Les régimes sunnites du monde arabe se préparent à une victoire probable des chiites aux élections irakiennes avec la crainte que cela conduise à une montée de l'influence de l'Iran et une recrudescence de l'instabilité dans la région. Sujet en général tabou au niveau officiel, ces appréhensions ont été exprimées publiquement par le roi Abdallah II de Jordanie, qui, dans une interview en décembre au Washington Post, a accusé le régime chiite de Téhéran de chercher à influer sur le scrutin pour favoriser la création d'un «croissant» chiite regroupant l'Iran, l'Irak, la Syrie et le Liban. Les autres dirigeants sunnites se sont contentés de lancer des appels voilés à la communauté sunnite pour qu'elle participe au scrutin. Dans les pays arabes du Golfe, les plus directement affectés par une accession des chiites au pouvoir en Irak, le mot d'ordre semble être de faire contre mauvaise fortune, bon c?ur en public et d'expliquer que les régimes sunnites peuvent s'accommoder d'un gouvernement irakien dominé par les chiites s'il fait dans la modération. «Les gouvernants du Golfe n'ont d'autre choix que d'accepter ce que les Etats-Unis ont planifié. Dans la mesure où Washington a donné son aval à la situation en Irak qui naîtra des élections», a déclaré l'universitaire et analyste qatariote Mohammed Al-Mesfer. Toutefois, il avertit que cette situation sera synonyme d'une instabilité accrue. Les régimes du Golfe «ne seront pas dans une situation stable si les élections irakiennes se traduisent par une direction chiite, parce qu'un grand nombre de chiites dans la région n'accepteront plus d'être soumis (aux sunnites) alors que leurs frères seront au pouvoir en Irak, en plus de l'Iran», dit-il. L'Arabie saoudite, qui compte plus de deux millions de chiites sur une population indigène de quelque 17 millions, a récemment appelé implicitement les sunnites irakiens à ne pas se laisser marginaliser en boycottant le scrutin. Un membre du Conseil consultatif (majlis echoura) saoudien, Mohammed al-Zalfa, estime que l'avènement à Bagdad d'un régime chiite fondamentaliste inspiré du modèle révolutionnaire iranien changerait la situation dans toute la région. «Même si les chiites dirigent le gouvernement irakien, l'Arabie saoudite s'accommodera de cette nouvelle réalité», souligne, pour sa part, un universitaire libéral saoudien, Khaled al-Dakhil. «Je crains la perspective d'un glissement de l'Irak vers la guerre civile», poursuit-il en référence aux attentats croissants perpétrés contre les chiites par des combattants sunnites.