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«Le pouvoir s'essuie les pieds sur ce peuple avec délectation»
Sid-Ahmed Ghozali. Ancien Premier ministre, président du Front démocratique non agréé
Publié dans El Watan le 01 - 10 - 2015

- Chadli a-t-il été piégé, puisque le discours de septembre 1988, et c'est ce que vous dites, il n'en était pas l'auteur ?
Très affecté, le Président était moralement démissionnaire depuis les événements d'Octobre 1988. Il était mortifié. Le spectacle de l'exécution de Ceausescu, un an après, le 22 décembre 1989, ne fut pas pour lui remonter le moral. D'autant plus que le colonel Kadhafi ne cessait de l'alarmer sur le «danger mortel de la légalisation du FIS», dont il lui promettait qu'elle allait lui «coûter cher». Il est allé jusqu'à lui prédire que les islamistes lui feraient subir le sort de Ceausescu. «Si tu leur laisses le pouvoir, ils t'égorgeront en premier… Yedbhouk !» (fin Juillet 1990 au cours d'une rencontre à Zéralda en la présence du chef du gouvernement, du ministre des Affaires étrangères, du défunt Larbi Belkheir et Mohamed Sahnoun conseiller diplomatique du Président).
- Pensez-vous que la bobine dont vous parliez tout à l'heure est en train de se dérouler pareillement aujourd'hui ?
Ce sera pire, à cause du gap, du décalage entre les besoins et les ressources, qui va aller en s'accélérant avec le risque de déstabilisation de la population que l'on a habituée à une aisance artificielle. Entre 1988 et 2014, les importations de voitures ont été multipliées par 60. En d'autres termes, nous importions en un an ce que nous importons aujourd'hui en deux semaines !
Avec la chute des ressources, des coupes sombres frapperont le niveau des importations, à commencer par les 600 000 voitures et aussi par la masse de pièces de rechange afférentes aux millions de voitures déjà importées sur 15 ans. Le changement brutal des niveaux de satisfaction auxquels l'abondance artificielle les a habituées, c'est cela qui déstabilise les populations. Le pouvoir fera reporter au maximum l'échéance en puisant dans les réserves. L'épuisement de ces réserves est d'autant plus inéluctable qu'outre les dissipations considérables de ressources, il y aura des besoins nouveaux incontournables.
Puisque le Président a promis juré depuis cinq ans au moins d'en faire sa priorité, le moment est venu de penser aux instruments fondamentaux de la bonne gouvernance. Or celle-ci n'est gratuite que si on se contente d'en faire un vain mot. Dix-sept gouvernements se sont succédé et sans programme. Tous disent notre programme est celui du Président. Allez chercher ce programme, vous ne le trouverez pas.
On se gargarise sur les 200 milliards de présumés excédents financiers. Au journaliste Colombani qui m'interrogeait il y a dix ans sur nos abondantes réserves de changes, «l'Algérie est un pays riche disait-il», j'avais répondu : «C'est trop ou pas assez», en faisant remarquer que le Portugal de Salazar était, à la veille de la chute de la dictature en avril 1974, un pays européen des plus riches en or et en devises et en même temps le plus pauvre d'entre eux (le gros de l'immigration en France était d'origine portugaise). Nos réserves actuelles vont fondre comme neige au soleil. C'est ou trop ou pas assez. C'est trop au regard des politiques économiques absentes.
Mais si nous avions eu une politique de développement à la hauteur de nos besoins, ce serait loin d'être assez. Les seuls quatre instruments de la bonne gouvernance, la justice, les services fiscaux, la sécurité et l'éducation, sans lesquels rien n'est possible, coûteraient plus que nos réserves actuelles. Rien n'est faisable sans une justice performante. Rien. C'est un secteur à renflouer d'une manière considérable. Tout comme la sécurité dans son sens le plus large. Un système fiscal défaillant qui matraque les petites gens ou le menu fretin, et laisse filer les « gros poissons».
