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Les conditionnalités d'une sortie de crise garantie (6e époque) Mourad Goumiri. Président de l'Association des universitaires algériens pour la promotion des études de sécurité nationale - ASNA
Tout au long de nos cinq dernières «époques», nous n'avons cessé de soutenir que la lutte des clans à l'intérieur du Pouvoir fait rage et que la victoire de l'un sur l'autre était inéluctable et serait certainement «sanglante». Mais cette lutte permettra au statu quo de prendre fin, après que le clan du vainqueur ne liquide celui du vaincu, comme le disait naguère César : «Malheur aux vaincus» ! Il était donc dans une logique machiavélique(1) que le Président elliptique élimine tous ceux qui avaient contribué à le faire roi, durant quatre mandats, dans un premier temps, puisqu'il restructure, à son seul profit, tous les organes et institutions sur lesquels ses derniers ont assis leurs contrepouvoirs. A l'évidence, il fallait être hermétique à «la chose politique» pour ne pas anticiper cette démarche et ne pas décrypter les signes avant-coureurs de ce processus inéluctable. C'est le constat que peuvent faire, aujourd'hui, contents ou tristes des événements actuels, les membres influents de l'institution militaire et des services de sécurité, réfractaires aux affaires boulitiques. En effet, au-delà des discours prémonitoires(2), le premier coup de semonce a été donné par le président de la République, lorsqu'il a limogé le général L. Belkheir(3), non sans l'humilié, tout en le faisant remplacer informellement par son frère cadet Saïd. En jouant avec ruse sur les ambitions personnelles, les contradictions internes mais également sur leurs responsabilités durant la «décennie noire», les actes de corruption passés, de tout un chacun, il va procéder à l'élimination systématique et progressive mais inéluctable, de tous ceux qui lui ont permis les quatre dernières désignations électives et ceux civils et militaires qui avaient la prétention de partager, avec lui, une parcelle de pouvoir et en particulier ceux qui revendiquaient un droit de regard sur sa succession(4). Ce feuilleton à la «Dallas» pouvait donc commencer, savamment entretenu, par la soi-disant rivalité voire de la guerre entre le Président et l'institution militaire, alors qu'en fait, le conflit se situe à l'intérieur du Pouvoir et que le Président va utiliser une ruse, vieille comme le monde, attribuée injustement à N. Bonaparte : «Diviser pour régner !» Ainsi, par des promotions temporaires subjectives(5) à la tête de postes de commandement à certains officiers normalement inéligibles(6) et par la désignation d'hommes liges boulitiques(7) à la tête de partis, d'institutions, d'entreprises, d'associations et d'organes, le Président va exiger d'eux, en contrepartie, qu'ils liquident, chacun pour ce qui le concerne et par procuration, les obstacles humains et institutionnels(8) qui contrarieraient sa conquête du pouvoir absolu et qui encorneraient son image de marque(9). Il va de soi, qu'une fois la mission achevée, ces exécutants de basses besognes sont éliminés, à leur tour, après le «service fait»(10). Le Président ayant entière conscience que sa seule légitimité c'est celle qui lui a été accordée temporairement par l'institution militaire et les appareils politiques civils qui lui sont franchisés et certainement pas par celle des urnes, il va donc patiemment neutraliser leur capacité de nuisance, directe ou indirecte, en les remontant les uns contre les autres, tout en se contentant de «compter les cadavres»(11). Parfaitement conscient de son besoin vital de l'institution militaire et des appareils franchisés, en cas de soulèvement populaire, il va œuvrer à les inféoder totalement afin qu'ils exécutent tous ses desiderata, y compris celui de sa propre succession. Son AVC va le contraindre à procéder à la mise en musique de sa parodie, dans l'urgence. Ainsi, la nomination au poste de vice-ministre de la Défense, accordé à A. Gaïd Salah, qui est déjà chef d'état-major de l'ANP (un cumul incompatible et unique dans l'histoire des armées), scelle la pièce maîtresse de cette musique raï. Dès lors, une course contre la montre va se jouer afin de mettre son projet de succession à exécution, compte tenu que le temps joue en sa défaveur et que ses opposants ont commencé à se structurer(12) et à se mettre en ordre de bataille(13), avec la bénédiction d'un autre clan de ce même Pouvoir ! Mais pour comprendre cette situation, il faut remonter un peu en arrière et en particulier, lorsqu'à partir de l'ENITA(14), la redoutable Sécurité Militaire, entre les mains