Loin d'être réglée, la crise grecque aura déjà eu deux conséquences : d'abord centrer le débat économique sur la question très controversée de l'austérité, et ensuite jeter des doutes sur la viabilité et la pertinence du modèle actuel d'intégration économique européenne. Avec la baisse des échanges, le ralentissement de la croissance et l'augmentation des déficits, la crise financière de 2008, engendrée par un système financier incontrôlable, a mis en difficulté toute l'économie mondiale. Pour empêcher le système bancaire et financier de s'effondrer, les Etats ont mis la main à la poche, augmentant ainsi leurs dettes publiques. De 2008 à 2011, la Commission européenne a approuvé 4500 milliards d'euros d'aides à destination du secteur financier, note l'ONG Oxfam dans un rapport publié en 2013 et intitulé «Le piège de l'austérité». On estime que les mesures de sauvetage en Europe et aux Etats-Unis ont augmenté les dettes publiques de l'ordre de 20% à 40% du PIB. Trop pour les défenseurs de la rigueur budgétaire. A partir de 2010, les pays européens ont donc mis en place des programmes d'austérité pour tenter de résorber les déficits et de diminuer la dette, sous la pression des marchés financiers, de l'OCDE et de la Banque centrale européenne (BCE). Certains l'ont fait volontairement comme la Grande-Bretagne, d'autres dans le cadre d'accords moyennant des aides de la commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI (cas de la Grèce, l'Espagne, le Portugal et l'Irlande). Cela passait surtout par des coupes dans les dépenses publiques et notamment celles à visées sociales. Ainsi, de 2010 à 2014, les dépenses devaient être réduites de 40% du PIB en Irlande, de 12% en Espagne et de 11,5% au Royaume-Uni, souligne Oxfam. Les conséquences de ces programmes ont été catastrophiques, selon l'ONG. Car ils «ont décimé les mécanismes qui réduisent les inégalités et permettent une croissance équitable». Si cela devait perdurer, «15 à 25 millions de personnes supplémentaires pourraient se retrouver en situation de pauvreté d'ici 2025 en Europe». Un choix contesté L'austérité devait permettre l'équilibre budgétaire, la baisse de l'endettement et la réduction des déficits afin de faire repartir la croissance et de restaurer la confiance des marchés. Beaucoup d'économistes, y compris des libéraux et même le FMI, ont fini par reconnaître après coup que l'option retenue n'était peut-être pas la bonne au vu des coûts sociaux qu'elle a entraînés. «Quand on dit austérité, il faut bien comprendre augmentation des impôts et baisse des dépenses publiques», explique Michel Santi, économiste. C'est ce qui est prôné par les partisans de la rigueur budgétaire. Cependant, «quand il y a récession, quand les acteurs de l'économie privée sont sur-endettés et n'investissent plus, l'Etat doit prendre la relève pour soutenir ces acteurs en injectant de l'argent dans les rouages de l'économie, et la seule manière de le faire c'est de s'endetter. Comme malheureusement la plupart des Etats européens sont déficitaires, cela revient mécaniquement à augmenter les déficits, il n'y a pas d'autres solutions». Pour cet opposant à l'austérité, «quand il y a une crise économique comme celle que connaît l'Europe depuis quelques années maintenant, il faut que l'Etat engrange les dépenses pour pouvoir soutenir les acteurs de l'économie privée», mais «quand la croissance économique repart, l'Etat doit résorber ses déficits, c'est ce qui signifie avoir une politique contre-cyclique».