On ne peut donc imaginer une régulation économique, sociale et éthique, sans une fiscalité performante. Le degré d'avancement et de modernité d'un pays, sur les plans économiques et des droits humains, se mesure à l'aune de l'équité et de l'efficacité de son système fiscal. C'est une donnée culturelle de base dans les pays avancés. Un SDF américain quand il parle du Trésor US, des impôts, il dit : «It's My money.» «C'est Mon argent.» Il est significatif que ce ne sont pas ses innombrables crimes de sang mais ses délits fiscaux qui ont permis à la justice US de neutraliser le fameux Al Capone. Dans la Constitution américaine, les deux crimes que l'on ne pardonne pas sont le parjure et la triche fiscale.
- Je voudrais savoir ce que vous pensez de la décision du gouvernement d'aller vers une amnistie fiscale. Il s'agit de faire revenir dans le circuit bancaire quelque 40 milliards de dollars qui circulent dans l'informel…
Comment peut-on parler d'amnistie fiscale dans un pays où le rendement de l'impôt est aussi bas que le nôtre et que 75% des revenus fiscaux proviennent de la fiscalité pétrolière ? Ajoutons à cela, l'impôt facile, à savoir la retenue à la source sur les salaires. Que restera-t-il ? L'impôt sur les sociétés ? Pas grand-chose.
- Cette opération cache-t-elle un blanchiment grandeur nature ?
C'est comme l'histoire de la réconciliation nationale. Ces amnisties qui court-circuitent l'impératif de justice et de vérité sont vaines. Si l'amnistie fiscale est accompagnée d'un train de mesures dont la finalité est de mettre fin définitivement à la corruption, à l'évasion fiscale, elle est la bienvenue. Autrement, elle cacherait des choses. Le secteur informel, serait-ce les petites gens qui font du commerce au noir ? Ou ce qui est caché est beaucoup plus considérable ?
Aucun magasin, ni même un organisme officiel n'acceptera vos chèques ou vos cartes bancaires. Quant aux agents de changes, ils ne sont ni légalement agréés, ni interdits. Ils ne sont pas officiels, mais activent au clin d'œil. «Bel ghemza ». Sous cet angle, notre économie, toute notre économie est informelle. Quand j'étais ministre des Finances, je suis resté neuf mois, j'ai préconisé 52 mesures dont l'une était le développement du réseau de paiement électronique.
Parce que notre société, comme elle est, on ne peut pas lui imposer systématiquement le chèque, tandis qu'avec une carte de paiement électronique, les choses seraient plus à la portée de tous et plus facilement contrôlables. On aurait mis cinq ou six ans pour mettre en place le système, 26 ans sont passés et visiblement ça n'a pas intéressé grand monde. Le passage au formel a ses ennemis, à savoir les forces de l'argent illégitime.
- Serait-ce cet argent illégitime qu'on essaie de blanchir via cette amnistie ?
C'est une des voies du blanchiment. Le pouvoir de demain, s'il se met dans la logique des règlements de comptes, il s' enlisera. Il passera son temps à ne faire que ça au grand préjudice du travail de redressement.
- Dans ce cas, il faudrait faire table rase ?
Il ne s'agit ni de se lancer dans une sorte d'entreprise d'épuration qui enfoncerait le pays dans l'impasse, ni de laisser faire comme maintenant, ce qui se traduirait par sa ruine. Il y a nécessité à passer à autre chose. Mais il est vital de mettre d'abord un certain nombre de conditions. Instaurer de nouvelles règles pour le futur et y tenir : châtier fort celui qui volera un œuf, et celui qui volera un bœuf. Je suis contre la peine de mort mais je suis pour des peines lourdes.
La moralisation de la vie publique est un impératif. Des ministres de pays développés ont démissionné pour 16 euros de dépenses personnelles avec une carte bancaire réservée aux dépenses officielles. Mais prenons surtout garde à ne pas entrer dans un cercle vicieux, ni que se crée un climat où tout le monde s'attend à recevoir quelque chose sur la tête ou tout le monde peut condamner tout le monde.
