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Certaines Constitutions permettent au citoyen de contrôler l'action gouvernementale Messaoud Mentri. Professeur des universités, droit public et droit international
Pourriez-vous nous définir ce qui distingue la prochaine révision constitutionnelle de celles qui l'ont précédée ? Avant de vous répondre, je dois d'abord revenir sur certains points utiles à connaître. La Constitution algérienne de 1996 a prévu un certain nombre de dispositions (articles 174, 175, 176, 177, 178) organisant la procédure de révision constitutionnelle. Cette dernière est décidée à l'initiative du président de la République. Elle peut être approuvée soit par référendum ou après avoir obtenu les ¾ des voix des membres des deux chambres du Parlement, ou des ¾ des membres des deux chambres réunies ensemble. L'initiative de l'actuelle révision constitutionnelle émane du président de la République et c'est d'ailleurs le cas des autres révisions. Cependant, aucune des révisions constitutionnelles entreprises en Algérie n'a fait autant de consultations. Celles-ci ont débuté en 2011 lorsque le président du Conseil de la nation a été chargé par le président de la République de procéder à des consultations directes avec les responsables des partis politiques. Puis, le président de la République a installé une commission technique présidée par le Pr Kerdoun Azzouz, chargé d'élaborer le projet de révision constitutionnelle. Ensuite, Ahmed Ouyahia a été chargé de consulter les responsables des partis politiques et des personnalités nationales en vue d'obtenir leurs propositions sur le projet de révision. Ce dernier n'a pas encore été soumis au Conseil constitutionnel pour avis motivé avant qu'il ne soit présenté aux deux chambres du Parlement. Selon certains responsables politiques algériens, le président de la République souhaiterait l'adoption d'une constitution consensuelle, c'est-à-dire ayant obtenu l'adhésion de tous les courants politiques. Il est possible d'assister à un troisième round de négociations dans un proche avenir. Doit-on s'attendre à de profonds bouleversements politiques et juridiques, puisque vos collègues tunisiens semblent percevoir le projet de révision comme étant une réforme constitutionnelle ? La révision de la Constitution algérienne n'est pas un événement nouveau. La révision constitutionnelle de 1989 a profondément bouleversé le texte constitutionnel de 1976. Les autres révisions ont seulement apporté des évolutions sur certaines dispositions de la Constitution sans que l'on puisse parler de révision radicale, par exemple la création du poste de Premier ministre, ou encore l'encouragement de la représentation de la femme dans les Assemblées électives. Il faut néanmoins souligner que malgré les révisions constitutionnelles, les institutions nationales ne fonctionnement pas toujours convenablement et ne s'adaptent pas aux exigences de la démocratie. La révision constitutionnelle de 2008, en mettant fin à la limitation des mandats présidentiels, a suscité des critiques. La problématique du colloque est justement de réfléchir si la prochaine révision constitutionnelle en Algérie constitue une rupture ou une continuité des anciennes dispositions constitutionnelles ? Est-ce qu'elle va entraîner une transformation profonde du régime politique algérien ? Est-ce qu'elle va permettre le passage à une deuxième République ? Est-ce qu'elle va ouvrir la voie à une nouvelle démocratie ? Une réflexion a été portée sur les modalités d'adoption du texte de révision constitutionnelle. En principe, la révision est acquise soit par voie de référendum, soit par voie parlementaire. Un débat s'est instauré sur la question de recourir au référendum pour l'adoption du projet de révision constitutionnelle, ou bien attribuer une compétence de principe au Parlement et une compétence d'exception au peuple en matière de révision. La compétence parlementaire est la voie par excellence d'adoption du texte de révision constitutionnelle en Algérie. En pratique, les deux chambres ont toujours voté le texte de révision. Le rôle du président de la République et du Premier ministre revenait à chaque fois dans les différentes communications. Doit-on s'attendre à des changements majeurs en la matière dans la prochaine «correction» de l'ordre constitutionnel ? Le statut du président de la République a fait l'objet d'une réflexion, notamment la question de limitation des mandats du président de la République, de la réduction de ses pouvoirs et de la création du poste de vice-président de la République ou bien la maintien d'un bicéphalisme au sommet de l'Etat avec seulement un