Des dizaines d'agents de sécurité, travaillant pour Sonatrach dans le sud du pays, protestaient dimanche dernier, réclamant l'amélioration de leurs conditions de travail. Deux ans après les grèves des travailleurs des entreprises de sous-traitance à Hassi R'mel, le code du travail est toujours violé. Ceux qui ont protesté ont été marginalisés. Djamel, 27 ans, ne travaille plus pour 2SP. Ce jeune homme de Hassi R'mel a été licencié par l'entreprise de gardiennage, sous-traitante pour Sonatrach. Désormais, il «bricole» pour faire vivre sa famille. En 2013, ce fils d'ouvrier du secteur pétrolier a tenté d'obtenir de meilleures conditions de travail. Dans la même ville, Samir était employé par une société de catering, elle aussi sous-traitante de Sonatrach. En 2013, il a fait grève, participé aux discussions avec les entreprises, suivi les décisions de la justice. Il a été licencié et aujourd'hui, il vit à Blida où il veut monter sa patisserie : «J'ai refusé de continuer à être un esclave et j'ai quitté le Sud.» Au sein de 2SP, entreprise qui assure la sécurité des sites d'hydrocarbures, les salariés dénoncent les différences de traitement entre salariés des entreprises de sous-traitance et ceux de Sonatrach. La durée d'une journée de travail est de 8 heures pour un agent de sécurité Sonatrach, 12 heures pour un agent de 2SP qui gagne 35 000 DA par mois. Les agents de sécurité multiplient les jours de protestation, font face aux licenciements, et reprennent la grève pour demander la réintégration de leurs collègues. Le conflit dure plus d'une année. En mars 2014, pendant la campagne pour l'élection présidentielle, des agents de sécurité de 2SP de plusieurs villes du pays se sont réunis devant le siège de Sonatrach pour manifester. Face à un important cordon policier, ils ont déployé ce jour-là une longue banderole peinte en rouge et réclamé d'être traités «à égalité». Sonatrach emploie, de manière indirecte, plus de 16 000 agents temporaires de sécurité. Un décret limite leur embauche à un contrat à durée déterminée. Si la durée de ce contrat a été allongée, les employés n'ont toujours pas le droit de bénéficier de certaines primes ou de créer un syndicat. A la même époque, 1161 salariés des entreprises de catering ont lancé une grève de la faim. Employés par Cieptal, Saha ou Bayat, ces hommes demandent que les jours fériés travaillés soient payés, qu'on leur accorde des primes de rendement individuelles et que le salaire atteigne le salaire minimum légal. Représailles En juin 2013, plus de 60 jeunes hommes des sociétés de catering sont licenciés. Malgré la décision du tribunal de Laghouat annulant certains licenciements, ils ne seront jamais réintégrés. En avril 2014, une quarantaine d'agents de 2SP qui avaient participé au mouvement social sont licenciés, plusieurs dizaines d'entre eux mutés dans l'extrême sud du pays. Dans la foulée, après une tentative de grève, les employés d'une entreprise de jardinage de Hassi R'mel sont licenciés. Ils demandaient à bénéficier du transport, de la restauration et de l'amélioration de leurs conditions de travail. Depuis, les grèves ont pratiquement cessées, les rassemblements ont diminué. «La situation s'est dégradée. Les gens ont peur. Ils sont responsables de familles. Ceux qui ont été licenciés vivent grâce à la solidarité, et certains se débrouillent pour travailler dans les marchés, dans de petits commerces», explique Boukhari Boumidouna, militant et retraité de Sonatrach vivant à Hassi R'mel. Les conditions de travail, elles, ne sont pas améliorées. Rapport de force «Les entreprises privées actuelles payent de maigres salaires, les employés ont beaucoup de travail et les heures supplémentaires ne sont pas payées. Ils travaillent en prenant des risques puisqu'il n'y a pas de moyen d'assurer leur protection. Les multinationales font travailler les gens comme des esclaves», déplore-t-il. «Il n'y a pas eu d'amélioration pour les travailleurs. Les cadences de travail et la multiplication des CDD ne sont toujours pas conformes au droit du travail, explique Mouloud Boumghar, juriste. Les salariés sont précarisés. Le contexte ne leur est pas favorable. Les syndicats autonomes sont faibles, les entreprises de sous-traitance de sécurité sont gérées par d'anciens officiers et certaines sont des filiales de multinationales, aguerries aux conflits sociaux. Comment des travailleurs peuvent-ils négocier une amélioration de leur convention collective dans ces conditions là ?». Dans la wilaya de Hassi R'mel, l'entreprise 2SP a finalement été remplacée par l'entreprise Vigilance pour assurer la sécurité des sites des hydrocarbures. Mais au début de l'année, les employés de la nouvelle boîte ont eux aussi protesté pendant trois semaines pour demander une augmentation de leur salaire de 40 200 DA. C'est la police qui a violemment mis fin aux rassemblements. Après six mois de calme relatif, la semaine dernière, les agents de sécurité de Sonatrach ont relancé le mouvement social. Il ne s'agit pas de sous-traitants, mais les salariés de DSP demandent à être traités comme les autres salariés de la compagnie nationale. Isolés «Il y a un schéma qui se répète, note Mouloud Boumghar. Des salariés qui ont des revendications commencent par vouloir fonder une section UGTA, puis quand le syndicat se rend compte qu'il ne parviendra pas à contrôler la section, ils falsifient les élections. Quand les travailleurs le comprennent, ils font le choix d'un syndicat autonome. Mais l'UGTA récupère le mouvement, l'étouffe et isole ceux qui résistent. Les choses reprennent leur cours jusqu'à la grève suivante. L'UGTA a un rôle anti-travailleurs, celui de casser les grèves.» Les jeunes de Hassi R'mel sont amers. Mais Boukhari Boumidouna est confiant : «Hassi R'mel était un exemple de protestations pacifiques dès 2011. Le mouvement social est terminé, mais c'est temporaire. Il y a un avenir pour le changement. La mémoire ouvrière est vivante, elle finit toujours par revenir.»