Vue de l'avion, Bangkok, capitale de la Thaïlande, ressemble à un ciel étoilé sur lequel les romantiques peuvent lire leur avenir ou se perdre dans d'interminables rêveries. Cette image est renforcée par les photos diffusées à travers le monde par les opérateurs de voyages. Elle s'harmonise aussi avec le nom de cette ville, le plus long du monde : «Ville des anges, grande ville, résidence du Bouddha d'émeraude (…), ville dédiée à Indra et construite par Vishnukarn.» Cette convergence présente Bangkok et la Thaïlande comme un véritable paradis sur Terre. En revanche, l'intérieur de cette ville laisse peu de place au romantisme, du moins pour les Thaïlandais en proie à des difficultés, qui côtoient quotidiennement des affairistes et des touristes qui représentent une manne financière non négligeable. C'est pour cela que l'Etat ne badine pas avec ceux qui mettent en péril cette inestimable ressource. C'est ce qu'il a fait avec ceux qui sont à l'origine de la crise politique qui a secoué le pays l'an dernier, opposant les «chemises rouges» aux «chemises jaunes». Une crise à laquelle l'armée a mis fin… en s'emparant du pouvoir. Aussi, les mesures de sécurité y sont draconiennes et la limitation de la liberté d'expression très stricte. Dès l'arrivée à l'impressionnant nouvel aéroport international de Suvarnabhumi, ouvert en septembre 2006 et par lequel transitent des millions de voyageurs, on est impressionné par la grandeur, la fluidité et l'organisation qui y règne. Le contrôle quotidien des milliers de passagers venus de toute la planète est rigoureux mais très fluide. A la sortie, trois moyens faciles permettent au visiteur de rejoindre la ville : train, taxi et bus public. Certains essayent de profiter de l'ignorance de ceux qui font leur baptême thaïlandais. Les nombreux hôtels sont à la hauteur des standards internationaux et avec des prix très attrayants. Ainsi, une chambre dans un luxueux hôtel se négocie à moins de 130 euros. Tout est organisé de sorte que le touriste soit incité à dépenser ses sous. Tous les hôtels proposent des circuits touristiques, des massages et des sorties nocturnes. Mais c'est dans les taxis que l'on mesure l'attraction principale des visiteurs, à savoir le tourisme sexuel. Bangkok à travers les yeux des chauffeurs de taxi Il est très facile de trouver un taxi à Bangkok. Mais avec ses presque 9 millions d'habitants, la circulation routière est un cauchemar. Mais elle reste moins infernale que celle d'Alger ou du Caire. Ces milliers de voitures aggravent dramatiquement la pollution, qui est un vrai danger pour la santé publique. Des distances que l'on peut parcourir en 10 minutes dans le magnifique train aérien de la ville, on les fait en 40 minutes en taxi ou en tuk-tuk, qui font partie du décor de la cité. Ce dernier moyen de transport est excellent pour visiter la ville, n'était la pollution et la chaleur tropicale qui réduisent sensiblement leur utilisation. Tous les taxis et tuk-tuk (transporteurs à moto), agréés et bien organisés, sont équipés de plusieurs catalogues promotionnels de divers salons de massage où l'on promet des moments de rêve, voire le 7e ciel. A peine êtes-vous installé et passé les formules de politesse, ils commencent leur baratin dans un anglais approximatif, pour vous proposer des massages, des femmes et accessoirement des lieux de shopping. Trois réclames bi-syllabiques reviennent d'une manière récurrente : tuk-tuk, same same (kif kif) et boom boom (rapport sexuel). Même si la majorité des transporteurs se réclament des «chemises rouges», ils évitent soigneusement de parler politique. L'un d'eux a résumé la situation comme suit : «On ne parle plus couleurs à Bangkok, on parle bath bath (monnaie du pays) et boom boom.» Dans les rues de la ville, les restaurants et les magasins de vêtements rivalisent avec les salons de massage très fréquentés par des Allemands, des Français, des Suisses, des Italiens, des Anglais et des Américains. Même s'il existe de véritables salons de massage et de bien-être où les soins prodigués sont d'une qualité avérée, la majorité d'entre eux ressemblent à de la prostitution déguisée. Le paradoxe, c'est que ce plus vieux métier du monde est strictement interdit par la loi. Curiosités culturelles Fort heureusement, la ville ne se résume pas à cela. Il y a une activité culturelle remarquable. Plusieurs musées, temples, opéras, festivals de films et sites sont mis en valeur et méritent le détour. Entre autres, il y a le Grand Palais royal, cœur spirituel du royaume et jadis demeure des rois, qui est un vrai bijou architectural de style eurasien orné de somptueuses peintures et dont la construction remonte à l'année 1782. On admire surtout la beauté de la résidence royale et le majestueux Wat Phra Kaew (temple du Bouddha d'émeraude), décoré et paré de pierres précieuses. Les touristes affluent en masse et l'entrée est à environ 15 euros. La majorité des visiteurs sont des Chinois qui arrivent par centaines. Den, notre guide, nous informe que «La Chine est proche et la Thaïlande coûte moins cher. Alors, ils en profitent». Les Thaïlandais n'aiment pas trop les Chinois qui dominent l'économie du pays. Les nouveaux riches se montrent arrogants et radins, mais ils en ont besoin. «Vu la cherté de l'entretien du lieu, il serait presque impossible de le maintenir en l'état sans leur apport financier. Surtout que les Européens préfèrent les destinations comme Koh Samui, Pattaya et Phuket», résume-t-il. L'autre curiosité à voir absolument est