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De la table ronde sur l'économie algérienne Miloudi Boubaker. Professeur à l'université d'Alger 3, directeur de l'équipe de recherche «Théorie des jeux», auteur de nombreux ouvrages en particulier Investissements et stratégies de développement (OPU)
Le Conseil national économique et social (CNES) a organisé, le 20 septembre à Alger, une table ronde autour d'un collège d'experts nationaux et internationaux avec pour thème principal «Les enjeux de l'économie algérienne face à la situation actuelle du marché pétrolier international». Les experts réunis ont constaté la limite du choix de croissance basée sur une seule ressource, à savoir les hydrocarbures. Par la suite, ils ont proposé des mesures comme : la création d'un fonds souverain, la mise à contribution du secteur informel, inciter les gens au travail, etc. A mon avis, ces mesures sont louables mais restent insuffisantes devant l'ampleur de la crise à venir qui sera plus grave que celle de 1986, parce que les données ont complètement changé : d'abord la population a doublé, l'importation était à l'époque de 6 milliards de dollars, alors qu'aujourd'hui, elle est de 60 milliards de dollars, en plus les subventions représentaient à peine 10% du PIB, alors qu'elles s'élèvent actuellement à plus de 30% du PIB. Devant le ralentissement de la croissance de l'économie mondiale (pays émergents et la Chine comprise) et le recul du commerce mondial de 2% par rapport à 2014 (Rapport FMI), les prix des hydrocarbures vont continuer à avoir une tendance baissière (autour de 45 dollars le baril). D'ailleurs, dans les trois à venir, le déficit de la balance des paiements atteindra le montant de cumulé de 120 milliards de dollars et va absorber progressivement les réserves de change du pays. Ces derniers ont déjà régressé et continuent de baisser d'une manière significative le montant est de 159 milliards de dollars à fin juin 2015. Ce qu'il faut, c'est construire un modèle économétrique de l'économie algérienne basé à moyen et long termes (horizon 2030) sur des données réelles et avec différents scénarios. Par la suite, il s'agit d'étudier les différents impacts que va subir l'économie algérienne. Dans une autre phase, il faut mettre en place les autres scénarios de sortie de crise. C'est ce modèle économétrique, type keynésien avec les différentes variables (investissement - consommation –production etc..) qui permettra de choisir le modèle de croissance le plus approprié afin de l'appliquer et de laisser aux générations futures une économie diversifiée et compétitive en s'inspirant bien entendu de l'expérience de nombreux pays qui ont réussi leur développement. L'Algérie n'arrive pas à se développer, quelles sont les véritables causes ? Il faut analyser les obstacles au développement et surtout reconnaître notre incapacité d'émerger. Cela provient des caractéristiques spécifiques de notre pays, de certaines particularités sociales, culturelles et économiques notamment : comme la bureaucratie, l'informel et la corruption qui affectent pour une bonne part l'émancipation de la population et les progrès substantiels enregistrés. Il faut ajouter à cela d'autres caractéristiques liées au climat semi-aride où l'agriculture reste toujours un secteur de subsistance (10 milliards de dollars d'importation en 2014 de produits alimentaires). L'agriculture est devenue un secteur atrophié, les terres parmi les plus fertiles ont été dilapidées au profit de l'urbanisation. Il y a une destruction à grande échelle du capital foncier agricole. Selon les spécialistes de la question, durant les 50 dernières années, près de 200 000 ha de terres agricoles ont été détournées de leur vocation pour servir à d'autres usages. Selon le spécialistes de l'IAM (Institut agronomique de Montpellier), la superficie cultivée est tombée à 0,23 ha par habitant. Ce ratio pourrait même se dégrader au fil des ans pour atteindre 0,10 ha par habitant à l'horizon 2030. De plus, les rendements sont les plus bas du bassin méditerranéen, soit 10 à 15 q en moyen, alors qu'ils sont de l'ordre de 70 q /ha en Europe. Encore d'après les spécialistes en la matière, pour atteindre l'autosuffisance il faut 0,6 ha par habitant au minimum pour pouvoir nourrir la population, on est donc bien loin de cette dotation. Comme obstacle au développement, on peut citer les Investissements directs étrangers (IDE), l'Algérie en 2014 en tant que récepteur n'a attiré que 1,9 milliard de dollars, alors qu'en Egypte, elles ont atteint les 8,5 milliards de dollars, au Maroc et au Soudan, elles sont de 3,5 milliards de dollars. Pourtant avec un PIB, le 3e d'Afrique, l'Algérie se classe en 13e position sur les 54 pays en termes d'IDE qui représente 57 milliards de dollars. Il faut une réelle volonté politique pour lutter contre les obstacles au développement et créer les conditions durables aux changements par lesquels se produiront des transformations socio-économiques propices à la croissance et au