Cette stèle a été conçue, sculptée et posée par l'artiste Djamel Chadli. Le Kef (K en lettre arabe) en mouvement est tracé par un calame du mausolée sur un livre asymétrique pour dire les douleurs de l'auteur dans son terrible accouchement ! C'est aussi le «kef» ou le pic rocheux Kef Sayeh, au bas duquel au tout début de la colonisation, furent jetés les corps de deux Français, ce qui sera le prétexte, le prélude au massacre des mâles de la tribu. «De l'autre côté, vous avez la forme de l'aigle ou du vautour, propriétaire des lieux, qui tuera deux jeunes filles, incarnation de l'ancêtre fondateur de la tribu. Le soleil de l'après-midi en fait l'ombre d'une étoile, Nedjma !», dira-t-il. Cette forme étoilée repose sur une tablette avec des motifs romains, car il y a les restes d'une cité ou ferme romaine, enfouis sous terre. La stèle et la tablette se tiennent sur un socle circulaire composé de 15 piliers, c'est-à-dire autant de fractions de la tribu des Béni Keblout. Mais lors de notre visite en ce mois de mars, nous découvrons avec tristesse que les colonnes et la tablette romaine avaient été dégradées et réhabilitées… avec du béton ! La stèle est d'une hauteur d'environ 3 mètres. Dans le socle, l'artiste y a caché un poème pris au hasard et arraché du recueil Soliloques. Lequel ? Il ne le sait pas. Le monument a été taillé dans un bloc de granit, ramené de Kef Laâkas, un pic rocheux se trouvant à plus de 20 km de Aïn Ghrour, sur la route de Sedrata, lieux si chers à Kateb Yacine. «Il avait une plume subtile et lustrale, je devais sculpter la pierre au burin, évitant ainsi la facilité de réaliser une stèle en béton et en ferraille», ajoutera-t-il. Magnifique ! Mais qui est Djamel Chadli ? La soixantaine bien tassée, il a à son actif plus de 40 ans de travail sur la pierre et le bois. Ses sculptures, telles «Mère», «Femme voilée», «Femme soumise» sont façonnées dans la tendresse, voire, pour certaines, dans la sensualité, le tout décline un impressionnisme qui laisse songeurs plus d'un. Tout est courbes et rondeurs, allant bien au-delà de la forme. Bien sûr, comme tout esthète accompli, il a touché à tout durant une bonne période de sa vie, et n'en continue pas moins à l'occasion de le faire, la peinture, la céramique et la musique (le groupe Calama). Mais, à aucun moment, il ne lâchera le marteau et le burin. Il dira : «Une masse de pierre, un tronc d'arbre et je m'éclate dans mon travail, j'en fais des mouvements et j'y trouve un, des échos, un répondant à mes questionnements. Quand je sculpte, je me sens moi-même, j'existe, comme dirait l'autre. Je ne fais pas de croquis, tout est dans ma tête, je cogite, parfois très longtemps, puis je trouve, j'efface puis je recompose, toujours dans ma tête.»Personnifiant ses chantiers, Il leur donne des noms, Sébastien, Kathy, Aïcha… La douceur du nom correspond à celle de la création, quand c'est tendre, la dénomination doit en refléter le sentiment, selon la consonance, et quand c'est hard, un nom comme le monstre, le vampire, lui sied à merveille, pour surtout le travail de la pierre, où souvent il y a du sang… «Mais, quand même, un travail sur du bois, Aïcha m'a blessé, m'a causé des égratignures, je vais la bouder», confiera-t-il. C'est le scoutisme qui lui a fait aimer le bois. Il nous rappelle ceci : «Le scout aime la nature et voit dans la nature la puissance de Dieu.» Pour faire du feu, il faut chercher du bois mort, il ne faut pas couper une branche d'un arbre. Enfant, avec la lame dite «bateau » de l'époque, il commençait à ciseler des formes. La pierre, c'était son père, qui était maçon qualifié, mais aussi, au besoin, tailleur de pierres et fabricant de rosaces. Un jour, alors qu'il n'avait pas encore 10 ans, au chantier, il prend le marteau et le burin de son père et se met à taper sur un galet. «Que fais-tu, mon fils ?» Il voulait faire un visage comme au jardin public et épigraphique de Guelma de cette époque. Son père réplique : «Non mon fils, pas ce sédiment, il y a des pierres plus nobles, comme le marbre, le granit…» Au lycée, c'est l'initiation aux techniques du dessin. A l'ITA de Mostaganem, il avait choisi la spécialité avant le tronc commun : l'arboriculture fruitière. C'était son rêve depuis le scoutisme. «Plus tard, je gérais une ferme arboricole, un cadre merveilleux, des plus agréables, je me suis retrouvé comme un poisson dans l'eau, le bois, le marbre (une usine à côté) et le granit», dira-t-il. Maintenant, il en est à l'os bovin, le fémur et l'omoplate, il le fait revivre.