Pour Ali Kahlane, expert en économie numérique et premier responsable de Satlinker, une entreprise spécialisée dans les solutions d'entreprises et la sécurité informatique, la concurrence est bien là entre les différentes marques de produits connectés présents en Algérie, même si l'intégration algérienne dans ce domaine est anecdotique pour le moment. Pour gagner la bataille de l'économie numérique, notre expert juge nécessaire de travailler dans la production du contenu et la maîtrise de son développement aussi bien par les opérateurs que par les fabricants. Comment s'est faite l'introduction des TIC en Algérie ? Après avoir dépassé le développement frénétique du matériel, surtout avec l'avènement de l'Internet, le logiciel, les progiciels, les applications, ou tout simplement ce que l'on désigne par le terme générique de «contenu», supplante complètement en production intellectuelle, en innovation et en nombre tout ce qui a pu être fait jusqu'à présent dans le développement des équipements ou dans ce qu'on appelait il n'y a pas si longtemps le «hardware», la quincaillerie. En effet, le matériel est dorénavant développé en fonction du contenu qu'on veut y mettre. Le hardware est conçu pour répondre aux besoins propres et spécifiques des utilisateurs dont la boulimie en puissance et en espace mémoire n'a d'égale que l'abondance d'applications qui ne cessent d'augmenter au gré de leur appétit grandissant dans l'usage qu'ils en font ou que l'on prévoit pour eux. Contrairement à ce qu'on peut penser, l'Algérie est venue aux TIC telle qu'on les connaît actuellement, c'est-à-dire avec l'utilisation de l'Internet et l'explosion de l'usage du mobile, pratiquement au même moment que les autres pays et je ne parle même pas des années 70'-80' où nous étions les précurseurs à l'échelle africaine. Nous avons même été plus rapides à nous approprier l'usage des smartphones, tablettes et de démocratiser les phablettes (contraction de phone et tablette). Les fabricants algériens en produisent et en distribuent chez nous à profusion. Le premier de ces fabricants, Condor, en a été le précurseur. Il a été à l'origine de la première tablette connectée, pour passer très vite au premier smartphone qu'il décline avec bonheur et presque aussi vite que dans ce que la technologie peut offrir de mieux sur le marché mondial. Il n'a dorénavant rien à envier et rivaliserait même sur le marché algérien avec les géants du monde que sont les Sud-Coréens et Chinois, champions toutes catégories du domaine. Où en est le marché des produits connectés chez nous ? Les fabricants algériens jouent-ils le jeu de la concurrence ? D'autres fabricants algériens, ceux notamment situés dans notre «Silicon Valley» à nous Bordj Bou Arréridj, sont dorénavant de la partie. Venant du monde, depuis longtemps maîtrisé de l'intégration électronique et du produit «gris», ils ne pouvaient pas rester en marge sans répondre à l'explosion de la demande algérienne en produits connectés. C'est ainsi qu'à la suite de Condor, les marques déjà mentionnées telle que Géant, Irisat et Stream System proposent des tablettes et des smartphones que les Algériens découvrent avec émerveillement. Une publicité qu'avaient fait au moins deux d'entre eux durant le mois de Ramadhan était tout simplement époustouflante. Au-delà de l'esthétique et du «look» totalement dans l'air du temps de ce qui se fait de mieux dans le domaine, le premier attrait de ces produits «Made in Bladi» est bien entendu le prix, vient ensuite la garantie qui va désormais au-delà de la fameuse «garantie de marche» qui s'arrête à la porte de leur magasin et à laquelle nous ont malheureusement habitués nombre de boutiques de vente de mobiles. Le troisième et dernier attrait, celui que nous aimerions tous être le principal, vu la conjoncture économique actuelle, le slogan «Consommons algérien» promu et porté par le FCE qui semble avoir fait des émules quant au choix d'acheter de préférence ce qui est produit chez nous. Malgré l'avance historique dont jouit Condor pour avoir investi la place bien avant tous les autres, la concurrence est bien là entre les différentes marques citées et arrivées un peu plus tard. Le consommateur