Jamais depuis son arrivée au pouvoir, en 1999, Abdelaziz Bouteflika n'a usé d'un ton aussi violent et belliqueux envers l'opposition et la presse indépendante. Qui plus est dans un discours censé être élaboré pour célébrer une date historique autour de laquelle s'unit toute la nation. Dans ce message envoyé à l'occasion de la célébration du 19 Mars, Abdelaziz Bouteflika accuse les opposants de pratiquer la politique de la «terre brûlée», en référence aux pratiques du colonialisme. Et la comparaison avec cette période funeste de l'histoire du pays ne s'arrête pas là. Le chef de l'Etat relève que ces opposants veulent «arriver au pouvoir» même «en mettant notre Etat en ruine et en marchant sur les cadavres des enfants de notre peuple». Le ton est violent, sec et menaçant. «De pseudo hommes politiques, soutenus par une presse qui n'a aucun souci de son éthique professionnelle, s'évertuent, matin et soir, à effrayer et démoraliser ce peuple, à saper sa confiance dans le présent et l'avenir. Ce peuple qui n'a pas accordé et n'accordera pas de crédit à leurs sornettes.» Rien de moins. L'opposition est donc avertie à la fois de la colère présidentielle, mais aussi de l'estime que lui porte le Président de tous les Algériens. La presse, pour sa part, celle qui a donc le tort de «soutenir» cette opposition, commet en le faisant des écarts condamnables à l'éthique et la déontologie. Abdelaziz Bouteflika, dont le discours a été lu par un de ses conseillers à Ghardaïa, a donc choisi la confrontation et l'accusation directe. Il annonce à ses opposants que l'Etat, confondu à l'occasion avec le pouvoir, s'apprête à prendre des mesures à leur encontre et promet la «rigueur» ce faisant. «un surcroît de fermerté et de rigueur» Alors qu'il a toujours prôné «la liberté d'expression», le chef de l'Etat sort la rhétorique guerrière et met en garde les opposants. La situation «nous met dans l'extrême obligation d'user d'un surcroît de fermeté et de rigueur pour défendre l'Etat. C'est un devoir constitutionnel, légal, légitime et moral qui ne peut souffrir ni report ni dérobade», a-t-il fulminé. L'attaque ne s'arrête pas là. Abdelaziz Bouteflika prend le peuple à témoin et rappelle que «d'aucuns sont, hélas, nombreux à se laisser aller, pour des motifs futiles, à commettre des actes de vilenie morale et d'incivilité totalement incompatibles avec les fondements et les constituants d'une citoyenneté authentique et responsable». Le message de Bouteflika s'adresse ici, sans ambages, à l'opposition qui s'organise de plus en plus. La «fusion», réussie dernièrement, des partis et des hommes politiques avec le mouvement de protestation d'In Salah ne serait pas étrangère au courroux mal contenu du chef de l'Etat. Il sort un discours jamais employé, en tout cas trop rarement par le passé contre ceux qui n'adhèrent pas à ses choix politiques. La menace n'est plus voilée, elle est directe. Elle annonce d'autres tours de vis qui pourront s'opérer, dans les prochains jours, sur l'activité politique nationale. Les restrictions contre l'opposition sont déjà à l'œuvre depuis des années. Des activités de certains partis politiques ont été interdites et des autorisations d'activités publiques refusées. Mais ce qui va venir, à se fier au contenu du discours, s'annonce encore plus dur. Comment le pouvoir compte-il procéder ? On ne le sait pas encore. Dans le même discours, la presse également a eu sa part de menaces. La profession, elle aussi, connaît déjà les affres de cette nouvelle politique belliqueuse du pouvoir mais doit à son tour s'attendre à ce que s'abattent de nouvelles restrictions. Les rares journaux qui gardent encore leur indépendance souffrent déjà de pressions en tous genres qu'exerce le pouvoir. A commencer par les pressions de plus en plus assumées sur les annonceurs privés en vue de les amener à boycotter certains journaux. Tandis que le 19 Mars 1962 est synonyme de cessez-le-feu mettant fin à la guerre d'indépendance, celui de cette année est le début d'une nouvelle guerre. Celle qui verra le pouvoir personnel de Bouteflika déclarer la guerre aux rares voix qui s'élèvent contre lui.