Miloud Chorfi, le nouveau patron de l'Autorité de régulation de l'audiovisuel, vient à propos nous rappeler que la parodie médiatique reste interdite en Algérie. Un tabou à bannir pour les effets qu'il provoque… et qui, il faut le croire, sont souvent dévastateurs. En adressant une sévère mise en garde à la chaîne privée El Djazaïria pour les critiques caustiques de son émission «Week-end» contre les gens du pouvoir et les symboles de l'Etat, il confirme en tout cas que l'humour journalistique, forme d'expression universellement reconnue, est non seulement intolérable dans une société comme la nôtre qui tient à son conformisme comme on tiendrait à la prunelle de ses yeux, mais aussi condamnable puisque des sanctions sont prévues à cet effet. Première sortie sur le terrain après une longue somnolence, et premier coup de semonce contre «le persiflage» considéré désormais comme un délit professionnel, surtout quand il est dirigé contre la sphère officielle. Il ne faut donc pas s'amuser à égratigner la respectabilité des gouvernants, même si les dérives de ces derniers constituent des cibles privilégiées pour la caricature. «Week-end», qui a certainement son propre public en se livrant à un mode de communication qui est loin d'être une exception dans le monde de la presse, et qui par-dessus toute contingence professionnelle, a tenu à entretenir une liberté d'expression qui ne saurait être assimilée à de l'outrage ou à de la diffamation, est en fait le prototype même des émissions qui font beaucoup de mal au système parce qu'elles ont cette capacité à éveiller, par la satire et le rire corrosif, les consciences sur les vérités que les dirigeants essayent de cacher. Comme un talentueux dessin de Dilem par exemple qui dit d'un trait ce que représente un sujet grave sur lequel il faut méditer, la parodie médiatique à la télévision est devenue de nos jours un redoutable agitateur d'idées qui détruit au passage tous les a priori et les concepts moralisants du politiquement correct. Très nouveau chez nous, depuis en fait la naissance des nouvelles télévisions privées, ce type d'expression semble aujourd'hui à la croisée des chemins et même sérieusement menacé après des tentatives plus ou moins concluantes, comme celle qui a fait les beaux jours de la même Djazaïria durant le mois de Ramadhan (le journal satirique) avant de retomber dans le silence. Il risque de surcroît de ne plus réapparaître sur nos écrans après cette intervention pour le moins inopportune de Miloud Chorfi, que beaucoup assimilent non pas à une mesure prise pour faire respecter les critères d'éthique et de déontologie, mais à une véritable et scandaleuse opération de verrouillage du champ médiatique pour protéger les pontes du régime contre les critiques. C'est, nous disent les spécialistes de l'audiovisuel, une forme de censure d'abord «sélective» puisqu'elle ne touche pas les vraies dérives qui sont beaucoup plus graves et dangereuses, ensuite qui n'avance pas à visage découvert mais qui une fois mise en pratique se fera un devoir de laminer sans coup férir un espace de liberté qui croyait avoir trouvé le bon tempo pour vivre longtemps et aider la société à s'émanciper à travers le rire corrosif et rédempteur. Le rire objecteur de consciences, anti-hogra, anti-corruption, contre l'incompétence, la complaisance, les malversations, le rire anti-système dans toute sa panoplie, voilà en tous cas les ingrédients majeurs de l'émission-culte de la chaîne El Magharibia «Ouach kalou fi djornan» qui, chaque semaine, fait le bonheur de son public. Après trois mois d'absence, cette émission à classer parmi les parodies télévisuelles qui font de l'audience, grâce aussi au talent de son animateur-comédien Ghani Mehdi, est revenue avec encore plus d'à-propos pour mettre à nu les dérives du système Bouteflika qui mène l'Algérie à la ruine. Tout y passe avec images vidéo du jour à l'appui, bureaucratie, corruption, inculture, injustice, gaspillage… Avec «Ouach kalou fi djornan», une revue de presse satirique et donc très singulière, le moindre mal fait à l'Algérie est dénoncé avec une perspicacité foudroyante. Le ton est certes sarcastique, mais toujours braqué contre les voleurs, les menteurs, les mafieux qui déchirent le pays. Adossée à l'œil vigilant des internautes, nombreux à participer avec leurs films et photos pour faire éclater la vérité, l'émission s'est fait une solide réputation de rempart contre les faux dévots qui gouvernent l'Algérie, avec bien sûr cette volonté affichée de les confronter avec leurs mensonges et leurs bêtises. Si «Week-end» qui vient de subir les foudres de l'ARAV participe, avec des nuances, au même concept de communication, il reste qu'entre elle et l'émission phare d'El Magharibia il y a une différence de taille : le statut de l'indépendance qui ne doit rien au régime. Ainsi, Miloud Chorfi aura toute la faculté de sermonner l'ensemble des télés privées tributaires de l'autorisation du gouvernement, il ne pourra jamais avoir une quelconque prise sur la page de Ghani Mehdi qui visiblement le rend très vulnérable en raison de sa popularité. Conçue pour mettre en conformité les nouvelles chaînes avec la loi algérienne, l'autorité de régulation a commencé sa mission avec un écart de diversion qui en dit long sur les visées du gouvernement, à savoir prôner la censure par l'intimidation sur les sujets superficiels en évitant d'affronter ceux qui dérangent, comme bien sûr les dérives intégristes qui fleurissent sur certaines télés bien connues mais qui semblent intouchables. La censure orientée et ciblée pour dominer le paysage médiatique, exactement comme c'est le cas avec le projet sur la publicité concocté par le ministère de la communication qui nous annonce un monopole encore plus dur de l'Etat sur un secteur stratégique d'étouffement de la liberté d'expression.