Le sujet du Dernier tabou, enquête de Pierre Daum sur les harkis restés en Algérie après 1962, ne plaît pas à tout le monde. Evincé d'un Salon du livre pour une position non officielle sur le massacre des harkis en 1962, c'est ce qui est arrivé à Pierre Daum, auteur du livre Le dernier tabou (éditions Solin-Actes Sud avril 2015 et bientôt Sédia Alger- octobre 2015). Alors qu'il devait être présent à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) dimanche dernier, son invitation a été annulée quelques jours auparavant par la municipalité. «J'ai été scandaleusement déprogrammé», explique-t-il à El Watan, «par une municipalité classée à gauche. Pourtant, ce Salon du livre a, depuis toujours, et encore cette année accordé une place à l'Algérie et à la guerre d'Algérie. C'est cela qui est le plus décevant. Nice ou Cannes, je n'y serai jamais invité et je le sais parfaitement, mais là... A Mouans-Sartoux, il n'est pas dans la tradition d'instrumentaliser le passé colonial, la guerre d'Algérie, à des fins électoralistes.» Mais alors que s'est-il passé ? Pour Pierre Daum, une part de la communauté harkie et plus particulièrement les enfants de harkis ont fait pression en découvrant son nom dans le programme de l'édition 2015 : «Ce village a abrité, en 1962, un camp de réfugiés harkis. Après deux semaines de silence, l'adjointe à la culture, Marie-Louise Gourdon, commissaire du Salon m'a confié au téléphone ses raisons, en disant qu'elle a 20% d'électeurs issus de cette communauté.» Et l'historien de préciser que si beaucoup de harkis se reconnaissent dans sa vision des faits survenus après 1962, «il y a une petite partie qui s'est mise à critiquer mon travail et cela est remonté aux oreilles de l'élue. On critique mon livre précisément sur la question du massacre des harkis en Algérie à la fin de la guerre. On me reproche de ne pas suivre la version officielle qui répète depuis 50 ans en France qu'une majorité de harkis s'est fait massacrer en 1962, alors que j'argumente de regarder les choses avec plus de sérieux et d'objectivité : il y a eu des milliers de harkis tués, mais beaucoup se sont intégrés à la société algérienne et je les ai retrouvés dans mon enquête en Algérie dans leur village cinquante ans plus tard. Cela dérange certains». «Arrêtez de parler d'un massacre généralisé de Harkis» Cependant, estime Pierre Daum, son analyse soulève et révèle aussi le poids de la douleur face à l'ingratitude de la France à l'égard des harkis et dont leurs enfants sont porteurs. «Quand on est enfant de harki en France, cela fait cinquante ans de souffrance. Ils sont aveuglés par leur revendication vis-à-vis de l'Etat français.» Il faut d'ailleurs souligner que le Salon de Mouans-Sartoux, qui s'est déroulé les 2, 3 et 4 octobre, tombe juste après le 25 septembre, jour du souvenir instauré par le législateur français pour rendre hommage aux harkis. Déjà à cette occasion, Pierre Daum était intervenu dans les médias pour dire qu'il y a nécessité en France «de regarder la vérité historique en face et d'arrêter de parler d'un massacre généralisé de harkis». Pour lui, il n'y a aucun doute, à Mouans-Sartoux, «des militants d'associations de harkis qui refusent de poser cette question sont irrités par ce souhait de mettre à plat les a-priori : ils ont fait pression, menaçant la mairie de désordre dans le Salon du livre et de ne pas voter pour la majorité en place lors des prochaines élections». Pierre Daum s'est ainsi mis en porte-à-faux face à certaines associations de harkis, qui pensent que sa thèse, bien qu'argumentée, générait la «reconnaissance de leur abandon» et de leur «massacre», pour lequel ils se battent depuis toujours. Pierre Daum sera à Alger au Salon du livre à la fin du mois pour la publication algérienne de son œuvre aux éditions Sédia. Pendant l'été, son ouvrage avait été traduit et publié illégalement en feuilleton par un journal arabophone algérois.