Mais il faut faire les choses d'une manière sérieuse. D'abord dans quel cadre cette mesure d'amnistie est-elle envisagée ? Est-ce vraiment dans le cadre d'un apurement du passé et d'une clarification de l'avenir ? Je m'interroge.
- Monsieur Ghozali, je ne veux pas abuser mais j' ai plein d'autres questions, notamment sur cet accord historique des 5 pays occidentaux avec l' Iran, mais ...
Quant à la problématique iranienne…. Vous savez pourquoi Boudiaf a décidé de rompre les relations diplomatiques avec l'Iran ? Parce que le pouvoir de ce pays s'est immiscé dans nos affaires intérieures et avait soutenu le terrorisme en Algérie.
- Mais est-ce possible, d'un point de vue doctrinal s'entend, qu'un régime chiite soutienne un maquis djihadiste sunnite ?
Ça, c'est un autre problème. Ce sont les Occidentaux qui veulent faire croire à cette dualité sunnite-chiite. Elle est instillée par les Occidentaux pour justifier la partition des Etats de la région qu'ils sont en train de préfigurer. A l'instar de l'idéologie sioniste qui, dans l'impossibilité de justifier la colonisation des terres palestiniennes auprès de l'opinion mondiale, se revendique d'être le porte-flambeau de la défense de la «civilisation judéo-chrétienne» face à «l'islam menaçant».
- Y avait-il des preuves matérielles de ce soutien apporté au FIS ?
Mais bien évidemment. L'Iran l'a revendiqué officiellement… Consultez la presse iranienne de l'année 1990 et vous serez étonné de ce qu'elle raconte sur la visite de leaders du FIS à Téhéran, sur leurs déclarations et celles de leurs hôtes iraniens. Le roi Fahd recevant le président Chadli, en escale à Djeddah, un certain mois de juin 1990, lui avait assuré que l'Etat saoudien n'avait jamais soutenu le FIS … «peut-être s'agirait-il d'associations caritatives», lui a-t-il répondu.
Trois mois plus tard, au lendemain de l'invasion irakienne du Koweït, le prince héritier disait publiquement des leaders du FIS : «Ces ingrats que nous avons pourtant aidés», citant un montant de 2,5 millions de dollars. Consultez le Charq Al Awsat de l'époque. Les derniers mots de Boudiaf avant qu'il ne soit mitraillé dans le dos étaient : «Cherrna Menna Wa Khirna menna… (notre mal est en nous et notre bien est en nous).» C'était sa réponse à quelqu'un qui l'interpellait sur les immixtions étrangères, notamment iraniennes, dans nos démêlés avec le FIS.
Lors d'un tête-à-tête avec Ali Akbar Velayati, ministre des AE, il avait dit : «L'Algérie a autorisé les imams wahhabites à prêcher dans les mosquées, alors, nous vous demandons de nous accorder le même privilège.» Je lui réponds : «Vous voulez transformer l'Algérie, avec notre consentement, en un champ de bataille entre wahhabites et chiites.» C'est en septembre 1999, à New York, que les relations diplomatiques, après sept années de rupture, ont été rétablies «en un quart d'heure», comme l'a annoncé officiellement Abdelaziz Bouteflika en personne, à la fin d'une rencontre avec Khatami, le président iranien, élu trois ans plus tôt, en phase avec la stratégie américaine dite d'apaisement du régime iranien.
Alors ne croyez pas ceux qui vous répètent le motif sunnite-chiite, cette coproduction entre Occidentaux et certains régimes arabes, pour occulter les vrais problèmes. Les opposants iraniens sont eux mêmes chiites, ce qui n'a pas empêché le régime non moins chiite d'en exécuter 120 000 en trente ans. Ce qui fait que le régime qui tue le plus de musulmans sur la planète, c'est un régime se prétendant musulman.
