Au-delà du bilan de l'attentat de Sousse, autorités et citoyens s'interrogent aujourd'hui en Tunisie sur les moyens de juguler le terrorisme. L'attentat d'El Kantaoui révèle que désormais le terrorisme est dans la cité. Les condamnations fusent de toutes parts suite à l'attaque terroriste qui a coûté la vie à 39 personnes, dont cinq Tunisiens. On déplore également 38 blessés. Un état-major de crise a été formé à la présidence du gouvernement. Les réunions se poursuivent pour prendre les décisions qui s'imposent, comme l'a annoncé le président Béji Caïd Essebsi, depuis le lieu de l'attentat de Sousse. Les principales décisions prises avant-hier, le soir même de l'attentat, sont : l'appel à l'armée de réserve afin de renforcer la présence sécuritaire dans les zones à risques, la mise en place d'une unité de sécurité touristique armée le long des côtes et au sein des hôtels, la fermeture des 80 mosquées hors contrôle, la prise de mesures nécessaires contre tous les partis et associations œuvrant contrairement aux principes de la Constitution – Habib Essid a indiqué que la présidence du gouvernement a constitué un dossier concernant les dépassements de Hizb Ettahrir –, ainsi que l'appel à tous les partis politiques, afin de leur faire part de l'importance de l'unité nationale dans les circonstances actuelles. Le gouvernement tunisien s'est senti dans l'obligation de serrer davantage l'étau autour des terroristes. Il s'agit maintenant de «renforcer les campagnes de vérification contre toute personne suspectée de terrorisme, en collaboration avec le ministère public», a déclaré le chef du gouvernement tunisien, qui passe à la vitesse supérieure, comparativement aux réactions suite à l'attaque du musée du Bardo le 18 mars dernier. «Il a fallu toutes ces victimes pour que la Tunisie commence à croire à l'implantation de terroristes parmi nous et à prendre, enfin, les mesures devant être prises depuis des mois, surtout après l'attaque du Bardo», regrette Samir Taïeb, le secrétaire général du parti Al Massar, qui appelle à l'application «immédiate et avec la rigueur requise de ces mesures». De telles mesures n'ont pas fait l'unanimité par le passé, notamment après l'attaque du Bardo. Les représentants du parti islamiste d'Ennahdha s'étaient alors dressés contre la fermeture des mosquées illégales. Il y a même eu une manifestation devant les locaux du ministère des Affaires religieuses pour lui imposer d'assouplir ses décisions. «Voilà le résultat de cet assouplissement», déplore une source dudit ministère. Enquête Par ailleurs, les hôteliers n'avaient pas demandé de renforcer davantage la sécurité. La propriétaire de l'hôtel visé par l'attentat, Zohra Driss, députée de Nidaa Tounes à l'Assemblée, estime qu'«il ne s'agissait pas de mettre une patrouille devant chaque hôtel». Résistant au choc, elle n'est pas résignée : «Ne baissons pas les bras, ne nous résignons pas à la fatalité du terrorisme, rebondissons !» a-t-elle dit sur France 24, quelques heures après le drame. En parallèle à ces mesures, les autorités tunisiennes continuent leur enquête sur l'attaque. Elles ont déjà identifié le terroriste, Seifeddine Rezgui, un diplômé de l'ISET de Kairouan, âgé de 23 ans, originaire de Gaâfour (gouvernorat de Siliana) à une centaine de kilomètres au sud de Tunis. Une descente chez sa famille a permis de trouver des documents sensibles, selon une source proche de l'enquête. Les parents du terroriste ont été emmenés, avant-hier, à la brigade antiterroriste pour être interrogés sur leur fils. Quelques heures avant l'attaque, le terroriste a posté sur sa page facebook des phrases pouvant signifier une attaque des «loups solitaires», appellation signifiant les terroristes agissant seuls. A un autre niveau, l'Allemagne et la Grande-Bretagne ont dépêché en Tunisie des délégations pour collaborer avec les Tunisiens dans l'enquête et la prise en charge des victimes. La Grande-Bretagne a envoyé une équipe importante formée de diplomates, d'enquêteurs et de personnel d'assistance. Le Premier ministre britannique, David Cameron, s'est même adressé aux citoyens après la réunion du dispositif Cobra de lutte antiterroriste, pour les prévenir sur d'éventuelles nouvelles victimes. Pour sa part, l'Allemagne a envoyé un enquêteur de l'Office fédéral de police criminelle, BKA, pour aider à déchiffrer les circonstances de l'attaque. Par ailleurs, les unités sous-marines de la Protection civile ont retrouvé le téléphone portable du terroriste, qui révélera sûrement ses dernières communications et son carnet d'adresses. Touristes divisés Des touristes algériens, rencontrés sur le boulevard Boujaâfar, à Sousse, quelques heures après l'attaque terroriste, ont insisté sur «le devoir» de continuer à visiter la Tunisie et d'y passer les vacances pour les Algériens qui ont l'intention de voyager. «Nous n'avons pas peur. Une attaque terroriste peut survenir n'importe où dans le monde avec l'internationalisation du phénomène», a expliqué Bouzid Méliani, étudiant de Annaba. «Il ne faut pas oublier que la Tunisie n'a jamais fermé ses frontières aux Algériens, y compris au plus dur de la décennie noire en Algérie», a renchéri sa mère Fella, 55 ans, qui vient en Tunisie depuis une quinzaine d'années. Chez les Européens, la réaction est plus réservée. C'est plutôt la consternation, voire l'horreur, qui se lisait sur tous les visages, notamment du côté de la station balnéaire d'El Kantaoui, où se situe l'hôtel, cible de l'attentat. Près de 2200 touristes ont déjà quitté les hôtels de cette station, dans la nuit de vendredi à samedi, selon Saloua Kadri, responsable régionale de l'office du tourisme. Dix vols ont ramené 1600 Britanniques chez eux et 4 autres vols ont rapatrié 600 Belges à Bruxelles. «J'aime la Tunisie. J'y suis venue une dizaine de fois. Mais, là, je suis sous le choc. Je ne peux pas rester. Je reviendrai peut-être un jour», dit Annette, 46 ans, originaire de Bruges, avant de prendre l'avion.