développement. Comme l'agriculture est devenue un secteur atrophié, l'industrie est en déclin continuel et ne représente que 5% du PIB. Il faut souligner que le modèle de développement actuel de l'économie algérienne a généré un gonflement soudain de devises suite à la flambée des prix des hydrocarbures, environ 700 mds de dollars en 15 ans, accompagné d'un déclin de l'industrie et par la non- création d'entreprises performantes,qui seules sont créatrices de richesses et peuvent constituer un vivier pour développer l'économie du pays. Ces entreprises sont seules capables de prendre le relais une fois les ressources naturelles épuisées. Ce qui s'ajoute à une bureaucratie étouffante et décourage les véritables investisseurs. Ces phénomènes conjugués ont permis de marginaliser l'économie réelle qui est dominée par la sphère informelle, notamment marchande, qui emploie plus de 50% de la population, selon l'Office national des statistiques, contrôle 40% de la masse monétaire en circulation. Bien entendu cela va limiter le marché financier. En Algérie, on assiste également depuis plusieurs années à une fuite du capital humain qui s'est amplifié récemment, ce qui représente un coût élevé pour la collectivité, c'est un véritable fléau qu'il faut combattre. Les cadres hautement qualifiés peuvent contribuer au développement de la Bourse d'Alger par leur expertise et leur savoir-faire. Voilà les véritables raisons de la stagnation l'économie du pays qui montre que l'Algérie n'arrive pas à construire une économie intégrée et diversifiée pour produire les besoins essentiels de la population. Comment expliquer le déclin de l'industrie dans le développement du pays ? Depuis l'entrée du rééchelonnement en 1994 en Algérie, il est devenu plus facile d'importer que d'investir. Justement, c'est à la suite de l'accord conclu en 2005 avec l'Union européenne que le démantèlement tarifaire a commencé et l'Algérie s'est retrouvée parmi les pays qui protègent le moins son industrie. Les droits de douanes sont devenus insignifiants, alors qu'ils sont de l'ordre de 17% au Maroc et 20% en Egypte. Nos entreprises publiques et privées n'étaient pas assez protégées et ne pouvaient faire face à une concurrence féroce. De ce fait, les activités industrielles sont ruinées à cause de la concurrence des produits importés. Actuellement, l'Industrie nationale ne représente que moins de 5% du PIB, dont 95% sont des PME/PMI à faible valeur ajoutée. Même les prix des matières premières se dégradent, alors que les produits finis des produits importés ne cessent de progresser. D'ailleurs, pour se procurer la même quantité de produits manufacturés, l'Algérie doit produire davantage de matières premières. Par exemple, pour acquérir une voiture de 10 000 dollars, il fallait produire en 2014 une quantité de 66 barils de pétrole. En 2015, pour acquérir le même bien, il faut produire 250 barils. Quelles sont les solutions qui paraissent les plus réalistes pour une sortie de crise ? Cela demande de la réflexion et du temps pour ne pas refaire les mêmes erreurs, parce que cela va engager l'avenir du pays et les générations futures. On peut évoquer quelques axes de réflexion comme la participation de toutes les forces vives du pays sans exclusive, afin d'amorcer avec succès le développement du pays. Comme je l'ai évoqué au début de la question, il faut construire un modèle économétrique prévisionnel. De même, il faut mettre en place une stratégie de développement qui s'articule autour de 3 axes fondamentaux : 1.- Redéfinir le rôle de l'Etat 2.- Développer l'agriculture et les industries légères 3.- Lutter contre le marché informel et sortir de la politique de subventions et des transferts sociaux d'une manière progressive et intelligente. 1 Comme l'économie est basée sur la confiance il faut que les pouvoirs publics rétablissent le lien qui les attache au peuple en donnant des exemples significatifs, comme la réduction des salaires des hauts fonctionnaires politiques (ministres et députés) pour montrer qu'ils luttent ensemble contre la crise. Egalement les pouvoirs publics doivent jouer un rôle de régulateur et d'investisseur dans les secteurs stratégiques du pays. L'objectif stratégique du gouvernement est de commencer à faire des réformes structurelles dans l'agriculture, les services (banques) et surtout l'industrie en prenant exemple sur les autres pays qui ont réussi par la mise en place d'une économie compétitive et diversifiée en s'appuyant sur les entreprises nationales. 