Après la guerre de Libération nationale, qui a vu la participation massive des Algériennes, les femmes ont été rappelées à la cuisine. Après 50 ans d'indépendance, cette moitié de la société, qui peine toujours à investir les lieux publics, quitte la maison pour tenter de se réaliser dans l'espace public ! «Madame, montez dans la salle familiale, ici c'est pour les hommes», nous demande le serveur d'un relais routier à El Achir (Bordj Bou Arréridj). Dans des salles dites familiales, les femmes sont conviées à s'isoler sans être accompagnées par leur famille, comme le nom l'indique. Pire, à Aïn Oulman, à 30 km de Sétif, les fameux restos de grillades isolent les «familles» dans des cabines. Entourées de rideaux, les femmes arrivent à peine à apercevoir le serveur. Cependant si dans ces restaurants l'isolement est choisi par les hommes et les traditions, ailleurs les femmes investissent elles-mêmes les endroits exclusivement féminins. A Batna, Habiba Bouzehafi est la patronne du café L'Aurassienne, un salon qui porte le nom de la femme de la région. «Les femmes trouvent tout ce dont elles ont besoin dans mon café ! D'ailleurs, des femmes d'affaires de la ville donnent leur rendez-vous ici», nous confie-t-elle. Piano dans un coin, sa fille interprète des morceaux. «Je tenais à ce qu'elle soit musicienne ! Comme la décennie noire a tout ravagé en Algérie, je fais tout pour refaire sortir les femmes de chez elles en leur faisant écouter ce que ma fille sait jouer», explique Habiba. Sous un autre concept-idée ramené des Emirats arabes unis, Amel Bouraou est la directrice du club touristique Marina Club à Bordj El Bahri. Il est le premier dans son genre en Algérie, puisqu'il comporte des plages artificielles avec verdure et oasis, une bibliothèque et une salle de conférences. «C'est un club pour femmes intellectuelles», dit sa patronne. Amel Bouraou est sûre de rendre service aux Algériennes. «Elles nous viennent de tout le pays et sont très satisfaites.» Selon la gérante, l'Algérie est un pays musulman, et il faut se fier à ses traditions. «Certaines femmes ne nageaient pas, puisque leurs époux leur interdisaient la plage. Désormais, avec notre club, elles sont libres de venir tout en laissant leur mari la conscience tranquille.» Machisme Clairement, la possessivité des maris est l'un des facteurs qui nourrit ce commerce. D'après Lila, femme chauffeur de taxi, «il m'arrive de travailler exclusivement pour les femmes, les maris m'appellent spécialement parce que je suis une femme et ils sont prêts à payer une fortune pour ça». Le voile est un autre élément que les femmes prennent en considération dans les milieux qu'elles fréquentent. Sabiha, 26 ans, pense qu'on devrait créer davantage ce genre d'endroits : «Avec mon voile je ne peux être à l'aise devant les homme à nager ou à faire du sport.» Se plaignant du machisme et de la société masculine qu'est la nôtre, plusieurs femmes accueillent l'idée de la séparation avec bonheur. «On connaît tous la société algérienne, masculine, il n'y a pas une seule femme qui ne se plaint pas des regards des hommes ou de leur provocation», s'exclame Yasmine, 27 ans. Pour cette jeune femme, la solution c'est de s'éloigner des hommes, car leurs regards sont trop violents. «J'aurais aimé avoir un café pour femmes, puisque les hommes jugent mal que j'entre dans un café, endroit exclusivement masculin dans notre pays.» Fuyant l'attitude masculine, Rania, jeune Oranaise, affirme qu'elle a choisi de fréquenter la salle de gym Quart de fitness parce qu'elle est dédiée exclusivement aux femmes. «L'Olympia à Saint-Eugène est une salle de gym mixte, mais je crains les regards des hommes», confie-t-elle. Dès l'obtention de leur bac, beaucoup d'Algériennes quittent le foyer familial et sortent pour affronter la société. Cependant, l'étape qui est censé les intégrer dans la société, elles la vivent à l'écart du sexe opposé dans des cités universitaires destinées aux filles. «On est dans un pays musulman», souligne Aïcha, résidente à la cité Baya Hocine de Bab Ezzouar. Pour elle, il est impensable d'avoir des cités mixtes, «ça fait partie de notre éducation», ajoute-t-elle Mixité Pourtant d'un autre côté, des femmes dénoncent ce genre d'exclusion. «Je déteste cet apartheid», s'irrite Nadia Chouider. «J'étais si mal à l'aise au lycée Omar Racim (Alger) ensuite à la cité universitaire qu'il me semblait être dans un endroit totalement artificiel. Je trouve que ce n'est pas normal ; en famille nous sommes hommes et femmes, on grandit ainsi et puis subitement il faut se séparer.» Aujourd'hui directrice de la garderie Montessori Ibn Khaldoun, elle refuse même la différence des couleurs des tabliers entre fillettes et garçons, c'est de la «ségrégation chromatique», ajoute-t-elle. Agression, oppression, uniformité, simplisme… ce que dénoncent les filles des cités universitaires de Béjaïa. Pour Roza, résidente à la cité U Tharga Ouzemour, «il est hors de question qu'ils nous privent d'un acquis». A Béjaïa, sur 11 cités universitaires, 10 sont mixtes. «Et heureusement», commente Sabrina, résidente dans la même cité. «Ce sont nos camardes et amis qui nous protègent ! Sans eux, on serait livrées à toutes sortes de dangers», explique-t-elle. En 2007, une décision du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique a porté sur la séparation entre garçons et filles. Ce que les résidents ont refusé à l'unanimité. L'association de jeunes RAJ a mobilisé les filles pour refuser la séparation. «Ca a marché et ça marchera bien. Dans la société kabyle, la mixité n'est pas un fait étranger», explique Fouad Ouicher, secrétaire général de RAJ. Ainsi explique Fatima Cherfa-Turpin, auteur de La condition juridique de la femme rurale en Kabylie et doctorante en droit privé à l'université de Strasbourg (France) : «La mixité est un jalon fondamental qui fonde la culture kabyle. La structure sociale en Kabylie a toujours été homogène d'une organisation sociale non hiérarchisée. D'ailleurs, la femme a toujours travaillé aux côtés de l'homme à l'intérieur ou à l'extérieur.» «On est dans un pays musulman», souligne, pour sa part, Aïcha, résidente à la cité Baya Hocine de Bab Ezzouar. Pour elle, il est impensable d'avoir des cités mixtes, «ça fait partie de notre éducation», ajoute-t-elle.