Goncourt du premier roman pour tous les Algériens !» Aussitôt reçu, aussitôt dédié à ses compatriotes. Sur la page Facebook du journaliste et écrivain — qui enchaîne les distinctions depuis la parution de son roman Meursaut, contre-enquête —, c'est l'avalanche de réactions et de messages de félicitations. Le prix Goncourt du premier roman lui a été décerné, dans la journée d'hier, après qu'il ait raté de peu, en novembre dernier, le prestigieux prix Goncourt, dont il a été finaliste. Trois autres auteurs étaient en compétition hier : Miguel Bonnefoy, pour Le voyage d'Octavio (Payot-Rivages), Kiko Herrero, pour Sauve qui peut Madrid (P.O.L) et Jean-Noël Orengo pour La Fleur du capital (Grasset). Quelques heures après l'annonce officielle dans le célèbre restaurant Drouant, Kamel Daoud, encore très ému par le vibrant hommage que lui a rendu Régis Debray, s'est dit «heureux de cette distinction et heureux de la dédier aux Algériens». «Il ne s'agit pas de ma petite personne, mais d'affirmer l'image de l'Algérie dans le reste du monde», explique Kamel. «J'espère que cette distinction sera comprise comme une manière d'exister dans un monde très dur, il faut sortir du prisme algéro-français, et la voir comme une affaire de visibilité. Puisque l'image d'un pays passe par la culture et l'art», ajoute-t-il. Peu après sa parution en 2013, Meursaut, contre-enquête, un livre qu'il dit «né d'un agacement», est très vite devenu un succès littéraire international, traduit dans plusieurs langues. «Après avoir discuté avec un journaliste français de passage en Algérie, la question s'est imposée : Camus est-il à nous ou à eux ? Puis, j'ai pris le roman de Camus comme prétexte pour construire un texte autonome», confie l'auteur. Il le fera à travers la résurrection «littéraire» d'un personnage inattendu : l'Arabe tué, 70 ans plus tôt, dans l'Etranger, le roman de l'iconoclaste Camus. Il voit le jour dans une petite maison rustique à Tikjda, où Kamel Daoud s'est retiré en 2011 pour écrire. L'homme a fui les bruits d'Oran, ville où il vit. Il a délaissé sa chronique «Raina Raikom» dans Le Quotidien d'Oran et y a passé des jours à guetter, à l'aube, le lever du soleil, à se délecter des rumeurs de la nature… pour revenir à la littérature, qui est pour lui seule capable d'«annuler le poids du réel». Sa solitude a une vue sur les montagnes du Djurdjura. Il ne cherche pas ses mots, ils viennent à lui sans qu'il les attende. Ils tombent sur lui, en cascade. Dans ce coin désert où il séjourne, il fouille dans sa conscience, laisse jubiler ses idées, à la recherche du fil, d'une histoire, d'un prétexte pour dire sa vision du monde. Il crée Haron, le frère de Moussa, l'Arabe tué dans l'Etranger d'Albert Camus. L'incipit est une fulgurance qui le transporte. L'homme rejoint son quotidien après quelques jours de répit, il a trouvé le fil. Le roman sera édité, un peu plus d'une année plus tard, aux éditions Barzakh, à Alger, puis en mai 2013, aux éditions françaises Actes Sud. Deux ans plus tard, le livre est un succès en librairie, il propulse Kamel Daoud. Tout le monde parle du roman et s'intéresse à cet homme qui enchaîne les prix, en Algérie (prix Escales littéraires et prix Ourtilane), mais aussi ailleurs (prix François Mauriac, Prix des cinq continents de la francophonie…). Les médias étrangers s'emparent du livre qui séduit d'abord parce que l'idée de départ prend de court. Mais aussi parce qu'il y raconte, comme le souligne son narrateur, Haron, «l'histoire de tous les gens de cette époque (coloniale, ndlr)». Dans un soliloque saisissant, il décode la complexité de son Algérie et questionne sa fascination pour la mort, en rendant justice «à l'Arabe tué, 25 fois cité dans le roman sans que Camus ait pensé à lui donner un nom». Kamel l'appelle Moussa et c'est Haron, son frère cadet (et narrateur) qui nous l'annonce. Avec Meursaut, contre-enquête, Kamel Daoud, — journaliste originaire de Masra, village à 13 km au sud-est de Mostaganem, où il a vécu 18 ans avant de rejoindre la capitale de l'Ouest —, crée la surprise. Pour beaucoup, il doit le succès de ce premier roman fantasmagorique à ce prétexte camusien. Mais pour plonger dans la puissance du style de Daoud, il faut oublier Meursault, Camus et même Moussa, pour découvrir un autre livre dans ce livre… en attendant son second roman, déjà en chantier.