Ils sont certainement les oubliés de l'aspiration algérienne à recouvrer la dignité. Un ouvrage très documenté de Pierre-Jean Le Foll-Luciani intitulé Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale vient remédier à ce manque Pierre-Jean Le Foll-Luciani publie, aux Presses universitaires de Rennes, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Il s'agit là d'un formidable ouvrage qui est d'un apport important pour la connaissance de l'histoire de l'aspiration algérienne à la dignité, à travers une des composantes du pays mal connue encore aujourd'hui, celle des juifs. Un sujet insuffisamment traité jusqu'à présent. L'universitaire a renforcé sa thèse initiale de doctorat pour en faire un ouvrage passionnant de 540 pages accessible à tous les publics. Dès les premières pages, l'auteur nous place face à un corpus historique de première main, basé sur des recherches documentaires souvent inédites et parfois privées, ainsi que sur des entretiens avec des témoins(*) de cette époque qui, non seulement évoquent la cause nationale, mais aussi parlent de la manière dont les juifs ont évolué depuis la colonisation française. Avant de donner corps à l'existence d'une quarantaine de juifs impliqués directement dans la lutte de l'Algérie pour se débarrasser du colonialisme, Pierre-Jean Le Foll-Luciani s'attache à définir les rapports tumultueux des juifs d'Algérie à la question coloniale. Si la puissance coloniale a procédé en 1870 à la naturalisation de cette catégorie d'indigènes, ont-ils vraiment été complètement assimilés à la France, comme le ministre Crémieux en avait l'intention ? La réponse est complexe. L'auteur indique quelques pistes d'une réflexion utile. Ainsi en est-il d'un moment décisif pour la population juive d'Algérie : l'abrogation du décret Crémieux par le gouvernement de Pétain en 1941. A ce moment-là, le racisme latent vis-à-vis des juifs «dénaturalisés», constant dans la population européenne d'Algérie, va se faire jour sous ses aspects le plus noirs. Plus vraiment indigène donc par l'histoire d'une assimilation remise en cause, mais irrémédiablement indigène par la culture et la langue qui les rapprochaient des musulmans, comment les juifs se positionnèrent face au déclenchement de la Révolution algérienne ? Pierre-Jean Le Foll-Luciani traite avec justesse des «sociabilités transgressives au regard de l'ordre colonial» et comment «ces militants sont des ‘‘patriotes algériens'', en confrontant les discours et pratiques politiques aux vécus des militants juifs quant à ce sentiment d'appartenance à une nation ou une patrie algérienne». Aujourd'hui, alors qu'on aborde le 53e anniversaire de l'indépendance, ce livre nous pousse à regarder en arrière et mesurer les pots cassés d'une Révolution qui a éparpillé ses enfants sur des chemins de traverse.
Pierre-Jean Le Foll-Luciani, Les juifs algériens dans la lutte anticoloniale. Trajectoires dissidentes (1934-1965), Presse universitaire de Rennes, 2015. Pierre-Jean Le Foll-Luciani est aussi l'auteur d'une monographie sur William Sportisse : Le Camp des oliviers, aux mêmes éditions en 2012 (paru à Alger chez El Ijtihad) * Les témoins : Emile Adjedj, Pierre Aïach, Simone Aïach, Paul Amar, Lucien Amzeleg, Emile Attali, Jacques Azoulay, André Beckouche, Arlette Beckouche, Jean Beckouche, Jean Benhaïm, Guy Bensimon, Andrée Bensoussan, Paul Bouaziz, Elie Chaïa, Rolland Doukhan, Guy Fève, Rubens Fitoussi, Georges Hadjadj, Hubert Hannoun, André Hanoun, Lucien Hanoun, Pierre Khalifa, Arlette Morali, Claude Ouazana, Jean-Pierre Saïd, Josette Saïd, Jacqueline Schecroun, Claude Sixou, Albert Smadja, William Sportisse, Gabriel Timsit, Jean Timsit, Martine Timsit-Berthier, Daniel Touboul.