Aliénations, vient de sortir en Algérie. Un défi pour un documentaire d'être projeté dans une salle commerciale. Un film qui se doit ainsi d'être regard par le plus grand nombre de spectateurs. Le réalisateur y a filmé des «personnes qui nous ressemblent». Malek Bensmaïl traduit en effet, le malaise social qui règne dans notre pays. Ecoutons-le. L'Expression: Depuis la sortie du film Aliénations, en 2004, peut-on connaître l'impact qu'il a eu sur le plan international? Malek Bensmaïl: Aliénations est sorti dans 19 salles en France. Il est actuellement en projection en Allemagne, dans 60 salles et ce, grâce à un distributeur allemand qui a été très intéressé par le film. Il a participé dans beaucoup de festivals. Il est sorti aussi en Belgique. Il a remporté environ 15 prix internationaux. Mon souhait est vraiment de rapatrier tous mes films ici, en Algérie. On essaye un peu de sensibiliser ici les quelques exploitants de salles en Algérie. Je suis convaincu qu'il y a aussi bien dans la population que dans la communauté estudiantine, les journalistes, les médecins, un public qui est là mais qui ne sort pas, qui n'a pas vraiment envie de sortir mais qu'il faut remobiliser et resensibiliser. Je ne sais pas comment. En tout cas, je voudrais que ces films-là puissent sortir, que ce soient les miens ou ceux de Djamila Sahraoui, et vus par le plus grand nombre de spectateurs et pas uniquement à Alger. On n'a pas pu le sortir à Constantine, parce que les salles sont fermées. Sortir du carcan commercial est bien. Je pense qu'il faut montrer des films commerciaux, mais je pense que ces films, notamment celui-ci, ont leur importance. En tout cas pour la mémoire collective algérienne, ils ont leur place. Votre projet de film traitera de l'enfance, alors? Il s'agit de la chronique d'un village dans les Aurès, vu à travers les regards des enfants, c'est-à-dire, comment les enfants, aujourd'hui nous regardent, nous adultes. Comment ils regardent les parents, comment ils jugent, ce qu'ils apprennent à l'école, vraiment tous ces éléments. La caméra va se positionner au niveau des gamins qui ont à peu près 10-11 ans. Je les accompagne pendant toute une année à travers une série d'activités au quotidien, sur les quatre saisons : l'automne, l'hiver, le printemps et l'été. Je saurai quel regard ils portent sur leur propre société. Justement, alors Malek Bensmaïl s'attache toujours à rendre compte d'un regard sur la société, mais d'une manière détournée. Non, pas détournée. Je crois que tous ces personnages sont importants pour moi, que ce soient les malades mentaux, les enfants, les juges, les flics, les journalistes. Ce sont des personnages qui font partie de la société civile et quoi de mieux que de choisir ces personnages-là pour traiter de la société algérienne, parce que je pense que ce sont eux qui forme, la société. Ce n'est pas le pouvoir, ni le système. C'est eux qui font la société de tous les jours. C'est eux qui travaillent, qui se débattent dans leur quotidien. Moi je me rapproche de cette dimension humaine en tout cas. J'aime beaucoup cette humanité, cette relation humaine que je consacre dans mes films documentaires. Un mot sur la censure du film Le grand jeu par certaines chaînes de télé françaises... Le grand jeu est censuré à l'étranger, plus précisément en France. C'est un film qui a été financé entre autres par les chaînes françaises. Il traite du fonctionnement de la démocratie en Algérie. Il s'est avéré qu'il a été programmé par deux fois, par TV5 et la Chaîne parlementaire (chaîne politique en France). Il a été déprogrammé, probablement pour ne pas froisser Bouteflika, parce que, effectivement, le film suit la campagne et les coulisses du QG de Benflis. Mais peu importe. Je crois que, vu les relations politiques qu'il y a aujourd'hui entre l'Algérie et la France, ils ont eu peur de montrer ce film, normalement comme on pourrait montrer n'importe quel film. Ils ont eu peur de la réaction d'Alger, que celle-ci l'interprète mal comme si c'était une attaque contre Bouteflika. Ce qui n'est pas du tout le cas. C'est un film qui montre comment fonctionnent les élections, avec les meetings, les problèmes algériens, etc. Je crois que c'est un excès de précaution et c'est l'hypocrisie française qui fait qu'aujourd'hui, quand Michael Moore fait un film contre Bush, on va l'encenser et lui donner la palme d'or et c'est diffusé partout et quand il y a un film anti-Berlusconi, c'est la même chose, et quand il y a un film sur l'Algérie il faut prendre l'Algérie avec des pincettes et on ne peut pas dire n'importe quoi. Il faut faire attention...Je crois que cet excès nuit à notre démocratie. C'est un film qui raconte la difficile évolution démocratique dans notre pays. Mais c'est une réalité, je suis persuadé que si je viens le montrer ici, il y aura moins de problèmes qu'en France. Cela est la réalité française aussi. Le documentaire peut aussi faire peur. Il peut être utilisé, alors il faut veiller à ce qu'il ne soit pas utilisé à des fins politiques. D'autant qu'un film, a fortiori un documentaire, a toujours un message à transmettre... L'idée est aussi de faire vivre ces films-là et les montrer.