Plus loin, des familles finissent par emballer leurs effets ; nombre de citoyens, ces jours de Ramadhan torride, préfèrent rompre le jeûne qui sur l'herbe, qui sur les quelques bancs. Des familles des quartiers de La Glacière, d'Hussein Dey, et même de plus loin ont pris depuis quelque temps l'habitude de prendre le f'tour en bord de mer. La tradition s'est installée quelques mois après l'ouverture de la promenade il y a deux ans. Le bouche à oreille a fait son effet. «Je m'installe ici deux heures avant le f'tour. Je viens avec ma femme, qui est aux fourneaux toute la journée. C'est mieux que la fournaise chez nous. Il y a la paix et la brise», signale dans un éclat de rire Dahmane, résident de la rue de l'Oued au quartier de La Glacière. Ce sexagénaire vigoureux précise qu'il a suivi d'abord ses voisins avant de décider de venir les mains chargées de «bourek, chorba, et bien sûr de l'incontournable théière bien fumante». Des familles préfèrent passer toute la soirée et une grande partie de la nuit sur cet empan du littoral. «Qui aurait pensé qu'un jour la promenade des Sablettes, fréquentée pendant longtemps par les dealers, deviendrait cette belle promenade ? Mes enfants prennent du plaisir à faire du vélo, du patinage. Le plus agréable est certainement le moment du f'tour. Nous nous installons confortablement sur la pelouse. Nous dressons la table et le couvert et nous prenons notre f'tour sous les cris des mouettes. Nous passons également toute la soirée sur l'herbe à siroter du thé. Et ce n'est qu'au moment du s'hour que nous quittons les lieux», raconte Kheireddine, trentenaire, qui vient avec sa femme et ses deux enfants, après la rupture du jeûne, de Bordj El Bahri, et qui signale à raison que la sécurité est bien assurée par les policiers qui font des rondes toute la soirée. Le grand rush de cette année a une explication : en plus du cadre agréable, l'organisation d'activités (manèges pour enfants, galas ramadhanesques), l'ouverture de parkings et d'une ligne de l'Etusa ont fait affluer des centaines de familles qui viennent des quartiers voisins de la capitale, mais aussi des wilayas limitrophes : Blida, Tipasa et Boumerdès. Sur place, les établissements (ONCI, Arts et Cultures) ont aménagé une scène où sont interprétés tous les genres musicaux : chaâbi, raï, kabyle, targui, etc. «Il y a eu au moins une trentaine de représentations sur les scènes des Sablettes, dans l'enceinte de notre établissement et du côté de l'embouchure», précise Rachid Kirat, directeur de l'Office des parcs et loisirs d'Alger (OPLA), EPIC de la wilaya chargé de la gestion des lieux. Toutes ces activités étaient retransmises en direct sur la radio Jil FM suivie par les teenagers. Mais pas seulement. Un camp de Touareg de Tamanrasset avait été installé sur un des carrés de la promenade. Deux dromadaires font le bonheur des enfants et un tour sur leur dos est à 100 DA. «Nous sommes là pour une quinzaine de jours encore. Nous repartirons dans quelques jours», nous répond en tamasheq un homme filiforme qui propose des tournées, aidé par ses deux enfants, accoutrés comme leur paternel du traditionnel habillement des Imajaghan (les Touareg se désignent par ce vocable qui signifie libre). Promenade partiellement livrée Livrée partiellement, la promenade des Sablettes, délimitée par l'embouchure de oued El Harrach, s'étend sur plus de quatre kilomètres jusqu'à la station de dessalement du Hamma. Confié à l'entreprise de travaux publics Meditram, le projet d'aménagement prévoit la réalisation de plusieurs équipements : des espaces de pique-nique, six aires de jeux, des terrains de pétanque, deux espaces de skateboard, une promenade piétonne et une piste cyclable. «Nous avons prévu de réaliser au niveau de chaque nœud des équipements (restaurants) en matériaux légers et au niveau de la partie qui donne sur la mer des belvédères ; il y aura également une piste cyclable aménagée sur le fossé qui sera couvert après la réalisation d'une conduite pour le drainage des eaux pluviales», a énuméré le directeur des travaux publics, Mohamed Abdenour Rabhi, qui supervise les travaux entamés fin 2012 et qui coûteront aux contribuables plus de 20 milliards DA. Des plages artificielles devront être aménagées, l'une d'elles se dessine dans la partie déjà livrée par la wilaya. «Le projet va subir une expansion. Il va gagner de l'espace en mer sur une bande variable de 60 à 100 mètres. Il y aura des brise-lames pour sécuriser toute la zone. On créera dans quatre ans des plages artificielles», a précisé le DTP. Entre autres équipements prévus dans cette partie de la côte, le palais des Sports dont les études ont été lancées par la direction des équipements publics. Au niveau de l'embouchure de oued El Harrach, en plus d'un showroom, il est prévu aussi la réalisation par le ministère de la Culture d'un musée d'Afrique. L'arrivée de Abdelkader Zoukh à la tête de la wilaya a permis par ailleurs l'inscription d'autres projets, tels qu'un théâtre de verdure actuellement en chantier. Les habitués des Sablettes ont néanmoins remarqué la dégradation des lieux et le manque d'équipements. «Les parcelles gazonnées se sont dégradées. Les pissotières et les douches sont sales ou carrément fermées. L'éclairage est défectueux dans certains endroits. L'OPLA a pris en charge la plage du Piquet blanc en installant des chaises en plastique. Mais il n'y malheureusement pas de contrôle. Un enfant s'est noyé dernièrement. Cette plage est ouverte à la baignade, mais je pense qu'elle est sale. Ça schlingue ici ! Où sont passés les services de l'Appl (Agence urbaine chargée de la protection et de la promotion du littoral algérois, ndlr), chargés de récolter et d'analyser des échantillons ?» s'interroge un trentenaire qui pointe du doigt oued El Harrach. A tous ces reproches s'ajoute l'informel qui s'est installé à cause des prix exorbitants (100 DA la bouteille d'eau) et l'absence d'accès vers les lieux à partir du Caroubier, l'entreprise ETRHB n'ayant pas encore livré la passerelle toujours en travaux. Toutefois, l'affluence ne devrait pas baisser après le mois de Ramadhan. «Les familles doivent venir durant l'été. Les autorités doivent les y pousser grâce à des activités de loisirs, mais surout aussi en entretenant les lieux», suggère Dahmane, le joyeux sexagénaire du quartier la Glacière, un thé chaud dans la main.