Chercheurs, associations écologiques ou simples citoyens n'ont de cesse d'alerter sur la pollution qui gangrène insidieusement la zone humide de Réghaïa et la mise en danger du lac éponyme par les rejets «sauvages», notamment les effluents d'origine industrielle qui s'y déversent. Mais, fort heureusement, des filtres existent, incarnés par les stations d'épuration des eaux usées (communément appelées STEP), véritables usines de dépollution qui empêchent que les relents nocifs de nos ventres urbains et autres éructations industrielles ne se répandent à l'état brut dans le milieu naturel. Et pour le territoire qui nous intéresse, ce rôle de sentinelle environnementale est consciencieusement rempli par la station d'épuration de Réghaïa. Erigée sur les berges du lac, cette station traite plus de 60 000 mètres cubes d'eaux usées par jour, et veille à ce que les eaux déversées dans le lac après traitement soient «clean». La station d'épuration de Réghaïa est l'une des stations gérées par la Société des eaux et de l'assainissement d'Alger (Seaal) au niveau de son périmètre d'intervention, à savoir les wilayas d'Alger et de Tipasa. La STEP couvre sept communes d'Alger-Est (dont celles de Rouiba, Réghaïa, Bordj El Bahri, Aïn Taya). Sa capacité nominale est de 80 000 mètres cubes/jour, soit 400 000 équivalent-habitant. «Vous allez pouvoir juger par vous-mêmes de la qualité de l'eau rejetée dans le lac après traitement», lancent nos hôtes de la station d'épuration de Réghaïa en nous invitant à enfiler la tenue réglementaire d'usage (casque, gilet orange fluo et chaussures de chantier) pour une visite guidée. Des bactéries pour éliminer les polluants chimiques Les eaux usées viennent via un inextricable réseau de canalisations souterraines. Une fois arrivés à la station, les effluents passent par plusieurs étapes de traitement. Pour commencer, les eaux réceptionnées subissent un traitement dit «primaire». Elles passent d'abord par un «dégrilleur» pour enlever tout les déchets solides. Elles transitent ensuite par un désableur, un déshuileur et un dégraisseur pour supprimer les sables, les huiles et les graisses. On entre ensuite dans la partie fine du process : le traitement biologique. Objectif : débarrasser les eaux usées de tout ce qui est composants chimiques et organiques. Une séquence d'autant plus délicate que la station a hérité des rejets de la zone industrielle de Rouiba-Réghaïa. «On a pratiquement 60% de rejets urbains et 40% de rejets industriels», indique Mohamed Aidat, directeur adjoint à la direction assainissement de la Seaal. Le traitement biologique est basé sur le procédé dit de la «boue activée». Ce sont des boues «biologiques» pleines de micro-organismes qui se nourrissent de polluants. Les eaux sont alors transférées vers des «bassins d'aération» pour un traitement secondaire. A ce stade, des bactéries se chargent d'éliminer la pollution carbonée, azotée ainsi que les phosphores. Les eaux passent ensuite dans un «clarificateur» pour séparer les eaux traitées des boues résiduelles. Ultime précaution : les eaux subissent un traitement tertiaire, avec une filtration sur sable. Au terme de cette dernière opération, elles peuvent être tranquillement rejetées dans le milieu naturel, voire être réutilisées au niveau de la STEP. «D'ailleurs, nous l'utilisons volontiers pour arroser nos espaces verts et pour le lavage des centrifugeuses», confie Samir Djender, le sémillant chef de centre. Le moins que l'on puisse dire est que le liquide qui sort, en bout de chaîne, est clair comme de l'eau de roche et donnerait presque envie de le boire. Pour ce qui est de l'action de la station d'épuration vis-à-vis du lac, ce qui ressort de nos entretiens, au demeurant fort instructifs, avec les cadres de la station, est que la STEP de Réghaïa «n'est pas responsable du suivi de la qualité du lac. Elle est seulement un des acteurs de l'amélioration de la qualité de ses eaux». L'effet nocif des rejets industriels «Nous, notre responsabilité s'arrête à la sortie de l'eau (traitée, ndlr) conformément aux normes de rejet de la station d'épuration. Nous ne sommes pas responsables de ce qui arrive via les oueds», résume Mohamed Aidat. Samir Djender abonde dans le même sens : «On ne fait pas de prélèvement de l'eau du lac. Cela ne relève ni de nos compétences ni de celles de