2 Il existe des méthodes de politique d'industrialisation qui ont été expérimentées par certains pays dont les résultats ont été considérés comme positifs. On peut citer l'industrialisation par substitution de l'importation et celle fondée sur les exportations. L'objectif recherché par la première méthode est de satisfaire les besoins de la population au moyen des produits locaux plutôt qu'au moyen de produits importés. Elle consiste à protéger le marché intérieur de la concurrence des produits étrangers, quitte à négocier les accords passés comme celui avec l'Union européenne. certains pays comme l'Argentine, le Brésil et l'Inde ont réussi à se développer de cette manière en jetant les bases de leur Industrie. Concernant le cas de deuxième méthode, c'est-à-dire l'Industrialisation qui est fondée sur les exportations des produits primaires, comme les hydrocarbures à l'état brut par celles des produits manufacturés (produits raffinés) en utilisant le facteur le plus abondant, la main-d'œuvre, ce qui contribue à résorber le chômage, en rappelant que l'université algérienne à elle seule envoie sur le marché du travail plus de 300 000 nouveaux diplômés. On peut prendre l'exemple de la Corée du Sud qui au début s'est spécialisée dans la fabrication de certains produits, comme les textiles, les composants électroniques simples, etc. Ces industries légères ont été choisies en fonction de la faiblesse des investissements et à forte consommation de main-d'œuvre. Par la suite la Corée du Sud a orienté sa production vers des secteurs plus capitalistiques en utilisant une technologie plus avancée comme l'électronique, l'informatique, etc. Aussi cette démarche a donné des succès à d'autres pays émergents, comme la Malaisie, Hong Kong, etc., grâce à un effet favorable sur l'emploi et à la répartition des revenus en ayant également des effets bénéfiques sur la balance des paiements. Par ailleurs, on peut citer le cas des pays de l'Europe de l'Est et particulièrement la Pologne. Ce dernier a utilisé une démarche type néolibérale dite «Théorie de choc» pour son développement. Elle a préparé les conditions par l'institution de la régulation par le marché. La réduction des dépenses publiques en supprimant directement les subventions et l'adaptation de la structure des prix relatifs à celle des coûts de production. Les autorités de ce pays ont incité de nouveaux marchés, comme celui des capitaux : un marché des titres de propriété et un marché obligataire sur lesquels les entreprises pouvaient se procurer les ressources financières, dont elles avaient besoin, ainsi qu'un marché de travail qui s'est substitué au processus d'allocation administrative de la main- d'œuvre, etc. Les exemples de pays qui ont réussi leur développement ne manquent pas. Ce qu'il faut, c'est agir ! 3- En Algérie, il faut revoir toute la politique actuelle de subventions et des transferts sociaux, parce que le gouvernement n'aura pas les ressources nécessaires pour supporter le poids de ce fardeau qui a entraîné de l'injustice, du gaspillage (comme le pain) et la fuite des biens vers les pays limitrophes (comme l'essence payé en devises fortes). Cette politique pratiquée actuellement profite aux riches, car ceux qui consomment le plus sont ceux qui disposent de revenus élevés et tirent le maximum des subventions. Certains pays, comme le Mexique et le Brésil, ont ciblé les catégories sociales les plus défavorisées. Le Brésil en pratiquant la politique de «Bolsa familia» a donné des résultats satisfaisants, en ce sens le gouvernement a transféré en liquide les soutiens directs aux familles les plus nécessiteuses. Le président Lulla était très populaire dans son pays. Il faut simplement expliquer à la population. D'ailleurs, des études ont montré qu'un hôpital peut être rentable si les patients s'acquittent seulement du montant des consultations externes. De ce fait, les patients peuvent exiger la qualité des soins au lieu d'aller se soigner à l'étranger en payant en devises ou avec une prise en charge de la sécurité sociale. L'Algérie est un pays musulman de par la Constitution et de ce fait même le Paradis se mérite grâce aux bonnes actions. Par conséquent, il faut revenir à la vérité des prix, des biens et des services et il faut que toute la population participe à l'effort de développement. Quelles conséquences pouvons-Nous tirer si le gouvernement n'amorce pas le développement dans les trois ans à venir ? Avec la politique économique et sociale menée actuellement (subventions, transferts sociaux,l'échec de la lutte contre le marché informel) et si un certain nombre de mesures ne sont pas prises dans l'immédiat, si les prix des hydrocarbures se stabilisent à 45 dollars le baril et comme la balance des paiements continue à être déficitaire, alors l'Algérie sera obligée de faire appel aux créanciers en cherchant à emprunter sur les marchés financiers internationaux et même faire appel au FMI. Les conditions de la politique en matière d'emprunts sont connues : elles consistent à privatiser les entreprises, à démanteler les barrières douanières, etc., en échange d'un financement supplémentaire. Les conséquences d'un endettement constituent un obstacle à la croissance. Les recettes d'exportations vont aux créanciers étrangers plutôt que de servir aux investissements indispensables à la croissance. Par la suite le surendettement conduit à l'appauvrissement et à la dépendance soit un cercle vicieux où le pays endetté ne peut pas s'en sortir. L'exemple de la Grèce est édifiant à cet égard.