Daech, censé être sunnite, tue néanmoins des dizaines de milliers de sunnites en Irak et en Syrie. Sur le plan dogmatique, il n'y a pas de différence notable entre les deux courants. C'est le même Coran, le même prophète, la même Sira, et l'origine historique du conflit est politique avant toute chose, c'est connu. Un Iranien se sent d'abord perse ensuite musulman ou chrétien et en dernier ressort chiite ou sunnite. L'Irakien, pareil : il se sent irakien arabe ou kurde, ensuite, musulman ou chrétien et en dernier ressort sunnite ou chiite.
- Dans le « choc pétrolier » que nous traversons, l'Arabie Saoudite porte une lourde responsabilité dans la chute vertigineuse des cours. Vous disiez dans un entretien récent que la monarchie des Al Saoud n'est pas souveraine dans la fixation du prix du pétrole dont les USA sont les véritables maîtres ...
En fait, il n'y a pas que la loi de l'offre et de la demande. Quelles sont les forces qui actionnent les phénomènes tels que nous les percevons et quels en sont les ressorts réels ? Les multiples enjeux, technologiques, économiques, commerciaux, industriels, financiers, diplomatiques, sécuritaires et géostratégiques renvoient à des problématiques masquées qui dépassent les mécanismes pétro-commerciaux tels que les quantités et leur prix. La volonté et la motivation des USA sont sous-jacentes sinon décisives. Les forces qui déterminent le marché ne sont pas égales entre elles ; celle de l'hyperpuissance est plus «égale» que toutes les autres. Les ressorts plus déterminants sont souvent de nature politique et/ou géopolitique.
En matière pétrolière, la «main invisible» d'Adam Smith est américaine. Par exemple, s'agissant de la baisse des prix en cours, qui se traduit par la réduction des revenus financiers de la Russie, est-ce là un effet collatéral d'une guerre commerciale ou au contraire le but même d'une telle guerre ? On peut évoquer d'autres situations passées, le choc pétrolier de 1973-74 consécutif à la guerre du Kippour, la guerre Irak-Iran, la crise du Golfe de 1990 ou l'invasion de l'Irak en 2003 et beaucoup d'autres encore qui montrent que le commerce pétrolier couvre des opérations géostratégiques notoires et vice versa.
Il fut un temps où certains pays avaient une certaine autonomie. Malgré dix ans de rupture diplomatique et outre le fait des nationalisations des intérêts US en Algérie en 1967-68, les relations économiques et politiques entre l'Algérie et les USA se sont développées considérablement. Quand il était en tournée dans la région, Kissinger, à l'époque, faisait volontiers escale en Algérie, où il disait «vouloir connaître l'avis de Boumediène» sur telle ou telle question.
C'était le temps où l'Algérie avait son poids spécifique. En 1974, lors du choc pétrolier, Belaïd Abdeslam (j'étais à son côté) rencontrait Kissinger pour discuter de la question des prix et aussi de la question palestinienne. Nous n'étions ni ennemis ni opposants, mais nous avions un avis indépendant très souvent apprécié par la grande puissance impériale. Il y a toujours un rapport entre le poids économique, le poids politique et la densité en légitimité interne.
- Comment peut-on mesurer la légitimité d'un pouvoir autoritaire ? Quels en sont les instruments ?
Un chef est légitime quand le peuple l'accepte sans réserve comme chef. Je reviens d'un colloque sur Bourguiba, personnage autoritaire, s'il en est, mais légitime. Le peuple reconnaissait intimement son autorité et son pouvoir. Il se reconnaissait en lui comme porteur des intérêts nationaux tunisiens. Boumediene eut un statut similaire. L'hommage que lui ont rendu plus de deux millions d'Algériens lors de ses funérailles témoigne d'une légitimité incontestable.
- N'est-ce pas Boudiaf qui disait justement, sur le ton de l'ironie, n'avoir jamais vu un «peuple pleurer un dictateur» ?
Ce n'est pas la version que je croyais connaître. D'après ce que j'ai lu, Boudiaf, le plus dur opposant à Boumediène, aurait dit : «L'homme qui draine autant d'Algériens à son enterrement ne peut pas être le dictateur que je croyais. Je me suis trompé et je quitte la politique.» Et il a quitté la politique.
