Avec le retour du mois de septembre, c'est la rentrée scolaire qui s'impose comme sujet principal dans toutes les chaumières constantinoises. Si les gosses affichent une mine réjouie en prévision du trousseau scolaire remis à neuf ou pour les trainings et les habits flambant neufs, les parents, par contre, appréhendent toujours cette rentrée, paradoxalement pour les mêmes raisons que leur progéniture. Hacène, instituteur, n'échappe pas à cette règle synonyme de stress et d'angoisse. Il nous dira : « Je suppose que vous êtes au courant des salaires des enseignants. Cette année, on a écrasé encore un peu plus de ce qui reste de notre dignité. La tutelle nous a accordé 2000 DA de prime de rentrée pour chaque gosse et la gratuité des livres pour un seul. Cette aide devrait aller directement aux nécessiteux et non pas à des fonctionnaires. Mais comme le fonctionnaire est nécessiteux de nos jours, on nous a classés dans la catégorie qui nous va le mieux, celle des pauvres. » C'est vrai que quand vous faites un tour dans les boutiques de vêtements, le tournis vous prend si vous avez plus de deux gosses, car la moindre chemise ne se négocie pas en deçà de 800 DA, les pantalons à 1000 DA et plus, tandis que pour se chausser, un banal training vaut plus de 1200 DA. A cela il ne faut pas oublier le tablier et le cartable ou sac à dos, en attendant le coup de grâce qui sera asséné une fois la liste des fournitures scolaires et celle des livres ramenées. Pour les crayons, les cahiers et tous les autres membres de la même « famille », c'est un minimum de 1000 DA par tête brune tandis que pour les manuels scolaires, cela varie d'une classe à une autre. La première année primaire, par exemple, ne nécessitera pas moins de 1110 DA, alors que la première du palier du moyen demandera 1900 DA, le livre de tamazight inclus. L'empreinte chinoise… Aux allées Ben Boulaïd, c'est la foire, au sens propre comme au sens figuré, de la rentrée scolaire. Les tentes dressées sur les deux trottoirs offrent aux passants une variété de vêtements et de fournitures scolaires d'une qualité douteuse, et le produit chinois n'est pas le seul coupable, comme l'attestent des tabliers à vous donner envie de faire l'école buissonnière, des tabliers made in ateliers clandestins de la cité El Manchar. L'affluence, qui caractérise cet endroit à chaque rentrée, n'est plus de mise cette fois-ci, comme nous l'expliquera Mounir, cadre dans une entreprise nationale : « C'est injuste que les libraires, les vrais, qui font de la gymnastique tous les mois de l'année pour joindre les deux bouts soient pénalisés à chaque rentrée scolaire, une rentrée où ils espèrent faire un chiffre d'affaires appréciable qui leur permettra de subsister le reste de l'année. A leur place, on loue des emplacements à des ‘‘commerçants'' venus d'on ne sait où, qui vous proposent des produits douteux et qui ne savent pas répondre à vos doléances puisqu'ils ne sont pas du métier. Moi et beaucoup d'autres Constantinois sommes restés fidèles aux libraires classiques qui vous proposent de bons produits avec des conseils très utiles, en plus. » Le soleil décline en cette fin d'après-midi de septembre, mais l'appétit mercantile des nouveaux commerçants des allées Ben Boulaïd reste au zénith. Car le client ne venant pas à eux, ils ont décidé, pour certains, de louer les services de gosses ne dépassant pas les quinze ans de harceler les passants en leur proposant « des affaires », ce qui crée un véritable encombrement sur les deux rives des allées. Un peu plus haut, à l'avenue Abane Ramdane, c'est un magasin chinois, encore un, spécialisé dans la chaussure, qui fait le plein. Une dame, le demi-siècle bien consommé, traîne une fille et un garçon à l'orée de l'adolescence. Après plusieurs « essais », ils ont eu ce qu'ils voulaient : une belle paire d'espadrilles ou un training, c'est selon. Elle nous dira : « J'ai déboursé 1200 DA pour ma fille et 1100 pour mon fils. L'année passée, avec des produits soi-disant de marque, il m'a fallu plus du double pour m'acquitter de cette corvée. » C'est vrai que la qualité de la chaussure proposée par cet énième magasin chinois est plus qu'appréciable, en plus des prix moyennement abordables. Le miracle chinois se manifeste même aux portes de l'antique Cirta… En attendant, les parents, névrosés, se demandent quelle alchimie ils vont devoir appliquer pour consacrer au moins 5000 DA pour chaque gosse pour espérer lui assurer une rentrée « honorable » devant les copains et… les voisins !