le fameux marché flottant. Il est situé à 80 km de la ville et il faut compter 60 euros pour s'y rendre en taxi. Les habitants installent leurs magasins, restaurants, stands de fruits ou de souvenirs sur les berges ou dans de petites embarcations. Commerçants et les acheteurs sillonnent plusieurs canaux et commercent. Ces derniers se résument surtout aux touristes. D'ailleurs, l'Etat en profite puisque il a monté des circuits qu'il propose au prix exorbitant de 80 euros pour 2 heures de navigation. Les plus malins se rendent directement au village, où ils peuvent jouir de la même prestation pour 15 euros. «Marhaba» au quartier arabe Le centre-ville de Bangkok est essentiellement composé de quatre quartiers incontournables très bien connectés, surtout avec l'impressionnant BTS (métro aérien) et le MRT (métro souterrain) : Sathorn/Silom, Ratchadapisek Road, Siam/Pahonyothin Road et Sukhumvit Road qui est longue de 15 kilomètres. C'est dans ce dernier que les ressortissants arabes ont élu domicile… et que les touristes et expatriés s'y côtoient. Un petit tour suffit pour s'imprégner de cette ambiance qui tranche avec celle de la Thaïlande. Cet afflux de musulmans s'explique aussi par la tolérance et le respect envers la religion musulmane. En effet, la ville compte plusieurs mosquées qui dénotent une tolérance envers les autres religions qui sont minoritaires dans le pays. A certains endroits, on se croirait dans un pays musulman ou arabe. En effet, des dizaines de restaurants, de magasins et de supérettes sont gérés par des ressortissants du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord. Les plus visibles sont les gens du Golfe qui viennent surtout pour des soins médicaux dans des hôpitaux aux standards européens. Le soir, ils s'adonnent à des soirées arrosées et à la consommation de prostituées qui investissent les alentours des hôtels qu'ils fréquentent. «Venez, je vais vous montrer le marché de la viande tendre», blague un jeune Irakien. En effet, on y trouve un nombre impressionnant de femmes, certaines voilées, mélangées à des «ladyboys». A ce sujet, notre guide blague encore : «Plusieurs se sont fait avoir en pensant qu'ils avaient affaire à des femmes, tellement la ressemblance est presque imperceptible.» Ces dernières années, le quartier a enregistré l'arrivée massive de Syriens et d'Irakiens. Ali, jeune Damascène qui a rejoint son frère depuis 3 mois, nous explique que «la position neutre de la Thaïlande par rapport à la Syrie facilite l'entrée de ses compatriotes dans le pays». Et d'ajouter : «Il y a trois moyens de venir dans ce royaume : visa d'affaires, visa touristique ou visa d'études. Une fois sur place, beaucoup demandent l'asile politique via les organisations internationales.» A notre question pour savoir s'il projette de repartir en Syrie, il répond avec tristesse et fatalisme : «Quelle Syrie ? Il n'en reste plus rien. Mon frère a quitté le pays au début de la crise. Je n'ai pas voulu le suivre. Mais là, il n'y a plus d'espoir.» Les jeunes Irakiens, Egyptiens et Tunisiens vivent des situations difficiles. Ils travaillent surtout comme rabatteurs pour les riches commerçants arabes vendant de la maroquinerie et des montres. Les Algériens à Siam Les Algériens s'aventurent peu si loin. Un jeune Egyptien nous parle de quelques Algériens installés dans le pays. Il évoque un jeune qui gère une discothèque du coin, des marchants de chaussures et surtout des hommes d'affaires qui viennent acheter des pièces détachées pour les voitures. D'autres aussi préfèrent le luxe, le calme et la volupté des Koh Samui, Pattaya et de Phuket. Ce n'est pas le cas de Sam, un Algérien établi en Suisse, rencontré dans une des nombreuses discothèques du quartier, qui vient faire la fête. «Je passe une partie de mes vacances en Algérie avec la famille et, de temps à autre, je romps ce rituel en choisissant une destination exotique», nous confie ce touriste nocturne. Ce soir-là, sa nuit a commencé par un dîner au restaurant Vertigo (référence au film d'Alfred Hitchcock) situé au 64e étage de la tour Banyan Tree offrant une vie panoramique imprenable sur la capitale du Siam. «Je me suis senti comme un aigle dans son nid qui domine la ville», nous dit-il. Curieux et aventurier, il passe ses nuits à naviguer d'un bar à une discothèque en passant par des établissements de spectacles. Mélomane averti, il se montre exigeant : «Dès que la musique me déplaît ou que la sonorisation est médiocre, je change de lieu.» Notre oiseau nocturne peut se le permettre vu le nombre d'établissements existants et les prix abordables pratiqués. Au petit matin, après un after, il rentre prendre le petit-déjeuner avant de se jeter dans les bras de Morphée. Il aura dépensé moins de 100 euros. Ainsi, pendant que certains rejoignent leur lit, d'autres le quittent pour s'adonner à l'agitation de la ville. Le coup d'Etat militaire, qualifié d'«action de restauration de l'ordre» suivi de promesses d'engagement de réformes et l'instauration du couvre-feu ont pesé lourdement sur l'activité touristique. C'est ce qui a mené la junte à lever l'interdiction de circuler entre 22h et 5h. Malgré les pressions internationales qui demandent le retour au processus démocratique, l'armée a annoncé qu'il n'y aura pas d'élections avant l'automne 2016. En attendant, les Bangkokiens profitent allègrement de cette accalmie. Malgré tout, quitter cette cité des anges donne un pincement au cœur. Vue du ciel, avec ses lumières multicolores, elle fait toujours rêver.