Boumediène n'a jamais dit aux Algériens : je vous apporte la démocratie. Deux : il les a convaincus qu'il s'occupait vraiment de leurs problèmes. Bien sûr qu'il y avait des secteurs où des Algériens étaient heureux de ce qu'il faisait et d'autres mécontents. Mais le consensus était que Boumediène s'occupait de trouver des solutions aux problèmes des Algériens. Bien ou mal, mais il s'en préoccupait.
Il a pris le pouvoir en mettant un chef d'Etat en prison, il a gelé la Constitution, il a dissous l'Assemblée nationale et s'est proclamé officiellement chef du «Pouvoir révolutionnaire ». Manière de reconnaître en termes «politiquement corrects» la nature totalitaire du régime. Alors que la légitimité du pouvoir s'use avec le temps, celle de Boumediène est allée en croissant.
Tout le monde ne l'aimait pas mais tous le respectaient.
- En diriez-vous autant de Bouteflika qui draine aussi les foules ? Est-ce là une preuve de légitimité ?
Par légitimité, je n'entends pas popularité ou populisme. Je ne parle pas des bains de foule ni de la popularité que fabriquent les prises de vue et truquages par caméra TV. On n'a jamais entendu Boumediène dire : «Je n'ai confiance en personne», ou Bourguiba traiter les Tunisiens de «peuple médiocre» Quel sort que celui de ce pays où se débitent des mensonges du genre : «Nous sommes une démocratie» ? Est-ce vraisemblable ? C'est une forme de mépris total envers le peuple. Le pouvoir s'essuie les pieds sur ce peuple avec délectation, avec arrogance et mépris. Je parle du sentiment de légitimité. Bourguiba rudoie son peuple pour rétablir la femme dans ses droits. Il le rudoie aussi quand en plein Ramadhan, il boit un verre d'eau devant les caméras de la télévision.
Mais c'est pour expliquer que Dieu ne nous impose pas plus que le supportable et que lorsqu'il s'agit du bien de tous, le travail passe avant toute autre considération. Bourguiba, trente ans avant Oslo, plaidait pour la solution des deux Etats en Palestine : le peuple tunisien pas très heureux l'a suivi, alors qu'il a été qualifié de traître par tous les pays arabes. Ces types d'hommes d'Etat se sont construits une légitimité en dehors des élections par la considération qu'ils nourrissaient envers les préoccupations de leurs peuples.
- L'ère des despotes éclairés n'est pas tout à fait révolue. L'autoritarisme a-t-il encore de l'avenir en Algérie ?
Un régime même autoritaire mais accepté par son peuple est légitime. Et en plus de ça, Bourguiba savait lire et écrire. Un chef d'Etat qui sait lire et écrire, c'est très important. On la voit bien dans la révolution tunisienne, cette main invisible, cette marque d'intelligence qui caractérisait la révolution dite du Jasmin. C'est son œuvre qui s'était exprimée, son héritage constitué d'une classe moyenne propre, de cadres performants, de femmes émancipées. La révolution était portée par des forces sociales, dont le mouvement syndical. Regardez ce qu'on a fait de ce mouvement syndical comme des associations civiles et politiques : des appendices du pouvoir.
- D'un côté, vous plaidez l'impératif de changement démocratique, de l'autre vous dites votre admiration pour un régime autoritaire type Boumediène ou Bourguiba. N'est-ce pas contradictoire ?
Ce n'est pas exprimer une once d'admiration pour ces deux leaders que de constater qu'ils se sont bâti une légitimité malgré le fait qu'ils étaient autoritaires. Je constate seulement que si Bourguiba a pu faire passer des mesures de longue portée, c'est parce qu'il était légitime. Faire son devoir ne mérite pas forcément une admiration. Mais pour quelqu'un qui se transcende, oui. Envers Boumediène aussi, c'est du respect que j'ai éprouvé et non de l'admiration. Je ne dis pas cela parce que Sonatrach n'a été soutenue que par deux personnes : Boumediène et Abdeslam, dans un environnement politico-bureaucratique hostile, où elle vu le jour et grandi. Le système autoritaire n'est guère celui que je préfère. Loin de là.