président de la République et un Premier ministre. Le statut du vice-président a été examiné. Est-ce qu'il sera nommé et révoqué par le président de la République ? Est-ce qu'il aura des attributions propres comme le Premier ministre, ou bien est-ce qu'il supplée le président de la République dans ses fonctions que celui-ci lui délègue ? Est-ce que la création du poste de vice-président de la République ne va pas affaiblir considérablement le Premier ministre ? Le statut du Premier ministre et ses relations avec le président de la République ont également été examinées durant le colloque. Il ressort des interventions et des débats qui ont suivi, la nécessité de définir de nouvelles règles constitutionnelles tant au niveau de la désignation, de la révocation et des pouvoirs du Premier ministre et que le renforcement de ses pouvoirs ne remet pas en cause la prééminence du chef de l'Etat. Le statut du Parlement a été au cœur des débats. Le rôle de l'Assemblée a-t-il besoin d'être revalorisé dans la nouvelle révision constitutionnelle ? Plusieurs questions ont été posées notamment sur l'opportunité de supprimer le Sénat au profit d'une seule Assemblée souveraine jouissant de prérogatives élargies, ou bien conférer un nouveau statut au Sénat en le dotant de pouvoirs importants dont le pouvoir de contrôle. L'accent doit cependant être mis sur la nécessité de renforcer la fonction de contrôle parlementaire en raison du nouveau cadre démocratique. Il a été constaté que l'Assemblée populaire nationale vote les lois, mais ne contrôle pas suffisamment et d'une manière efficace l'action gouvernementale. Le projet de révision de la Constitution doit conférer un statut constitutionnel aux groupes parlementaires minoritaires, par exemple leur donner la possibilité de demander et d'obtenir une session extraordinaire, le droit de solliciter des commissions d'enquête, et la possibilité de saisir le Conseil constitutionnel. Les relations du président de la République, du Premier ministre avec le Parlement ne doivent également pas être occultées. D'ailleurs, plus d'un parmi les participants ont insisté sur la nécessité de modifier la nature des rapports du président de la République, du Premier ministre avec le Parlement dans la perspective d'un équilibre des pouvoirs et de mettre fin au déséquilibre des pouvoirs qui a longtemps existé avec un Législatif dominé et un Exécutif dominant. Une Constitution réellement protectrice et garante des droits et des libertés citoyens, est-ce possible en Algérie ? Tel que constaté, la Constitution algérienne de 1996 a consacré les droits et les libertés fondamentales. Mais la question de leur efficacité reste posée. Il faut noter que les dispositions constitutionnelles ne se mesurent pas uniquement dans leur formulation, mais aussi dans les modalités pratiques de leur application. L'exemple de certaines Constitutions permettant au citoyen de participer de manière directe à la fonction de contrôle de l'action gouvernementale en utilisant la procédure de pétition, maintes fois citée lors du colloque, est à méditer. Il a été dévolu au citoyen d'adresser des réclamations aux chambres du Parlement ou encore à tout membre parlementaire pour attirer leur attention sur une situation de fait, un texte à prendre, à amender ou à abroger. Et le rôle du Conseil constitutionnel, a-t-il lui aussi besoin d'être renforcé, vu que le système constitutionnel algérien est fondé sur la suprématie de la Constitution ? L'établissement et la consolidation de l'Etat de droit est tributaire de l'évolution du statut du Conseil constitutionnel, surtout si on prend en considération que les bases de l'Etat de droit ne peuvent être établies que par la Constitution et son respect. Il a été proposé une réforme de la composition du Conseil constitutionnel et l'élargissement de la saisine de ce Conseil aux groupes parlementaires minoritaires et également aux juridictions suprêmes, c'est-à-dire la Cour suprême et le Conseil de l'Etat dans le cas où la loi concernée est anticonstitutionnelle. Aussi, l'indépendance de la justice ne doit pas être négligée et le pouvoir judiciaire doit retrouver toute sa place dans la version révisée de la Constitution. Tous les participants ont souligné la nécessité de procéder à une réforme du statut du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), portant notamment sur sa composition et sa présidence. Un CSM composé uniquement de magistrats élus, présidé par un juge élu par les membres du Conseil. En somme, notre souhait est que la révision constitutionnelle soit fructueuse en termes de consolidation de la démocratie et de renforcement de l'Etat de droit.