Nidam Abdi, ancien journaliste à Libération et fin connaisseur de la musique raï et de son univers, tente d'apporter un éclairage nouveau sur l'affaire de plagiat dont s'est rendu coupable Khaled avec la chanson Didi. - Comment expliquez-vous que cette affaire de plagiat sorte 23 ans après la commercialisation de la chanson Didi ? Cela démontre le manque de sérieux, côté algérien comme français, de tous ceux qui ont participé au succès musical international du raï via les interprètes Khaled et Mami. Durant les années 1980, lorsque le raï est arrivé en France, par appât du gain et au regard de la multiplication des modes de diffusion, (radios libres, cassettes vidéo et chaînes de TV), les interprètes français avaient commencé à composer et écrire eux-mêmes les œuvres pour capter les droits d'auteur. Mami et Khaled se sont accommodés de ces habitudes sans être d'authentiques auteurs-compositeurs. Alors que des producteurs indépendants, à l'exemple de Michel Levy pour Mami et Martin Meissonnier pour Khaled, ont tenté de faire respecter les formes des métiers de la chanson. En vain, rapidement les majors du disque en ont pris le relais vers 1989 et ont poussé Khaled et Mami à s'inscrire à la Sacem comme auteurs-compositeurs avec les titres qu'ils interprétaient. Cela permettait aux filiales «publishing» de ces majors de capter les droits d'édition à l'international du répertoire raï. - Pensez-vous qu'il y a manipulation dans cette affaire ? Si oui, pour quelles raisons ? Durant l'été de 1988, à Oran, on ne parlait pas de cheb Rabah, mais aussi de Abdelhak et son interprétation réussi de Diri Mah wa mah. Dans le studio de Maghni, les faubourgs d'Oran et les cabarets de la Corniche oranaise, cheb Rabah était inconnu. A Barbès, c'est le producteur Bouarfa qui a sorti sous son label Sedicav la cassette de cheb Abdelhak. Il est vrai que Khaled n'a jamais été sérieux sur les questions de ses droits d'auteur, mais lorsqu'en 2006 la Sacem lui fait l'honneur d'une projection du film Indigènes pour sa participation à la musique du long métrage, puis en 2014 l'ONDA le reçoit en grande pompe pour son combat contre le piratage. Il y a un doute sur le procès de plagiat, surtout que la société d'auteur semble accorder les droits uniquement liés à la musique à cheb Rabah. - Il semble que l'actuel avocat de cheb Rabah était aussi l'avocat du syndicat des majors (dont Universal). Pouvez-vous confirmer cette information ? Il n'y a pas d'erreur déontologique à ce que ce soit maître Guilloux qui défende cheb Rabah, mais la question morale se pose lorsque l'avocat dans ses déclarations à la presse met en cause la carrière internationale de Khaled sur le seul titre Didi. Ce dernier a été enregistré en 1991 aux Etats-Unis par Barclay, alors que maître Guilloux venait d'être directeur juridique de la la société civile des producteurs phonographiques (Scpp) qui représente pour leurs droits les majors du disque qui ne voyaient pas d'un mauvais œil que Khaled signe la chanson à son nom. Ensuite, maître Guilloux a été un dirigeant des maisons de disque Sony France, puis BMG qui, de manière surprenante après leur fusion en 2005, se trouvent aujourd'hui avec Khaled au banc des accusés pour avoir hérité des droits d'édition de Didi après l'absorption de la maison anglaise Virgin Music en 2013. Enfin, avant de devenir avocat en 1999, maître Guilloux fut directeur adjoint de la SDRM, la filiale des sociétés d'auteur qui perçoit l'argent des droits mécaniques et en l'occurrence ceux générés par Didi. Il faut savoir qu'en France, au regard de nombre de cafés et commerces détenus par des Algériens, le raï et les musiques algériennes ont généré beaucoup de droits récoltés par la Sacem. - Si oui, ne pensez-vous pas que l'affaire du plagiat de Khaled a été créée de toutes pièces ? La réponse se trouve à Alger au siège de l'ONDA. La société d'auteur a-t-elle géré d'une manière rigoureuse depuis l'avènement du raï les différents droits liés à la création et commercialisation d'une œuvre ? Par ailleurs, cheb Rabah détient aussi des vérités. Notamment celle très rare pour un cheb d'avoir été choriste de Mami au moment où ce dernier connaissait les sommets de la renommée.