Le film, en sélection officielle au 68e Festival international du film de Locarno, en Suisse, sera projeté mardi 11 août en avant-première mondiale. Et c'est au sein de la rédaction du journal El Watan que le réalisateur a choisi de vivre, à travers le prisme des journalistes, des responsables de la rédaction ainsi que des équipes techniques, l'élection présidentielle d'avril 2014. «Après vingt années d'existence et de combat de la presse indépendante algérienne, de joies et de pleurs, j'ai décidé d'installer ma caméra au sein de la rédaction d'El Watan qui suit l'actualité de ce nouveau printemps algérien», résume ainsi Malek Bensmaïl dans sa présentation du film-documentaire. «Le président Bouteflika brigue un quatrième mandat. Au-delà de ce qu'on appelle ‘‘les révolutions arabes'' et autres termes médiatiques, ce film, je le souhaite avant tout comme une contribution à la mémoire des femmes et des hommes, jeunes et moins jeunes, qui mènent un combat au quotidien afin de préserver la liberté d'informer dans un pays politiquement et socialement sclérosé», ajoute-t-il. Le documentaire, dédié à la mémoire de la centaine de journalistes assassinés durant la décennie noire, se veut un questionnement sur la démocratie, la liberté d'expression et sur ce que cela implique. «Un film qui révélerait en quelque sorte la pensée journalistique et qui mettrait en lumière le concept du ‘‘contre-pouvoir'', à la fois comme enjeu de liberté et de démocratie», explique le réalisateur. Et c'est une note du réalisateur Pier Paolo Pasolini, quant à son film La Rage, que cite Malek Bensmaïl afin de symboliser un peu plus son idée. Dans cette note, Pasolini décrit ce qu'est la normalité après la guerre et l'après-guerre. Cette normalité où l'on ne regarde plus autour de soi, car «l'homme tend à s'assoupir dans sa propre normalité, il oublie de réfléchir sur soi, perd l'habitude de juger, ne sait plus se demander qui il est». «La rage commence là, après ces grandes, grises funérailles», conclut Pasolini. Et c'est en lisant ce texte que M. Bensmaïl «repense à la rage des journalistes algériens qui ont trop souvent été les oubliés de notre histoire si douloureuse. Rappelez-vous, plus d'une centaine d'entre eux ont été les victimes d'une guerre civile sanglante. Le film leur rend hommage. Revenu à la ‘‘normalité'', on ne regarde plus, on n'écrit plus, on ne filme plus l'Algérie d'aujourd'hui qui s'indigne, qui s'exprime. C'est un temps mort pour les Algériens, pour le monde», regrette-t-il. Système verrouillé et langue comme objet de controverse. Il s'agit, ainsi, «pour la première fois, de s'intéresser à eux et de demeurer avec eux, loin d'une actualité médiatique, sanglante ou ‘‘printanière''. Prendre le temps d'écouter, d'observer. Prendre le temps de saisir et d'examiner la pensée, la réflexion et le travail au quotidien des journalistes». Ce qui n'est pas chose aisée tant la presse demeure tiraillée et prise en tenaille par différents courants de pression, et tant l'accès à l'information reste le talon d'Achille d'un système «politique verrouillé et autoritaire», ayant érigé l'omerta en mode de communication et de gestion. «Paradoxalement, ce même ‘‘système'' a permis, il y a vingt-cinq ans, l'unique liberté possible, celle de l'expression dans la presse écrite. Ce système a en effet permis la naissance d'une presse dite ‘‘indépendante'' ou libre dans les années 90'», rappelle le réalisateur. Après les années de braise qui s'ensuivirent, «aujourd'hui la violence contre les médias s'est quelque peu atténuée, mais les journalistes restent tout de même les adversaires ou les prisonniers des dirigeants politiques, des militaires et des personnalités influentes du pouvoir», affirme M. Bensmaïl. Diverses observations qui n'ont pu que faire naître chez le réalisateur, scrutateur «quasi-obsessionnel de la complexité de la société», une longue série de questionnements, qui vont de la nature même du pouvoir inhérent à la presse, à la problématique de la langue, instrument et objet de controverses politiques. «La langue française est-elle devenue un enjeu de contre-pouvoir en Algérie ?» s'interroge-t-il d'ailleurs. Plus qu'une élection jouée d'avance, et au-delà de «montrer les violences» ou de «raconter l'actualité», Malek Bensmaïl veut son film comme un «accompagnement de la mémoire audiovisuelle contemporaine». Car il y va, selon lui, d'un devoir d'enregistrer «une démocratie qui peine à naître, mais qui se construit, malgré tout, jour après jour».