Revirement Mais pour l'heure, c'est plutôt la rigueur qui a prévalu avec des effets loin d'être maîtrisés. L'austérité augmente le chômage, diminue les salaires et creuse les inégalités. «Il n'existe aucun exemple de grande économie pour laquelle l'austérité a permis la reprise de la croissance», affirme Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie et ex-économiste en chef de la Banque mondiale. Et il n'est pas le seul à le penser. Un autre prix Nobel, Paul Krugman, a défendu le gouvernement grec en affirmant qu'une «austérité encore plus dure est une impasse» et que l'effondrement de l'économie de ce pays était dû «en partie aux mesures d'austérité» qui lui ont été imposées. Baisse des salaires, augmentation des impôts, rétrécissement des dépenses publiques et des aides sociales, détérioration des services publics, déréglementation du marché du travail, chômage, etc. les conséquences néfastes de l'austérité sont telles que des experts du Fonds monétaire international ont fini par reconnaître que l'austérité induite par les besoins de consolidation budgétaire avait un impact sur l'emploi et aggravait les inégalités, suggérant même que les Etats augmentent les dépenses publiques à impact social. «Nous avons sous-estimé les effets négatifs de l'austérité sur l'emploi et l'économie», a notamment déclaré le FMI s'agissant de la Grèce.L'aveu est de taille, mais il aurait été difficile de ne pas l'admettre tant les dégâts sont importants. En Grèce, cinq ans d'austérité ont appauvri la population et creusé les inégalités. Selon une étude réalisée par des chercheurs grecs, les 10% des grecs les plus pauvres ont perdu 86% de leur revenu. A l'inverse, les 30% aux revenus les plus élevés n'ont perdu qu'entre 17% et 20% de leurs revenus. «Le poids des impôts pour la moitié la plus pauvre de la population a augmenté de 337%, tandis qu'il augmentait de 9% pour la moitié la plus riche». Dans ce pays, le taux de chômage a triplé entre 2007 et 2012 et le chômage de longue durée a quadruplé entre 2008 et 2012 (Oxfam). En Grande-Bretagne, cinq ans d'une politique d'austérité ont amputé de 20% les budgets des autorités locales et le gouvernement conservateur entend poursuivre la cure d'amaigrissement. Vertu Pourtant, l'austérité critiquée par les uns est défendue par d'autres, au premier rang desquels l'Allemagne. Fervente adepte de la rigueur budgétaire, elle tente de l'imposer à tous ses partenaires européens au prix d'une flexibilité sans pareille pour les pays qui comme la Grèce sont accusés de laxisme. Même le FMI a conseillé à l'Allemagne de lever le pied sur son ultra-rigorisme. Pour certains économistes, l'austérité est une «vertu» et ne serait pas incompatible avec la relance de la croissance. C'est notamment le cas du think tank français, l'Institut de l'entreprise qui a rendu publique début 2015 une analyse mettant en avant le bien-fondé des politiques d'austérité dans les pays qui les ont adoptées depuis 2008 (Espagne, Italie, Irlande et Royaume-Uni) L'Espagne, par exemple, avec une baisse de 8% des dépenses publiques et de 5% de la masse salariale des administrations publiques entre 2010 et 2014, ainsi que des réformes touchant le système des retraites et le marché du travail, a pu faire repartir la croissance dans le sens positif (0,6% premier semestre 2014) pour la première fois depuis la crise de 2008. La Grande-Bretagne qui s'est également lancée dans une politique rigoureuse de réduction des déficits, a affiché en 2014 la croissance la plus vigoureuse des pays du G7, souligne le think tank. Toutefois, avec une réduction de plus de 11% de la dépense publique, l'austérité a divisé par deux le déficit, mais la dette publique a augmenté. Il n'en demeure pas moins que pour certains spécialistes de l'économie, l'une des plus grandes vertus de l'austérité est qu'elle force le changement en profondeur. L'éditorialiste du journal économique français Les Echos, Eric Leboucher, écrivait ainsi qu'en «Grèce où l'économie est corsetée par les rentes, par une corruption généralisée et par un Etat inefficace, l'austérité est alors un facteur qui force aux réformes». Réussir des réformes économiques structurelles avec des retombées à long terme au titre de l'austérité ferait mieux passer la pilule aux populations qui les subiraient. Rien n'est moins sûr. En tout état de cause, au vu de l'état actuel de l'économie mondiale, entre les défenseurs et les opposants de l'austérité, le débat ne fait que commencer.