Continuant sur leur lancée, et ne voulant pas s'arrêter en si bon chemin, les membres de l'association Numidi Art de Constantine viennent de commettre un autre «délit historique». Contre vents et marrées, et en dépit de toutes les contraintes bureaucratiques d'une administration sclérosée, l'association a relevé le défi en accueillant l'ancien militant de la cause nationale, Mustapha Boudina, samedi à l'ODEJ de la rue Kaddour Boumeddous. Cet ancien syndicaliste au sein de l'UGTA (de Aïssat Idir) et président de l'association nationale des anciens condamnés à mort, connu surtout pour son franc parler, est aussi l'auteur d'un livre au ton poignant et au style cru : «Rescapé de la guillotine». Un témoignage vivant de ce qu'il a vécu à la prison de Fort Montluc à Lyon. La rencontre était aussi une belle occasion pour réunir d'anciens condamnés à mort, dont Saïd Boulahlib, membre du bureau national chargé de la wilaya de Constantine, avec un public intéressé, loin des salons feutrés et des protocoles. «C'est une initiative qui s'inscrit dans le programme des zinzins du cinéma, avec pour objectif d'animer un débat instructif autour d'un film ou un documentaire», annonce Lounis Yaou, président de l'association. Le documentaire du jour a été judicieusement choisi. Il s'agit de l'œuvre d'un journaliste engagé et dévoué. En 2012, Mohamed Zaoui fait la connaissance de Mustapha Boudina. Ce dernier, ancien condamné à mort détenu à la prison de Fort Montluc de Lyon, décide, 50 ans après la fin de la guerre d'Algérie, de visiter ce lieu, devenu un mémorial ouvert au public. Zaoui décide de l'accompagner en réalisant un passionnant film documentaire : Retour à Montluc. Un retour émouvant pour l'ancien condamné n°45, qui se rappelle encore de la cellule n°14 où durant quatre années, il avait attendu d'être guillotiné. A partir de cette cellule, Mustapha Boudina, accompagné par Philippe Rivé, directeur de la prison, fera le tour de la mémoire dans les moindres recoins du lieu. Les cellules auxquelles on a enlevé les portes et les serrures, le couloir par lequel on emmenait les condamnés vers la guillotine, les murs qui racontaient les souffrances et les moments de torture. Tout cela est raconté dans un style sobre mais avec force détail. Boudina se rappelle avec émotion de ses 11 anciens compagnons exécutés dans cette prison, alors que le douzième était mort des suites d'un cancer. Il ne retient pas ses larmes en se souvenant de Makhlouf et de Bougandoura, exécutés le même jour, le premier en présence du deuxième, mais surtout d'Abderrahmene Lekhlifi, passé par la guillotine à l'âge de 17 ans, malgré tous les appels de grâce émis par des rois et des personnalités politiques. Ironie de l'histoire, la prison du Fort Montluc à Lyon a été un lieu de détention où furent torturés des résistants français par des officiers nazis durant l'occupation allemande. Plusieurs personnalités y sont passées, notamment le fameux Jean Moulin. Le lieu, transformé en musée, compte plusieurs portraits des résistants français, mais pas la moindre photo des anciens condamnés algériens. Truffé de témoignages d'éminents défenseurs des droits de prisonniers politiques, le documentaire de Mohamed Zaoui est une précieuse contribution pour l'écriture de l'histoire des anciens condamnés à mort algériens, dont une grande partie demeure méconnue. Estimant avoir failli quelque part pour transmettre cette histoire aux jeunes générations, Boudina lance un appel aux jeunes à travers le message des ces martyrs: «Aimez l'Algérie plus que nous l'avions aimée et vivez pour votre patrie plus que nous l'avions vécu ».