Avec les mauvais indicateurs qu'enchaîne l'économie nationale depuis l'amorce de la chute des prix du pétrole sur le marché mondial et l'aggravation du déficit de la balance des paiements, craintes, inquiétudes et interrogations sont affichées de part et d'autre sur l'impact social d'une telle situation. Certains prévoient une poussée inflationniste, d'autres évoquent l'amenuisement des transferts sociaux et ils sont aussi fort nombreux à s'interroger sur le sort que réservera le gouvernement aux projets relevant des secteurs sociaux. Même si le Premier ministre, Abdelmalek Sellal assure que les programmes sociaux de l'Etat ne seront pas touchés par les coupes budgétaires, les appréhensions ne manquent pas sur ce dossier. Mais pour le l'heure, le point qui inquiète le plus est le risque inflationniste. Un dinar dévalué rime pour bon nombre d'observateurs avec la hausse de l'inflation et l'effondrement du pouvoir d'achat déjà en érosion. En effet, avec la dépréciation progressive de la monnaie nationale, le processus inflationniste, compressé actuellement par les subventions mal ciblées de l'avis des experts, pourrait être de nouveau enclenché. Amar Takdjout, de l'Union générale des travailleurs algériens (UGTA) évoque justement cette éventualité. A l'heure actuelle, si on commence à voir les choses, on ne peut pas parler d'impact. Mais à moyen terme, la dévaluation du dinar va se répercuter sur le pouvoir d'achat des Algériens avec des produits plus chers. Les commerçants commencent déjà à avancer cet argument pour justifier la hausse des prix de certains produits. «Attendez-vous à des produits plus chers avec la baisse de la valeur du dinar», lancent-ils à l'égard des consommateurs affectés par la montée en flèche de certains prix. C'est dans ce genre de situations que les prix flambent au-delà de la logique économique de crise. Même dans les économies occidentales, les crises provoquent une double augmentation : une augmentation logique pour compenser l'augmentation des prix des inputs, mais également «une augmentation illogique, d'opportunité pour profiter de l'aubaine et de l'avènement où on fait tout passer. Chez nous, l'ambiance est telle que l'augmentation illogique va tendre vers des niveaux alarmants», fera remarquer un expert. Avec ce risque, notera Abderrahmane Mebtoul, «les banques devront forcément relever leur taux d'intérêt, qui doit être supérieur au taux d'inflation pour éviter la faillite, ne pouvant plus être recapitalisées via la rente des hydrocarbures.» Les couches vulnérables plus affectées La dévaluation rampante du dinar équivaut à réaliser une épargne forcée au profit de l'Etat en amenuisant les revenus mais également l'épargne en liquide accumulée, thésaurisée qui tendrait vers zéro. Quelles seront les conséquences dans ce cas ? En réponse à cette question, M. Mebtoul nous dira : «Dès lors se manifestera l'insolvabilité de bon nombre de citoyens du fait de la hausse des taux d'intérêt et de la baisse de leur pouvoir d'achat, ayant acquis soit des logements à des taux d'intérêt bonifiés ou ayant bénéficié d'autres avantages financiers et fiscaux avec pour conséquence une véritable crise économique, sociale et politique.» On parle déjà d'un taux d'inflation à deux chiffres. «Il faut que l'Etat se mette à définir 3 ou 4 grands axes à subventionner et réorganiser ses dépenses. Si l'on compte l'effet du marché parallèle et les facilités accordées aux investisseurs, l'inflation en Algérie serait à 2 chiffres», nous dira un autre expert financier pour qui il est temps de redéfinir l'espérance historique des prix du pétrole avec une valeur à risque conséquente pour se prémunir d'une crise de la balance des paiements et éviter la poussée inflationniste et par ricochet l'instabilité sociale. Car ce seront bien évidemment les revenus fixes et les bas salaires qui seront touchés par ce phénomène. Déjà que les prix sont assez élevés par rapport aux revenus moyens. Certes, le rythme d'inflation annuel s'est stabilisé à 5% en juillet 2015 par rapport au mois de juin, mais à la lumière des prix affichés sur le marché actuellement, ce taux s'annonce haussier pour le mois d'août, notamment avec la forte croissance des prix à la consommation des produits agricoles frais, comme le constatent les consommateurs ces dernières semaines. De l'avis des économistes, c'est le dossier le plus important qu'il y a lieu d'attaquer en cette période de chute drastique des recettes pétrolières pour