Maintenant si on veut faire de la politique fiction, c'est autre chose. Il faut reconnaître que l'option en 1962 du parti unique était une erreur historique. L'indépendance a été inaugurée par par un coup d'Etat, avant même qu'elle ne soit prononcée. A l'époque, jeunes, on était séduit par l'argument prétendant que le multipartisme signifiait la primauté de l'argent étranger et donc la perte de l'indépendance.
Vu la suite, on a eu tort. Avec le pluralisme, dès le départ, on aurait peut-être cafouillé pendant dix ou vingt ans, mais on se serait retrouvés en fin de compte sur nos pieds. Force est de constater aujourd'hui que l'Algérie aura perdu 50 ans pour se retrouver finalement dans une situation de dépendance extrême vis-à-vis de l'extérieur et devant des perspectives d'avenir des plus incertaines. La dictature est haïssable. Je constate seulement qu'avec Boumediène, on a eu le meilleur bilan possible avec un régime aussi mauvais.
Le grand reproche qui doit être fait à Boumediène, et il y allait de sa responsabilité, c'est d'avoir laissé l'Algérie au milieu du gué. Il a travaillé dans l'ignorance du temps comme s'il avait devant lui un temps illimité. C'est ce milieu du gué qui a fait que la situation s'est dégradée dès sa disparition pour dégénérer peu après. Je sais que c'est illusoire de demander aux gens du pouvoir de démocratiser mais c'est ce statu quo bloqué qui risque, dans la meilleure des hypothèses, de nous reconduire à la case départ : le cercle vicieux de l'autoritarisme comme remède à l'autoritarisme.
- Souhaitez-vous l'avènement d'un Chavez, version algérienne ?
L'autoritarisme est toujours préférable au chaos qui est mortel. Mais notre expérience nous a déjà fait passer par ce choix et on voit où il nous a conduits. L'autoritarisme comme remède à l'autoritarisme est un cercle vicieux dans lequel nous nous débattons depuis 1962.
- A propos de pourrissement justement, la situation à Ghardaïa risque-t-elle d'évoluer vers un scénario à la syrienne ou à la libyenne et à terme une désintégration de l'Etat-nation dans sa configuration actuelle ?
Tant que le gouvernement a de l'argent à jeter par la fenêtre comme il a fait jusqu'à maintenant, une extension de l'agitation sociale au pays entier me paraît improbable. Par contre, par son incurie et son incapacité à envisager le moindre mouvement paisible vers l'Etat de droit et la bonne gouvernance, comme promis et promis depuis dix ans, c'est le pouvoir qui nous expose de plus en plus au danger que vous mentionnez.
Il faut regarder les similitudes et les différences avec d'autres situations arabes.
En Algérie, nous sommes, grâce à Dieu, loin de la complexité extrême du tissu tribal libyen ou de la mosaïque culturelle ethnique et religieuse syrienne, aussi riche que vulnérable par sa diversité : alaouites, sunnites, chiites, chrétiens catholiques et orthodoxes, plus une kyrielle de syncrétismes religieux. Par contre les deux cas que votre question évoque montrent les dérives auxquelles des régimes politiques bloqués exposent leurs populations et leur intégrité territoriale. Les ingérences extérieures sont d'autant plus nocives quand elles peuvent jouer, d'un côté, sur les sources de division des populations et, d'un autre côté, sur les situations de rupture entre le pouvoir et la société.
On l'a vu en Libye, où des forces armées interviennent, outrepassent le strict mandat de la communauté internationale visant à protéger les populations et règlent des comptes personnels avec un chef d'Etat parvenu par ailleurs au stade de la folie.
