Deux programmes satiriques télévisuels font beaucoup parler d'eux. Cela ressemble un peu — toutes proportions gardées — aux «Guignols» de Canal+, mais avec un style et un humour typiquement à l'algérienne. Avec aussi, il le faut le dire, un grand décalage sur le plan de l'esthétisme compte tenu du gros potentiel artistique et financier dont dispose la chaîne cryptée française. Les deux émissions, qui sont très suivies parce que très caustiques et surtout très libres dans la critique du pouvoir, sont conçues sous la forme d'une chronique débridée, un «canard en folie» pas du tout coincé par la censure, qui relate et commente avec beaucoup de dérision l'actualité de la semaine. l s'agit de «Journal El Gousto» qui passe chaque soir, en ce Ramadhan, juste après le f'tour sur El Djazaïria TV, et de «El Journal», émission hebdomadaire de la chaîne algérienne installée à Londres, El Magharibia, qui fait réellement un tabac. Les deux programmes ont leur public et se rejoignent, mais avec une approche différente, dans le contenu qui défile sous forme d'un relevé pointu des incongruités et des grandes dérives de notre vie politique, sociale, économique, culturelle ou sportive. Chaque fait qui marque l'actualité, chaque événement qui fait la une des médias et fait tiquer par sa singularité est noté avant de devenir, sur le petit écran, un sujet grand public soumis à une analyse féroce pour sensibiliser, à travers l'arme du rire, les esprits les plus rétifs. El Magharibia, la télé qui avait annoncé dès sa création la couleur de sa ligne éditoriale proche du courant intégriste — normal quand on sait que c'est l'un des fils de Abassi Madani qui en était l'inspirateur — avant de mettre beaucoup d'eau dans son l'ben, fait de son «Journal» l'affiche vedette attendue chaque vendredi. Mais cette émission n'aurait jamais eu le succès populaire qu'elle connaît sans la sagacité et l'humour sarcastique de son animateur, un jeune intellectuel de Sétif, sorti des universités algériennes, mais qui s'est retrouvé exilé dans la capitale britannique pour les raisons propres à tous les cadres nationaux contraints de quitter leur pays pour aller chercher leur bonheur ailleurs. Le concept de cette émission, qui est de loin la plus incisive sur le plan politique, bien plus que tous les autres consacrées aux débats et aux directs avec le public, est très simple. L'animateur-journaliste, qui est également accessoirement comédien, intervenant dans de petits sketches-maison pour ridiculiser de manière encore plus forte les agissements ubuesques de nos gouvernants, fait défiler une série d'images qui traitent des aspects les plus sombres —et les plus ridicules — de notre quotidien, du simple fait divers jusqu'au grand événement politique, en les commentant avec une pointe d'humour qui accroche inévitablement le téléspectateur. Il faut dire que ce «Journal», au-delà de son double aspect humoristique et corrosif, est une source inépuisable d'informations, notamment celles qui restent invisibles dans les médias publics et qui, forcément, sont frappées de censure. Tout ce qui relate les bizarreries de la vie sociale, voire les travers constatés dans nos hôpitaux, nos écoles, nos universités, nos administrations, notre activité commerciale, culturelle... passe avec l'ironie de circonstance à la moulinette. «El Journal» devient — par la multitude de faits rapportés, avec photos du jour à l'appui ou témoignages irréfutables envoyés par des citoyens inquiets des dégradations multiformes qui ruinent la société algérienne dans ses fondements et son fonctionnement — le revers d'une médaille un peu trop vernie par les gens qui nous gouvernent. Sans tomber dans le dénigrement stérile et improductif, l'émission montre en réalité le visage hideux de l'Algérie qui sombre dans l'autoritarisme, la misère, l'injustice, la déstructuration, la malvie malgré ses énormes richesses naturelles et la valeur incontestée de son élite, qui est complètement déconsidérée. Personne n'échappe à la critique : tous les acteurs du système bouteflikien, les hommes en uniforme y compris, sont mis devant leurs responsabilités face à la faillite de leur gestion des affaires ou de leur gouvernance. Ils sont tournés en dérision pour leurs mensonges et notamment leur incroyable incompétence qui fait des dégâts au pays. C'est cette réalité amère, mais qui n'échappe pas à la perspicacité des citoyens, que le «Journal El Gousto» d'El Djazaïria TV essaye, lui aussi, de mettre en scène avec un humour certes très relâché mais plus débonnaire. Le style change, ici, puisqu'on a à faire à une bande de joyeux drilles qui s'expriment avec l'enthousiasme de leur jeunesse et la désinvolture de leur âge. Le jeu est donc plus collectif et plus théâtral. Il consiste à parodier les personnages les plus influents du régime en les mettant dans des situations cocasses qui donnent à réfléchir. Le décor est dépouillé et la mise en scène se déroule sur une terrasse, symbole du sommet à partir duquel le pouvoir dans toute sa contradiction s'exprime, se déploie, régente, mobilise. C'est une création télévisuelle originale qui a déjà été lancée l'année passée, toujours en période de Ramadhan. L'expérience, au départ timide, a fini par être adoptée par le public grâce à la persévérance des jeunes comédiens qui font preuve de beaucoup d'imagination mais aussi de finesse pour aborder les sujets qui fâchent. Cette équipe a le mérite de se jouer des tabous et de foncer avec humour pour traiter des thèmes très sérieux qui sont au cœur des dérèglements de la société algérienne. Le «Journal El Gousto» fait des arrivistes sans valeur morale et des parvenus qui veulent l'argent et le pouvoir en contrepartie de leur allégeance aux puissants sont plat préféré. Lui aussi fait mouche et mérite respect pour son courage… politique. Il y a donc un rire utile et fracassant qui se développe dans nos écrans et nous change de celui que l'on connaît, plus porté vers le divertissement stérile.