Un SOS géant, tracé en rouge sur un poteau électrique, assorti d'un poster de Bouteflika. Un SOS qui interpelle d'emblée les passants. C'est au 28, rue Emir Khaled. Bologhine. Des bâtisses logées à cette adresse, au plus près de la mer, manquent de s'écrouler au moindre ressac. Datant de l'époque coloniale et érigées sur la Corniche, elles ont été sérieusement secouées par le séisme du 1er août 2014 qui avait fait beaucoup de dégâts à Saint-Eugène. Et pour attirer l'attention sur leur sort, les propriétaires de ces habitations ont eu recours à un moyen bien original : écrire leurs doléances à même les murs fêlés de leurs maisons. Chaque fois que nous passions par là, impossible de ne pas apercevoir ces graffitis étalés sur toutes les façades de ces bâtisses situées sur le grand boulevard du front de mer qui court jusqu'à Baïnem… On pouvait y lire: «La lil hogra» (halte à la hogra), «Premier magistrat du pays au secours», «Une année après le séisme de Bologhine, nous demandons au wali délégué d'enquêter sur l'opération de relogement de Ouled Mendil»… A notre surprise, les graffitis étaient curieusement effacés lors de notre dernier passage, quelques jours avant l'Aïd El Kebir. «On les a effacés à la demande d'un voisin pour sa fête de mariage, il ne voulait pas de grabuge», explique un habitant du quartier. Hocine Boumediène, véritable leader de ce mouvement de protestation, précise toutefois : «Il arrive souvent que les autorités viennent effacer nos graffitis. Ils ont même dépêché la police pour nous obliger à les supprimer. Dès qu'ils les effacent, on se remet à la tâche. On ne lâche rien !» Lettre ouverte murale Et pour se mettre définitivement à l'abri de la censure des autorités, les habitants du «28» ont trouvé une astuce imparable : reproduire leurs graffitis sur un mur intérieur d'une de ces bâtisses menaçant ruine, qui est en retrait de la route principale de seulement quelques mètres. «Ici, ils n'ont pas intérêt à venir les toucher, je ferais un scandale. ça deviendrait une violation de la propriété privée», avertit l'un des occupants des lieux. Sur ce mur intérieur, au milieu d'une cour dégagée, se déploie une véritable lettre ouverte murale adressée au wali d'Alger : «Nous demandons au wali une enquête au sujet de l'opération de relogement fictive du 09/08/2014.» Un poster de Bouteflika est placardé tout en haut du graffiti, accompagné de la mention «Ila fakhamate eraïs» (A Monsieur le Président). Une autre inscription, sur un mur latéral, assène : «Mahgourine men APC» (spoliés par l'APC). De quoi il retourne au juste ? Hocine explique : «Les bâtisses du 28, rue Emir Khaled, ont été sévèrement touchées par le séisme du 1er août 2014. Le 5 août, nous avons reçu une inspection technique qui les a classées rouge.» Et d'exhiber une décision de la wilaya d'Alger — n°4483 du 7 août 2014, service des affaires juridiques et du contentieux — autorisant la démolition des immeubles et locaux de commerce menaçant ruine, avec, à la clé, une liste détaillée des bien immobiliers concernés. On y dénombre 17 bâtisses dans la commune de Bologhine, 11 à Bab El Oued et 9 dans la commune de Oued Koriche. Sur ladite liste figurent en toutes lettres les bâtisses du 28, rue Emir Khaled, en précisant que celles-ci abritaient 30 familles. Diablement documenté, Hocine nous montre une autre décision de la wilaya d'Alger, émanant cette fois de la «Cellule d'expertise et de relogement». Y sont dûment recensées les «bâtisses prévues pour relogement». Et là aussi, celles du 28, rue Emir Khaled sont clairement citées dans l'inventaire avec leur 30 familles, toutes concernées par l'opération de relogement. «Le 9 août 2014, à 6h du matin, un officier de police s'est présenté. Il nous a annoncé que nous allions partir incessamment en nous demandant de nous préparer», reprend Hocine. «Mais quelle ne fut notre déception en apprenant que seules six familles étaient concernées par l'opération. Elles ont été relogées à Ouled Mendil. Quant aux 24 familles restantes, elles attendent toujours. Nous sommes maintenant en danger de mort. On vit dans la peur.» Pour lui, il ne fait aucun doute que les 24 logements manquants ont été affectés à des «sinistrés fictifs», avec la complicité de certains responsables. «Venez nous parler au lieu d'effacer nos graffitis» Hocine nous fait une visite guidée dans les entrailles de sa vieille maison. L'état du bâti contraste violemment avec la vue magistrale qu'on a d'ici. Au diable la vue si c'est pour y laisser sa vie, songe-t-il. Hocine se tient le ventre chaque fois qu'il voit sa fille de trois ans se faufiler entre les menus étaiements qui soutiennent les appartements du haut, abritant des familles dans la promiscuité la plus totale. «Constatez par vous-même, ça s'effrite tout seul», lâche-t-il en arrachant sans effort un bout de la balustrade qui tombe en lambeaux. «L'autre jour, des barreaux de fer se sont détachés de la fenêtre du haut et ont failli nous tomber dessus. A n'importe quel moment, vous pouvez recevoir un bloc de pierre sur la tête. On attend qu'il y ait mort d'homme pour agir ou quoi ?» s'indigne Hocine. Malgré la précarité dans laquelle ils se trouvent, les sinistrés de Bologhine s'accrochent à cette forme d'expression citoyenne et pacifique qu'est le graffiti dans l'espoir de sensibiliser les pouvoirs publics sur leur situation. «Si nous étions du genre ‘casseurs tatoués' qui barrent la route pour obtenir gain de cause, peut-être qu'on nous aurait entendus. Mais nous sommes des gens pacifiques, qui revendiquent juste un logement digne et sécurisé pour leurs familles», plaide Hocine Boumediène. «En plus, c'est notre droit, nous étions prévus sur cette liste et nos logements ont été indûment attribués à d'autres. Laâbouna b'redjlina.» Notre hôte s'agace, par-dessus tout, du manque de répondant des autorités, sollicitées à tous les échelons. «ça fait un an qu'on écrit, sans résultat», soupire-t-il. «Au lieu de venir s'enquérir de notre situation, ils s'acharnent à effacer nos graffitis pour nous priver de parole. Normal. Pour eux, ça fait désordre. On est quand même sur un axe très fréquenté. Le mur s'est épaissi à force d'être repeint !» Le 17 août dernier, les habitants du «28» ont saisi de nouveau, par écrit, le wali délégué de Bab El Oued. «Depuis la dernière opération de relogement, nous sommes ballotés entre l'APC, la daïra et la wilaya. On nous trimballe d'un responsable à l'autre. Ils sont décidément incapables de régler notre problème alors que la loi les oblige à régler notre situation sans délai sous peine d'une catastrophe humanitaire dans l'Algérie de'al izza wal karama» écrivent-ils. Pis encore, «en guise de mesure arbitraire et anticonstitutionnelle, nous avons été privés de certificat de résidence», dénoncent-ils. A noter que les graffiteurs sinistrés du 28, rue Emir Khaled ont crée une page facebook pour augmenter leur audience. Au moins, le mur de facebook, «ils» ne peuvent pas l'effacer…