algérien aguerri aux grandes marques de la place sait faire la différence entre leurs produits car, au fond, seuls comptent pour lui l'innovation embarquée et bien sûr le rapport qualité/prix. Quant à l'algérianité des appareils, il est vrai que vu leur nature, il n'existe dans le monde que 3 ou 4 fabricants de leurs «composants» et qui rentrent dans le montage de produits connectés tels que le smartphone et la tablette. L'intégration algérienne, bien que très limitée pour le moment, est tout à fait comparable à d'autres pays grands ou petits qui dépendent tout comme nous de l'hégémonie technologique des fabricants chinois et/ou sud-coréens. Tout ou presque est fabriqué à l'étranger ; que reste-t-il à «faire» pour les industriels algériens ? quelle est leur valeur ajoutée ? Dans le monde des technologies de l'information, plus aucun pays, en dehors de ceux du sud-est asiatique, n'ose annoncer des taux d'intégration de plus de 5 à 10% quand il s'agit de fabrication de produits, quand on sait où ils sont tous originellement fabriqués. C'est ainsi que même le fameux iPhone de la marque phare mondiale Apple est fabriqué en Chine. Cela dit, ces multiples produits connectés - ces joujoux dont grands et petits raffolent - ne servent à rien sans le contenu, sans ces applications qui leur donnent vie et usage. Justement, c'est désormais l'usage qui fait l'utilité. Que faire une fois la frénésie de l'acquisition pure et simple d'un gadget numérique d'abord conçu pour «téléphoner» est passée ? Ce sont les applications ou les applicatifs, les fameuses «Apps», en somme le contenu qui priment avant tout dans un monde où tout objet connecté mobile se doit d'avoir au minimum une connexion Wifi et 3G. En Algérie, le choix est désormais entre deux plateformes, Android de Google qui a 78% de parts de marché mondial et IOS d'Apple avec 18%, si on met de côté Windows Phone et BlackBerry avec respectivement 2,7% et 0,3% dont l'utilisation en Algérie est très marginale. In fine, seules les applications disponibles et utiles peuvent différencier les uns et les autres. C'est ce contenu qui à terme permettra à l'Algérie, à travers les Condor, Géant, Irisat et autres Stream System, pour ne citer que ceux-là, de promouvoir et de susciter le développement d'un contenu national qui ne peut raisonnablement ni valablement provenir entièrement de l'étranger. La plupart des fabricants algériens ont mis en place des «Apps Store», des boutiques d'applications «payantes» ou pas et se voulant essentiellement à spécificité algérienne. Nombreux sont ceux qui surfent sur la vague entrepreneuriale en initiant, en sponsorisant et pour certains en pilotant des programmes de création et d'accompagnement de start-up pour le développement d'applications et de services numériques. Dans cette bataille d'un nouveau genre, capter l'intérêt de l'utilisateur de l'objet connecté, qu'il soit simple acheteur d'un gadget ou consommateur effréné de contenu, elle est essentielle pour gagner des parts du marché. Tout cela ne peut se faire sans les opérateurs téléphoniques qui sont en bonne place pour fidéliser leurs abonnés avec du contenu propre à eux, donnant une meilleure monétisation à leurs services à valeur ajoutée. Cela leur permet de limiter ou de maintenir le «churn», au minimum (c'est l'indicateur qui permet de mesurer le phénomène de perte d'abonnés). En effet, en plus de vendre des forfaits de moins en moins chers dont les unités de facturation sont la seconde et le nombre de SMS, les opérateurs sont dans la logique d'inciter leurs abonnés à consommer plus de mégas en téléchargeant ou en visionnant plus de vidéos, la voix devient de plus en plus secondaire pour, petit à petit, devenir gratuite et noyée dans un «bundle». On ne choisit plus son téléphone pour la qualité du son ni encore moins pour le nombre de contacts que l'on peut y stocker, mais plutôt en nombre de caméras disponibles, de la résolution en pixels, de la capacité mémoire de l'appareil, le type d'OS embarqué (IOS ou Android et même la version de ce dernier), etc. Les termes utilisés sont désormais quasiment les mêmes que ceux qu'on utilisait pour choisir un PC de bureau ou un laptop. Quel rôle pour les