourd'hui, nous voilà affligés par ceux qui s'associent au Coran et à la Sunna, ceux qui prétendent élaborer des règles à partir de ces sources, alors qu'ils font fi des avis divergents des savants et refusent le dialogue avec ces hommes de science. Mais le pire, c'est qu'ils imposent aux autres leurs propres règles, qualifiant quiconque ne suivant pas leur voie de kafir», avertissait Sulaiman.