la Seaal.» Comprendre : la station d'épuration traite les eaux usées et les rejets industriels qui lui sont «confiés» via les canalisations dûment raccordées au réseau d'assainissement. Tout ce qui n'est pas raccordé aux collecteurs échoue directement et «clandestinement» dans la nature. «La station de Réghaïa est la plus stricte en termes de seuil limite des rejets en sortie. Comme on est dans une zone humide et sur un site protégé, on se doit d'être plus performant par rapport aux autres stations», souligne Saïd Hammouni, responsable d'exploitation. Qui des rejets industriels ? Et quel est leur impact sur le bon fonctionnement de la station ? «La mauvaise qualité de ces rejets industriels risque de mettre en difficulté la station d'épuration de Réghaïa», faisait remarquer le directeur des ressources en eau de la wilaya d'Alger, Smaïn Amirouche, à l'APS (dépêche du 4 mars 2014), avant d'ajouter : «Cette station utilise le système de boue activée, à base de bactéries, dans le processus d'épuration. Les produits toxiques chimiques tuent les bactéries, cela veut dire que la station s'arrête.» Ce que confirment nos interlocuteurs. «Ce qui risque de nous perturber, c'est l'augmentation des concentrations (de substances chimiques, ndlr) quand il y a des industriels qui rejettent en nombre», observe le chef de centre. La STEP est équipée d'un laboratoire qui analyse les flux à l'entrée et à la sortie du site. «Nous avons des normes de conformité à respecter et nos laboratoires y veillent scrupuleusement. La Seaal est certifiée ISO 9001», insiste M. Aidat.Si la STEP n'est pas en mesure de se prononcer sur le niveau de pollution du lac, en revanche nous apprenons qu'une étude est en cours pour évaluer ces rejets critiques. «Il y a une étude qui est lancée pour recenser ces rejets industriels et surtout proposer des solutions», dit M. Djender. Mohamed Aidat développe : «Dans la logique des choses, chaque industrie est censée être dotée de son système de prétraitement. Il y a un travail qui est en train de se faire pour voir comment accompagner les industriels. Il y a ceux qui ont déjà une station de prétraitement et d'autres à qui l'on pourrait proposer tel ou tel type de station.» Un frigo dans un collecteur Le chef de centre attire notre attention sur un autre aspect : le travail effectué en amont au niveau des collecteurs afin d'assurer un meilleur acheminement des eaux usées vers les STEP. «C'est ce qu'on appelle le curage des réseaux d'assainissement. Annuellement, nous curons 20% du linéaire total du réseau. Nous avons plus de 3500 km de réseau au niveau de la wilaya d'Alger, dont 150 km de réseau visitable», assure-t-il. Evoquant ces «réseaux visitables» (plus de 1,5 m de diamètre), Mohamed Aidat indique : «Certains sont de véritables chefs-d'œuvre.» «Il y a toute une ville souterraine dont les gens ne se doutent même pas. Beaucoup continuent à penser que les égouts sont déversés directement dans la mer». M. Aidat déplore le manque de civisme de certains usagers : «On jette de tout dans les collecteurs. Des choses que vous ne pouvez même pas imaginer. Une fois, nous avons même trouvé un réfrigérateur dans un collecteur !» Pour endiguer l'ensemble des rejets illicites susceptibles de nuire aux différents écosystèmes de la zone humide de Réghaïa, une solution s'impose : l'optimisation des raccordements aux réseaux d'assainissement. «Sur tout le territoire de la wilaya d'Alger, il y a toujours quelques rejets urbains qui sont déversés directement dans le milieu naturel. On a réalisé, en 2011, le Schéma directeur d'assainissement (SDA) de la wilaya d'Alger en coordination avec la direction des ressources en eau. Ce schéma directeur prévoit tous les investissements à faire à l'échéance 2025 pour la prise en charge de tous ces rejets et les envoyer vers les STEP. Il propose le redimensionnement du réseau, l'augmentation de la capacité de traitement des stations d'épuration, des stations de relevage et aussi des extensions du réseau. Donc, ce schéma prendra en charge tous ces rejets-là», souligne M. Djender. La capacité de la STEP de Réghaïa est appelée ainsi à doubler pour atteindre les 800 000 équivalent-habitant, indique M. Djender, tandis que celle de Baraki avoisinera les 3,6 millions équivalent-habitant pour devenir la plus grande station d'épuration du pays.