éviter le gaspillage. Mustapha Mekidèche, vice-président du Conseil national économique et social (CNES) abonde dans ce sens. «Le grand principe est de cibler les ménages dont les revenus sont faibles, ou soutenir par des formules qui limitent les fuites des subventions. Cela peut se faire, le dispositif existe, des pays l'ont fait», affirme-t-il, relevant en outre que «c'est un dossier d'actualité». L'autre conséquence sur le plan social c'est de décaler la prise en charge de certaines urgences dans les secteurs. C'est le cas précisément de la santé. La santé dans l'œil du cyclone «Comparativement aux autres secteurs sociaux comme l'Education, l'Enseignement supérieur, la sécurité sociale et la Solidarité qui ne sont pas concernés de façon ‘‘frontale'' par le brusque effondrement des recettes extérieures car utilisant peu les produits et services d'importation (inputs), par contre la santé est directement dans l'œil du cyclone», nous dira à ce sujet M. Lamri Larbi, économiste de la santé. Pourquoi ? «Car utilisant des inputs importés que sont les équipements médico-techniques, les moyens de transport médicalisés, les médicaments importés, vaccins et matières premières et principes actifs pour la production locale des produits pharmaceutiques, sans oublier les aciers et le ciment pour la construction des nombreuses infrastructures sanitaires programmées», expliquera-t-il. «L'histoire mondiale contemporaine nous a enseigné que l'avènement des crises financières et économiques mondiales s'accompagnent fatalement de coupes budgétaires drastiques qui affectent d'abord, en premier lieu, les secteurs sociaux qui sont par nature non producteurs directs de PIB mais favorisent sa croissance comme expliqué précédemment», poursuivra notre interlocuteur qui prévoit d'emblée des retards dans le programme de construction de nouveaux CHU et de nombreuses structures sanitaires. «Ce programme sera fatalement retardé d'au moins 5 ans», prévient-il. Menace sur le programme de lutte contre le cancer Allant plus loin, il évoque même le creusement des inégalités sociales devant la santé. Il citera l'exemple du plan national cancer 2015-2019. «La déclaration présidentielle d'accorder la priorité nationale à la lutte contre le cancer est contrariée par le retournement du marché pétrolier dont tous les indicateurs et les tendances laissent présager une accentuation de l'effondrement des prix sur la longue période et qui va au-delà de la période du plan cancer 2015-2019», précisera-t-il. Pour M. Larbi, avec un budget prévisionnel évalué à 178, 674 milliards de DA, ce plan qui souffre déjà d'une insuffisance en matière de prévision financière sur le long terme risque d'être touché par la perte de pouvoir d'achat du budget prévisionnel, du moins pour les intrants importés - équipements d'oncologie et médicaments - induite par la perte de valeur du dinar. Car, expliquera-t-il encore, «au moment où a été évalué financièrement le Plan cancer 2015-2019, les 178,674 milliards valaient ce montant, mais pour les années à venir ce montant subira une forte dépréciation à cause de l'inflation, ce qui risque de le rendre caduc». Et ce, d'autant que les budgets ne pourront pas être augmentés pour compenser cette perte de valeur du dinar. M. Larbi va plus loin et évoque même une éventuelle révision de la question de la gratuité des soins à moyen terme. «Si l'inondation du marché pétrolier s'installe dans la durée, la révision de ce principe constitutionnel va être engagée par une contribution d'abord modérée des usagers pour augmenter graduellement», notera-t-il rappelant les mesures prises lors des précédentes crises. Il y a eu déjà durant la crise des années 80' et 90' avec l'arrêté ministériel instituant l'arrêt définitif de la distribution gratuite des médicaments en médecine ambulatoire depuis 1985 et celui de 1986 qui a institué une participation des usagers à hauteur de 20% du coût des examens, explorations et analyses. Il y a eu également celui de janvier 1995 (en pleine période d'application du plan d'ajustement structurel négocié avec le FMI et la Banque mondiale) et qui a institué la participation des usagers à hauteur de 50 DA (consultation de généraliste),100 DA (consultation de spécialiste) et 100 DA (journée hospitalière) avec des exemptions en vigueur jusqu'à ce jour. L'expert conclut qu'une contribution plus importante des usagers au financement des prestations de santé dans les établissements publics n'est pas évitable.