Le comédien algérien Ahmed Benaïssa sera sur la scène du Théâtre Benoit XII du 21 au 25 juillet pour interpréter Haroun, personnage-clé du roman de Kamel Daoud Meursault, contre-enquête (Barzakh éditions Alger et Acte Sud France). Philippe Berling, directeur du théâtre Liberté de Toulon, a adapté l'ouvrage qui a été à deux doigts de remporter le Goncourt et distingué de nombreux autres prix. C'est une suite, tout en étant une création originale, du roman d'Albert Camus L'Etranger qui, aujourd'hui encore, fait partie des livres les plus lus au monde et qui souvent a été monté sur les scènes théâtrales. On se souvient que Meursault, personnage central du roman, tue un Arabe sur une plage. La veille, il avait enterré sa mère sans la moindre émotion, à Marengo, aujourd'hui Hadjout. Cette absence de larmes lui valut les circonstances aggravantes devant les assises. Pour le crime, il sera condamné à la guillotine. En Algérie dès lors, et plus encore après l'indépendance, on s'est insurgé sur cet Arabe littéraire sans visage, sans nom, sans existence. Si certains ont pu dire que Camus avait vu juste puisque l'arabe en situation coloniale n'a pas de réalité, d'autres ont vu dans l'écriture de Camus une arrogance coloniale, voire raciste. Le débat court toujours les milieux intellectuels algériens. La force de Kamel Daoud, et son habileté littéraire ouvrent une brèche. Il crée de toutes pièces une famille réelle, celle de l'Arabe exécuté dans L'Etranger. Il les loge à Hadjout, ex-Marengo (clin d'œil à Camus), dans la cour d'une ancienne maison abandonnée par ses propriétaires en 1962, une tombe, un citronnier, une très vieille femme algérienne (interprétée par l'Italienne Anna Andreotti) et son fils Haroun. Le metteur en scène Philippe Berling, que nous avons rencontré à Avignon, nous a confié qu'«en tant qu'homme de théâtre, on se dit que ce livre est facile à adapter. C'est le spectacle d'un vieil homme qui vient revoir sa mère à Hadjout dans la maison qu'ils ont occupée en 1962, qui lui livre ce qu'il a sur le cœur. Il se libère de ce qui a été raté, les indépendances au pluriel, celle de son pays et la sienne propre». Philippe Berling, en rapport à Camus, a nommé sa pièce Meursault, ajoutant un S au tueur de l'absurde de L'Etranger : «Meursault avec un S, car Daoud avait dit un jour qu'en Algérie on est des millions de Meursaults, dans le sens que tous les Algériens sont des étrangers, dans la veine du livre de Camus, tous sont dans un entre-deux». Il analyse pour nous la personnalité du personnage-clé du roman de Daoud : «Le héros reprend l'exigence de sincérité, de lucidité, de vérité de Meursault». Quant à Daoud, «ce qui fait son succès, c'est comment il revendique l'idée d'éthique personnelle. Chacun est responsable de ses actes et doit assumer un discours sincère, comme Meursault qui reconnaît publiquement dans L'Etranger ne pas avoir eu d'émotion à l'enterrement de ma mère, parce que c'est comme ça. De même, Haroun dit à sa mère : ‘‘Je t'en veux de m'avoir éduqué comme tu l'as fait, de m'avoir fait porter le fardeau d'un frère disparu, j'en veux à mon pays d'être ce qu'il est''. Le dire est un pas vers quelque chose de l'ordre d'une libération». Le livre de Daoud est l'envers du meurtre de l'Arabe dans L'Etranger. Kamel Daoud, lui, fait tuer un pied-noir au moment de l'indépendance par Haroun, frère de l'Arabe assassiné. On est dans la vendetta, œil pour œil, dent pour dent. On se demande ce qu'en aurait pensé Camus. Pour Philippe Berling dans Meursault, «on retrouve des valeurs de Camus. C'est l'absurdité de la chose qui est mise en avant. Le fait de savoir que c'est absurde donne espoir et permet de vivre. Il tue Joseph Larqué parce qu'il est là par hasard et que sa mère lui dit qu'il faut le faire car c'est la vengeance. Haroun n'est pas libéré pour autant. Il en souffre d'autant plus et reprend le verset du Coran : ‘‘Tuer un homme, c'est tuer l'humanité entière''... Je suis maudit, dit-il. Mettre ce piège dans lequel il est tombé, victime éternel et bourreau, cela l'entraîne dans un cercle vicieux. Le dire et le comprendre lui permet toutefois d'en sortir. Le roman est basé sur une situation très commune, très humaine, avec ce triangle infernal de la victime, du bourreau et du sauveur, notion basique de la psychologie, et en même temps la situation colonisé par rapport au système colonial. Cela intéresse beaucoup de monde, autant les Algériens que les Français».