opérateurs du secteur dans cette bataille de croissance numérique ? Les opérateurs offrent également, à l'instar de ce que font les fabricants algériens de produits connectés, des apps stores alimentés, soit par des boutiques d'applications qui tendent à promouvoir un développement d'applications et de contenu algériens. Ils le font en particulier en participant et en sponsorisant la création de start-up au moyen de différents programmes pour lesquels les trois opérateurs mobiles, mais aussi celui du fixe rivalisent d'idées et d'innovations, du pur marketing pour courtiser et engranger le maximum d'utilisateurs pour leur plateforme, la rendant attractive par des développements d'applications se voulant proches de leurs abonnés et répondant à leurs besoins. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la pression économique que subissent les opérateurs télécoms qui ont été longtemps habitués à des résultats mirobolants, des EBITDA de 40% à 60% étaient et sont encore pour certains monnaie courante. Ils vivent désormais une pression accrue sur leurs marges due à la baisse des ARPU (Average Revenue Per Unit : revenu par abonné), ils doivent financer des investissements pour la continuité du déploiement de la 3G en quantité et en qualité, ils doivent faire face aux coûts pour financer la croissance naturelle pour égaler et dépasser la concurrence, et surtout se préparer au lancement de la 4G mobile promise par le MPTIC pour la fin de l'année 2015. Partout dans le monde, aussi bien les fabricants que les opérateurs ont très bien compris qu'ils doivent s'adapter aux usages car partout dans le monde, et l'Algérie ne fait absolument pas exception à cela, bien au contraire, les expériences utilisateurs sont de plus en plus centrées sur le développement des services avec une consommation du contenu sous toutes ses formes. Quel est l'impact de l'utilisation du mobile sous toutes ses formes par les Algériens sur l'économie et la croissance ? La prise de conscience de ce que peut faire le numérique n'a jamais été aussi grande. Les Algériens sont totalement acquis aux télécommunications (une télédensité mobile de 116% : plus d'une puce par habitant), plus du quart d'entre eux est connectée (un taux de pénétration à l'Internet de plus de 25% dont près de 80% le sont à partir du mobile). Cet éveil, demandé et poussé à partir du bas, en majorité des jeunes, met à notre portée le développement des logiciels et du contenu et justifie une forte volonté politique pour la prise en charge de la numérisation de la gouvernance de toutes les institutions, ainsi que des entreprises privées ou publiques comme celle de la santé et de l'éducation, pour ne citer que les plus structurantes. A ce titre, il est important de rappeler qu'en Algérie, les Technologies de l'information et de la communication (TIC) ne sont plus le problème, ni leur maîtrise technique d'ailleurs. Ayant cru que c'était la solution, là était le problème, cela nous a fait perdre 15 années de développement qui se sont traduites par une perte de près de 5 points du PIB, avec les dégâts collatéraux sur notre économie que l'on connaît. Continuer à penser que la solution est strictement technologique nous éloignera encore plus de la société de l'information qui se limite pour le moment à une Direction du ministère de la Poste et des TIC. S'entêter à courir derrière la technologie - que nous n'avons plus les moyens d'acheter d'ailleurs - nous ne fera pas profiter de ce que la révolution de l'Internet associée à celle du mobile connecté pourrait apporter à l'amélioration de la vie du citoyen et de ce qu'elle pourrait insuffler comme nouveau souffle pour le développement de notre pays pour qu'une économie numérique bien comprise l'irrigue dans ses moindres coins et recoins. Tous les ingrédients sont pourtant réunis pour nous aider à gagner la bataille de la croissance numérique. Elle nous donnera mécaniquement la croissance économique qui passera et se fera à travers la production du contenu dans tous les sens du terme et la maîtrise de son développement, notamment en libérant et en améliorant le climat des affaires en général et celui de l'entreprise privée algérienne en particulier.