En Syrie, il y a eu au départ une révolution. C'est l'autisme d'un pouvoir, qui ne sait que réprimer, qui a suscité les dévoiements multiformes de la protestation populaire pacifique de départ : interventions de puissances occidentales et leurs protégés voisins de la Syrie, incrustation militaire de la dictature religieuse iranienne, déjà fortement présente politiquement et militairement en Syrie depuis des décennies, essor de Daech sous-produit d'Al Qaîda.
La Syrie et l'Irak étaient les rares pays musulmans hermétiquement fermés à Al Qaîda. L'intervention américaine a bouleversé l'ordre des choses. Al Qaîda est soutenue en Irak par l'Iran dans le but de chasser les Américains pour rester seul maître de ce pays. A la mort de Zarkaoui en 2006, le chef de l'organisation, les plans de la création d'une autre organisation, Daech, étaient déjà prêts. Le régime des mollahs considère la Syrie comme sa 35e province, «encore plus précieuse que Ispahan».
La 34e, c'est l'Irak. L'intervention US de 2003 a eu pour effet immédiat de livrer l'Irak comme dans un paquet cadeau au régime voisin. En pleine contradiction avec la politique d'équilibre strict dite d'endiguement mutuel entre l'Irak et l'Iran, (dual containment) qui était un des piliers de la structure sécuritaire mise en place au Moyen-Orient par les USA au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale.
Les premières armes chimiques ont été fournies à Saddam par les Américains et les Anglais. Une fois que l'Irak a commencé à prendre le dessus, on s'est mis à soutenir l'autre camp, par la livraison d'armes à l'Iran par l'intermédiaire d'Israël. D'où l'affaire de l'Iran Gate. Il y a comme un jeu des USA qui peut être idiot mais qui n'est jamais ce qu'ils font croire aux gens. L'accord qu'ils viennent de signer ? Les USA savent très bien qu'un accord signé avec un régime dictatorial n'a aucun sens mais l'intérêt est de gagner du temps, l'empêcher d'avoir la bombe et, quand les circonstances le permettront d'ici dix à quinze ans, le frapper.
Ceux qui font la guerre en Syrie aux côtés du régime, ce sont les Pasdarans dits Forces Al Qods. Ce ne sont pas des milices, c'est la première armée iranienne. L'Iran dispose de trois armées et deux services de sécurité. Il y a l'armée classique et les Pasdarans, l'armée du pouvoir. Ils ont la police et les Basidji, leur police politique. Le facteur premier de l'agitation à Ghardaïa, c'est l'absence de politique d'aménagement du territoire.
Si on en avait une, on n'aurait pas entendu : «Le pétrole est au Sud, et la richesse va au Nord.» En guise de riposte au printemps berbère de 2001, le régime riposte par une campagne anti-kabyle, dans la vallée du M'zab, à Tam, puis dans l'Oranie, pour dire : «Vous, vous êtes les vrais Amazighs. Pour qui ils se prennent ces Kabyles ? » Diviser les Algériens, individus et collectivités, les morceler, est une des manies du pouvoir. En plus du climat ambiant fait de désespoir, il y a les tentatives de division qui viennent de l'extérieur.
Quand le pouvoir se présente comme étant le dépositaire de la légitimité politique populaire, et qu'il impose sa domination en se prévalant d'être le seul corps socio-politique à même d'assurer la sécurité des Algériens, il est tenté de voir en toute situation potentielle d'insécurité, en toute tension politique ou sociale, une bonne opportunité pour se faire voir comme étant indispensable. Exemple : s'est-on demandé pourquoi l'affaire du Sahara occidental perdure ?
Y aurait-il un lien avec le fait que des deux côtés de la frontière, il y ait des forces qui ont intérêt au maintien, pour ne pas dire l'entretien, de foyers de tension, d'un Etat de ni guerre, ni paix, si propice pour se montrer indispensables. Comment expliquer que la frontière algéro-marocaine, depuis plus de deux décennies, soit à la fois fermée sur terre et ouverte par les airs et par mer ? Mais même fermées, elles ne le sont pas pour tout le monde. Ces flots de marchandises peuvent-ils se déverser à l'insu, au nez et à la barbe des services de sécurité de part et d'autre ?


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