de Abdellah Khalef alias Kasdi Merbah, va l'empêcher de remplacer le feu président H. Boumediene et imposer, à sa place, le colonel C. Bendjedid. Cela va se traduire, pour lui, par un long exile à l'étranger (entre la Suisse et le Moyen-Orient), son exclusion Comité Central du FLN(15) et sa mise en débet par la Cour des Comptes, pour détournement de deniers publics(16). Cette situation va perdurer jusqu'à l'achèvement du mandat du HCE, dirigé par A. Kafi(17) et la désignation du général à la retraite L. Zeroual comme ministre de la Défense d'abord(18) puis président d'Etat et enfin président de la République(19) puisqu'entre temps, A. Bouteflika, proposé par le général L. Belkheir et les «janvieristes», dont les généraux K. Nezzar, A. Touati dit «el-mokh», A. Ghaziel, A. Ghenaïzia… avait refusé de se voir intronisé comme président de la République, une première fois(20) ! C'est après le choc du départ, avant le terme de son mandat, du Président L. Zeroual(21) qu'A. Bouteflika va être remis en scelle, une seconde fois, en 1999, par le général L. Belkheir et ses affiliés nationaux et étrangers ! Entre-temps, dans un contexte de guerre totale, imposée par les hordes terroristes, armées et financées par les pétromonarchies (l'Arabie Saoudite et le Qatar notamment) et l'accord tacite des grandes puissances comme les USA(22) et la France(23), il fallait que l'institution militaire relève ces défis multiples et réorganise ses ripostes devant l'ampleur du phénomène et de sa puissance destructrice, chose pour laquelle elle et les services de sécurité n'étaient ni préparés ni équipés. Dès lors et sous la présidence de L. Zeroual(24), un certain nombre de structures et de postes de commandement vont passer sous l'autorité des services de sécurité (eux-mêmes restructurés entre-temps) pour assurer la coordination générale de la lutte antiterroriste. C'est donc dans ces circonstances, très particulières, que le DRS va accroître considérablement son réseau(25) et ses capacités d'interventions nationales et internationales(26), contre les groupes terroristes franchisés qui avaient noyauté des pans entiers des administrations, des entreprises et de la société algérienne. Il devenait donc dans l'ordre des choses, que cette période passée, qu'un retour à la «normale» s'opère au sein de l'institution militaire (corps de bataille et services de sécurité), pour prendre en charge les défis actuels et futurs qui ne sont plus ceux d'hier, comme le précise M. Hamrouche, en déclarant que «les arrangements et les réformes que connaissent certaines institutions sont tout à fait ordinaires et normaux. Il s'agit même d'une nécessité imposée aussi bien par la conjoncture et les institutions elles-mêmes à la lumière des changements qui interviennent au plan national et international»(27). Ces restructurations nécessitent une période d'adaptation, plus ou moins longue avec le changement des organisations et des personnels, induisant des choix cornéliens qui fragilisent les institutions pendant un certain temps(28). Or, dès sa quatrième désignation élective, à la présidence de la République et profitant de cette fenêtre de tir et de ces changements nécessaires, le Président elliptique va utiliser ce moment précis pour parachever son œuvre d'«assainissement boulitique et militaire» en nommant le général à la retraite A. Tartag dit si Bachir(29) à la place du général de corps d'armée M. Médiene dit Toufik (admis à la retraite) celui-là même qui a le plus contribué à lui assurer quatre mandats consécutifs(30) ! Amoindri physiquement et isolé politiquement, assistant à la guerre que se livrent les différents clans du Pouvoir, créant une atmosphère dangereuse pour son Pouvoir, faite de rumeurs et de spéculations les plus fantaisistes sur les «cadavres cachés sous le tapis», le Président elliptique décide donc de réagir en décrochant l'avant-dernier étage de sa fusée(31), face à une opposition de plus en plus organisée et mâture(32). En fait, la réalité est beaucoup plus terre à terre et simple, que cela ne paraît, puisque les différents clans du Pouvoir n'iront pas jusqu'à scier la branche sur laquelle ils sont tous assis(33), car c'est de leur cohésion minimale collective que dépend leur survie individuelle. Le compromis sur une candidature de remplacement est arrivé à maturité(34) et les dernières retouches sont entreprises (notamment l'habillage constitutionnel) de manière à ce que chaque clan obtienne les garanties totales et les immunités absolues (nationales et internationales) sur la gestion passée et présente mais également sur la répartition future de la rente afin qu'elle soit «équitablement» distribuée… entre eux ! Le problème, à cet endroit, c'est que les instincts grégaires, les réflexes ancestraux et les atavismes latents ont surgi durant cette période d'instabilité où chacun va se ressourcer dans son creuset familial, éducationnel, culturel, cultuel et zaouyale, ce qui aura pour résultante que le clan qui sortira victorieux, de ce rapport de force, n'aura qu'une seule priorité, à savoir celle d'égorger le clan vaincu… Un épilogue sanglant attend notre pays et tout le monde aiguise ses couteaux ! Revoir le fameux film d'A. Mann, intitulé La chute de l'Empire romaine, paraît utile malgré son taux d'hémoglobine ! Il faut cependant ajouter que cette crise de pouvoir se conjugue avec une crise économique et financière qui ne vient que révéler l'incurie du Pouvoir et son incapacité à gérer notre pays en période de «vaches maigres». Le mensonge d'Etat repose, actuellement, sur le fait de croire et d'accroire que la crise économique qui frappe l'Algérie est liée à la baisse substantielle des prix du pétrole(35), ce qui, à la fois, déresponsabilise le Pouvoir et sous-entend qu'un «retour attendu», à des niveaux de prix suffisants, autour de 80 US$ le baril(36), mettrait fin à la «crise économique conjoncturelle que vit notre pays» selon le Pouvoir. Rien de plus fallacieux que d'affirmer cela(37), nous sommes, bel et bien, face à une crise structurelle engendrée par un Pouvoir agonisant qui impose un statu quo politique suicidaire, faute pour les clans de se mettre d'accord sur une succession à équilibre instable(38). Dans le cas où les clans du Pouvoir réussissent à s'entendre sur un nom qu'ils installeront à la présidence de la République par une énième désignation élective, ils ne feront que gagner quelques mois de répit, s'ils refusent d'engager un véritable processus de changement systémique de la nature du Pouvoir, dans l'ordre et la paix civile. En effet, la crise économique et financière que traverse notre pays(39) prend ses racines, depuis 1999, à travers la non-gouvernance, la gestion au jour le jour, le manque de vision stratégique à moyen et long termes(40), la généralisation de la corruption(41), la bazarisation de sa base économique(42) et la répartition des quotas utilisée comme instrument de gestion du Pouvoir. Dans les faits, le véritable hold-up a commencé, réellement, après la création anticonstitutionnelle du fameux Fonds de régulation des recettes (FRR) qui avait été justifié par le Pouvoir pour juguler les mouvements erratiques du marché des hydrocarbures(43), avec la caution morale des économistes de renom(44), ramenés par le Présidents dans ses bagages et vite éjectés après «service fait». L'architecture de cette grande duperie économique se situait dans ce que l'on a pompeusement baptisé «le programme économique du président de la République»(45). L'analyse rigoureuse de ce document nous révèle qu'il ne s'agit que d'une liste, non exhaustive, de projets non quantifiés et sans logique ni cohérence interne. Un projet de développement de ce type aurait nécessité un minimum d'ingénierie et de débats de la part de tous les acteurs de la société qu'ils soient politiques, économiques ou sociaux, de manière à assurer l'adhésion et la maîtrise du processus de mise en œuvre. Or, c'est exactement le contraire qui fut décidé, à savoir un passage en force, excluant toute expertise et tout débat avec les partis, y compris ceux de la «coalition gouvernementale», les acteurs socioéconomiques et la société civile(46). Pire que cela, ce programme allait induire une double dépendance vis-à-vis des entreprises étrangères chargées de le réaliser(47), excluant en même temps celles nationales, et vis-à-vis des recettes des hydrocarbures. Enfin, «cerise sur le gâteau», c'est que ce programme va permettre un niveau de corruption(48) et de gaspillage(49) jamais égalé dans l'Algérie indépendante, en même temps que l'expansion exponentielle de l'économie informelle, du marché parallèle et l'«import-import»(50), seule variable d'ajustement restante, dans une économie fragilisée et complètement désarticulée. C'est donc dans ce contexte que va se dérouler une passation de pouvoir, pour le moins houleuse, qui a déjà commencé, d'autant que l'éminent conseiller du président de la République pour les affaires de sécurité, K. Rezzag Bara, intervenant sur les ondes de la Radio nationale Chaîne III, affirme: «Les défis d'aujourd'hui exigent des méthodes de gouvernance, des outils et des hommes nouveaux !» Fait-il allusion, par cette déclaration, au président de la République et à son vice-ministre de la Défense et néanmoins chef d'état-major ?