«Constantine, capitale de la culture arabe 2015» entre en action, mais sur les 70 équipements prévus à cet effet, seuls quelques-uns ont été réceptionnés. Dans quelques heures, le rideau se lèvera sur l'événement culturel de l'année, «Constantine, capitale de la culture arabe 2015». Le compte à rebours est enclenché et nul ne peut le stopper. La ville retient son souffle et appréhende une manifestation préparée sur les chapeaux de roues. Les officiels, derrière leur discours de façade, reconnaissent à demi-mot un timing non maîtrisé et des projets à la traîne. Des 70 projets en perspective, seuls quelques-uns ont été réceptionnés et feront l'objet, aujourd'hui, d'une inauguration par le Premier ministre, Abdelmalek Sellal. En somme, les activités de l'événement auront pour théâtre exclusivement la salle de spectacle de 3000 places, réalisée en une année, une prouesse assurée par un maître d'œuvre chinois. Ce qui n'est pas le cas pour l'hôtel Marriott qui ouvrira ses portes le temps du lancement des festivités ; il ne sera fonctionnel que dans quelques mois. D'autres projets – le centre des expositions, le musée et la maison de l'artisanat, entre autres – sont renvoyés aux calendes grecques. Et dire que la ministre de la Culture, Nadia Labidi, insistait, lors de son intervention, dimanche dernier sur les ondes de la Chaîne III, sur le fait que «tout est prêt pour le jour J». Vraisemblablement, la première responsable du secteur ne s'est pas promenée, ces derniers jours, dans les quartiers de Constantine ; sinon, elle se serait rendu compte de l'évidence : une cité en chantier, sale et peu encline à la fête. A quelques heures du coup d'envoi de la manifestation, Constantine est quadrillée par un dispositif sécuritaire impressionnant. Les corps constitués ont mobilisé 5000 gendarmes pour sécuriser les lieux et les personnes. Pas moins de 300 caméras de surveillance ont été disséminées à travers la ville, dont l'état n'est pas reluisant. La levée des chantiers ouverts dans tous les coins est à la traîne, voire même abandonnée, comme c'est le cas boulevard Belouizdad (ex-Saint-Jean). Cette opération de réhabilitation de 350 immeubles, qui a consommé la modique somme de 3 milliards de dinars, est loin d'être un succès. Entre quelques travaux de rafistolage et de badigeonnage, six mois se sont écoulés sans que le projet soit bouclé. Cette artère principale, la vitrine de la ville, est laissée à son sort : chaussée défoncée et traces indélébiles des échafaudages qui trônent encore ça et là. Plus le temps de bricoler quoi que ce soit ; les rotations 3x8h ont montré leurs limites en l'absence de renforts en main-d'œuvre et en matériel. «Les vestiges de ces chantiers prouveront que la ville est en mouvement», a laissé entendre le wali, Hocine Ouadah, entre deux remontrances à l'adresse des élus locaux. A défaut de justifier un retard cumulé dans tous les chantiers, le premier magistrat de la wilaya tente de tirer avantage d'une situation des plus inconfortables. Une véritable course contre la montre à laquelle les autorités locales se sont livrées ces deux derniers mois, mais «rien ne sert de courir, il faut partir à point», disait La Fontaine. Le retard accusé dans les programmes de réalisation et de réhabilitation s'est révélé irrattrapable. La gestion hasardeuse a finalement eu raison de plusieurs projets, quand bien même la passation de marchés s'est faite de gré à gré. Aujourd'hui, Constantine est bigarrée telle une maison pittoresque avec le charme en moins. Les tonnes de peinture englouties dans le ravalement des façades n'ont pas réussi à camoufler le délabrement de son parc immobilier voué depuis des décennies à une clochardisation alors qu'elle mérite une destinée à la hauteur de son histoire. Constantine, doublement millénaire, a besoin de relever l'échine et préserver son prestige par une manifestation qui rend justice à sa dimension multiple, dont celle berbère. Cirta la Numide, patrie de Massinissa et Youghourta, s'est-elle effacée devant ce flot d'activités qui l'ampute d'un pan de son identité, à telle enseigne que des artistes – dont Idir et Aït Menguellet (qui a passé son service militaire en 1974 à Constantine) – ont opté pour le boycott de l'événement ? Pour laver cet affront, la ministre de la Culture a insisté, dans ses récentes déclarations, sur la mise en avant, durant la manifestation, de la dimension amazighe de la capitale de l'Est. Le logement pour gâcher la fête Et des affronts tout comme les couacs, il y en a eu. Le dernier en date est la statue en pierre, dressée à la place de la brèche, à l'effigie de Abdelhamid Ben Badis. Une véritable atteinte à la stature du père des réformateurs. Quant à la revue Maqam, une publication circonstancielle, hormis la qualité artistique des photographies, son contenu ne mérite pas qu'on s'y attarde. «Vous allez être éblouis lors de l'ouverture des festivités», a récemment déclaré à El Watan le commissaire de l'événement, Samy Bencheikh El Hocine. Mais la ville a du mal à croire à ces effets d'annonce distillés par les officiels et les organisateurs. Le programme communiqué à la presse pour une période de trois mois comporte quelques activités intéressantes, mais faut-il encore qu'elles captivent une population dubitative, dont une partie non négligeable fait quasi quotidiennement le pied de grue sur le boulevard Kennedy devant le cabinet du wali ; ce sont les souscripteurs aux programmes de logement AADL et Cnep-Immo ou encore les demandeurs de logements sociaux en attente d'une hypothétique attribution qu'on leur a promise avant le mois de mars… écoulé. Rejoints par les habitants des bidonvilles et d'autres strates de la société, ils ont la ferme intention de manifester en parallèle de l'événement officiel, ce qui risque de gâcher la fête. Une fête qui, au départ, devait coûter 10 milliards de dinars. Le blanc-seing signé aux organisateurs a finalement était annulé par le Premier ministre en raison de la chute des cours du pétrole. Abdelmalek Sellal concédera moins d'argent à l'événement. Constantine, capitale de la culture arabe, une naissance au forceps qui engloutira 7 milliards de dinars dont 4 seulement ont été, pour l'heure, débloqués.