InfoSoir : Comment évaluez-vous l'évolution de notre constitution depuis l'indépendance à ce jour ? Mokrane Aït-Larbi : La réponse à votre question nécessite une étude juridique. Toutefois, voici quelques repères : la Constitution du 08 septembre 1963 a été préparée dans une salle de cinéma, ce qui se passe de tout commentaire. En effet, le président Ben Bella a décrété quelques jours après la promulgation de la Constitution l'état d'exception pour avoir les pleins pouvoirs. La Constitution du 22 novembre 1976 a reconduit le système du parti unique et donné au chef de l'Etat tous les pouvoirs. Quant à la Constitution de février 1989, révisée en novembre 1996, elle a introduit le multipartisme, la séparation des pouvoirs et la création du Conseil de la nation et la fonction de Chef du gouvernement. On peut dire que la Constitution n'a jamais été respectée par les pouvoirs publics car le système algérien est basé sur la volonté des clans et non sur le fonctionnement des institutions. Comment expliquer l'indifférence des citoyens vis-à-vis de ce référendum qui pourrait être annoncé dans les prochains mois ? Et quel serait l'impact de la nouvelle loi fondamentale sur le citoyen, si elle venait à être adoptée ? l Le président de la République est la seule personne habilitée à prendre l'initiative de la révision constitutionnelle. Et à ma connaissance, il n'y a aucune déclaration officielle de sa part concernant cette question. Il est vrai qu'il avait déclaré pendant son premier mandat qu'il «n'aimait pas la Constitution», mais il n'est pas demandé à un chef d'Etat d'aimer la constitution mais de la respecter et de la faire respecter. A titre d'exemple, François Mitterrand a considéré la constitution de la Ve république comme : «Un coup d'Etat permanent», mais cette déclaration ne l'a pas empêché de la respecter et de la faire respecter pendant 14 ans. Il est clair que les citoyens sont plus préoccupés par les problèmes quotidiens connus de tous que par les élections et les référendums. Quant à l'impact de la révision sur le citoyen, je ne pourrais pas me prononcer avant de prendre connaissance du projet de révision. Et on ne sait même pas si le projet existe réellement. En tout cas, il n'y a rien d'officiel. La révision peut se faire par voie référendaire ou parlementaire, quelle est la voie la plus indiquée pour donner plus de légitimité à la nouvelle constitution ? l Les régimes politiques tirent leur légitimité de la Constitution. Le mode de révision est prévu par les articles 174 et 176 de la Constitution. L'article 174 prévoit : «la révision constitutionnelle est décidée à l'initiative du président de la République. Elle est votée en termes identiques par l'Assemblée populaire nationale et le Conseil de la nation dans les mêmes conditions qu'un texte législatif. Elle est soumise par référendum à l'appréciation du peuple.» Lorsque le projet de révision ne porte atteinte ni aux principes généraux régissant la société, aux libertés publiques et aux droits de l'Homme et du citoyen, ni n'affecte les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions, le président de la République peut, sur avis motivé du Conseil constitutionnel, promulguer la loi si elle a obtenu les voix des membres des 2 chambres du parlement (article 176). On peut noter que l'article 3 a été complété par l'article 3 bis : «Tamazight est également langue nationale» sans passer par un référendum. Dans le cas où la révision ne concernerait que l'article 74 relatif au nombre de mandats présidentiels, j'estime que le référendum n'est pas nécessaire. La limitation du mandat présidentiel du point de vue juridique peut-elle être un frein à la démocratie ? l La limitation du mandat présidentiel est plus une question politique que juridique, et il ne s'agit, en aucun cas, d'un préalable pour la démocratie. On peut citer deux exemples : La constitution des Etats-Unis limite les mandats présidentiels à deux alors que la constitution française ne limite pas le nombre de mandats. Pourtant, il s'agit de deux systèmes démocratiques. On peut ajouter pour les besoins d'un débat serein que les monarchies constitutionnelles comme le Royaume-Uni, l'Espagne,… où le roi est chef d'Etat à vie. Qu'est-ce qui est préférable pour l'Algérie, un régime parlementaire ou présidentiel ? l Sans entrer dans un débat juridique sur les avantages et les inconvénients des deux systèmes, il faut que l'Algérie se dote d'un système démocratique basé sur un Etat de droit et d'institutions. Le gouvernement doit être choisi par le peuple en toute souveraineté. Du reste, peu importe si on opte pour un régime parlementaire ou présidentiel. Deux exemples le démontrent : les Etats-Unis, dont le système est présidentiel et le Royaume-Uni basé sur un système parlementaire, le dénominateur commun entre les deux pays étant la démocratie. En somme, avant de choisir, il faut un large débat.