Saipem, Sonatrach, Cieptal, Michelin... Dans ces entreprises, les directions enfreignent le droit du travail au détriment des salariés. Alors que l'inspection du travail promet de durcir les amendes contre les entreprises hors la loi, rien se semble protéger les employés. Cela s'est fait de manière insidieuse. Au fur et à mesure que les mois passaient, la direction de Saipem tentait d'éviter le désastre financier. Aux premières révélations de complicité de corruption, l'entreprise a perdu des contrats ; elle a mis un terme aux contrats courts, proposé des missions à l'étranger à ses employés, tenté de forcer à l'expatriation de salariés vers la Libye. Les salariés étaient très inquiets, mais la direction semble abandonner ces projets. Le calme est revenu. Jusqu'aux nouvelles révélations de la justice italienne, en septembre. Aujourd'hui, Saipem n'a plus aucune commande de Sonatrach et ses 252 employés en CDI pèsent sur ses finances. L'entreprise a donc décidé de «réduire les coûts de fonctionnement de la société», «optimiser les ressources» pour «garantir l'intégrité économique» de l'entreprise, selon un document interne. Le contrat de location du rutilant siège social va être rompu. Les employés vont revenir dans leurs locaux initiaux, à Poirson. L'objectif est clair : il faut «tout liquider avant la fin de l'année», affirme un salarié. La direction a donc proposé aux employés en CDI de choisir entre l'expatriation et le départ volontaire. Mais ceux-ci s'estiment lésés. «Toutes les propositions d'expatriation concernent des pays instables comme la Libye ou l'Irak, où personne n'acceptera d'y aller, explique un salarié. Et surtout, ils louent en réalité nos services à une société de recrutement, similaire à une entreprise d'intérim, qui pourrait nous lâcher dès que le contrat arrive à son terme.» Quant au départ volontaire, il est tout simplement illégal : «Les ressources humaines nous ont proposé un mois de salaire net par année d'ancienneté comme prime de départ. Mais la loi exige au minimum un mois de salaire brut !» Les salariés sont d'autant plus en colère qu'ils estiment ne pas être à l'origine des difficultés économiques du groupe : «Nous n'avons pas participé à la faillite actuelle. Ils nous ont utilisés et c'est nous qui allons payer ! En plus, quand on dit qu'on vient de Saipem, dans les autres sociétés, on est brûlés !» Pressions Les salariés souhaitent désormais que des représentants du personnel puissent négocier avec la direction. La création d'un syndicat n'a pas pu se faire. L'UGTA n'aurait pas aidé les salariés. Avec le comité de participation de l'entreprise comme interlocuteur, Saipem a finalement accepté la création d'un «comité ad hoc», sur les conseils de l'Inspection du travail. Ce comité doit être élu le 17 novembre, mais les salariés dénoncent déjà des pressions. A Hassi R'mel également, on dénonce des pressions. Le 8 novembre, la direction régionale de Sonatrach a publié un communiqué à destination des travailleurs : «Les rassemblements non autorisés ainsi que la distribution de tracts, pour quelque motif que ce soit, sont passibles de sanction pouvant aller jusqu'au licenciement.» Depuis quelques semaines, les salariés tentent d'obtenir le versement de leur indemnité d'expérience, une prime garantie par la convention collective de l'entreprise, qui n'a jamais été versée depuis 2009. Des revendications que l'UGTA ne semble pas pressée de satisfaire. Aucune assemblée générale du personnel n'a eu lieu en deux ans. Dépassée par les rassemblements, la direction veut intimider les contestataires. «Cette semaine, les responsables ont affiché un tableau des sanctions passibles par les salariés», raconte un employé. «Le directeur de la production m'a menacé verbalement, affirme un syndicaliste qui a été exclu de l'UGTA en représailles. Ces gens-là sont capables de tout pour éviter la contestation et préserver la stabilité de la région.» Ce n'est pas la première fois que les travailleurs de Sonatrach de Hassi R'mel se retrouvent dos au mur. Les revendications sont multiples : heures supplémentaires mal indemnisées, congés payés remplacés par des récupérations moins chères pour l'employeur... Le droit du travail n'est pas respecté. L'Inspection du travail a été saisie. Pour autant, les salariés ont peu d'espoir. «Nous suivons la procédure réglementaire pour pouvoir aller devant le tribunal au besoin, explique le syndicaliste, mais nous savons bien que notre justice est à deux vitesses. S'il faut utiliser d'autres moyens, nous le ferons.» Car dans la ville, les exemples de mobilisations bridées par les directions se multiplient. Chez le sous-traitant de sécurité 2SP, les salariés ont entamé mercredi leur deuxième mouvement de protestation de l'année. La première fois, alors que des jeunes salariés de Ouargla menaçaient de se suicider, les responsables avaient pourtant réussi à convaincre toute l'entreprise que les revendications seraient entendues. Abus Le code du travail spécifie, entre autres, que le CDD doit rester une exception et que la décision de licenciement doit obligatoirement être précédée d'un entretien. Des règles de droit que les employeurs bafouent sans être inquiétés. Les employés sous-traitants des entreprises de catering de Hassi R'mel l'ont appris à leurs dépens. Ceux qui réclamaient des conditions de travail décentes n'ont pas obtenu de nouveau CDD, malgré la décision de justice qui affirmait que leur grève était parfaitement légale. Comment comprendre la déclaration de l'Inspection du travail qui avait promis, le 7 novembre de durcir les sanctions contre les infractions concernant le respect du salaire minimum, les congés, le salaire et le repos hebdomadaire, alors que cette instance n'arrive pas à obtenir le respect des lois par des entreprises nationales comme Sonatrach ? «Il y a un grand écart entre la loi et la pratique, estime Yacine Zaïd, militant et ancien employé d'une multinationale. La loi est claire, mais l'employeur refuse de reconnaître les décisions de justice, lauqelle n'arrive pas à s'imposer.» Un cadre de Sonatrach tempère : «Dans les entreprises publiques, nous avons des conventions collectives, des règlements intérieurs, alors que les conditions de travail dans le privé sont absolument catastrophiques.» Le plus souvent, les salariés licenciés abusivement passent deux années dans les tribunaux avant de recevoir une indemnité de 300 000 ou 400 000 DA. «La conséquence, conclut Yacine Zaïd, c'est que les salariés savent qu'ils ne font pas le poids face à leurs employeurs. Cette situation leur permet d'abuser de leur personnel sans être inquiétés.»