A Staouéli, dans la banlieue ouest d'Alger, des centaines de fellahs risquent de se voir confisquer leurs terres agricoles au profit de l'extension de la résidence d'Etat de Moretti. Les agriculteurs accusent le PDG et refusent d'être relogés. «Le PDG de la résidence d'Etat du Sahel, Hamid Melzi, veut confisquer nos terres agricoles pour les bétonner et agrandir Moretti après l'avoir privatisée. Qu'il sache que nos terres sont le bien de l'Etat et du peuple et que nous n'allons pas bouger d'ici.» Djelloul Chelfi, 76 ans, fellah, craint aujourd'hui d'être «déporté» loin de ses terres qui ont nourri sa famille pendant 52 ans. Nous sommes à Moretti, dans la commune de Staouéli, réputée pour ses plages privées réservées à la résidence d'Etat de la banlieue ouest d'Alger. Ici, dans les deux haouchs (domaines) Mohamed Ben Saâd et Chikirou — anciennes fermes coloniales adossées à l'hôtel Sheraton et aux deux résidences d'Etat, Moretti et Club des Pins — les agriculteurs sont en état d'alerte depuis plus d'un mois. Attribuées aux moudjahidine et aux ayants droits par le ministère des Moudjahidine en 1963, ces coopératives agricoles risquent aujourd'hui de disparaître. «Plus de 2000 familles seront délogées et 230 hectares seront récupérés», dénoncent les agriculteurs rencontrés. «En août dernier, nous avons reçu une délégation composée de gendarmes, de pompiers, de représentants de la direction de l'agriculture, de la wilaya et de la résidence d'Etat qui nous ont fait croire qu'il s'agissait d'un recensement ordinaire, explique Djelloul du domaine Mohamed Ben Saâd. Mais les services de la commune ont fini par nous avouer qu'il s'agissait d'une opération de déportation.» Dans cette région agraire, les fellahs cultivent toutes sortes de légumes. Lakhdar, la quarantaine, la peau basanée et les mains pleines de terre, nous fait visiter son champ et ses pépinières de 9 ha qu'il partage avec neuf autres familles. «Nous cultivons des poivrons, des piments, des aubergines et des tomates, explique-t-il avec fierté. Nous alimentons les marchés de gros de Attatba (Tipasa), Les Eucalyptus (Alger), Boufarik et Rovigo (Blida). De plus, nous avons des pépinières qui fournissent plus de 20 wilayas, dont celles du Sud.» Utilité publique Ramdane Benyacine, 59 ans, membre de la coopérative de Djelloul, qui s'est fait attribuer une parcelle de terrain en 1996, est catégorique sur ce sujet. «Nous n'allons céder que si le projet s'avère d'utilité publique. Si c'est pour construire et vendre aux particuliers, je les préviens tout de suite, nous ne sommes pas d'accord. Nous n'allons pas abandonner nos champs pour partir vivre ailleurs», s'emporte-t-il. Ces coopératives sont considérées depuis 1987 comme des exploitations agricoles collectives (EAC), régies par la loi 87-19 du 8 décembre 1987 puis par l'arrêté interministériel publié au Journal officiel, sous le n°46, le 18 août 2010. Cette loi autorise les moudjahidine et leurs ayants droit d'exploiter ces terres agraires, qui relèvent du domaine national pendant 40 ans renouvelables sans en être les propriétaires. Djelloul, entouré d'une quarantaine de fellahs au domaine Mohamed Ben Saâd, propose une solution. «On est né fellah et c'est le seul métier que l'on sait faire. Si le projet est d'utilité publique, je leur propose de nous octroyer des terrains à Staouéli. Je ne veux pas être déplacer à mon âge, revendique-t-il. Certains moudjahidine et des veuves vivent le calvaire depuis l'annonce de cette décision. C'est très grave !» Leurs voisins du domaine Chirikou partagent le même avis. Ici, 500 familles risquent d'être délogées. Les agriculteurs, eux, parlent de 90 ha que la résidence d'Etat veut récupérer. «La commission en question ne nous a donné aucune explication qui motive cette décision. Comment veulent-ils que je quitte mon bien à 66 ans ?» s'interroge Kacem Saâd Saoud, fellah. Son fils, trentenaire, renchérit : «Nous sommes nés ici et nous avons grandi dans ce haouch. Pourquoi veulent-ils nous déloger pour nous remplacer par d'autres ? Ça n'a aucun sens !» Bidonvilles Dans le quartier des 30 Logements, la place s'est rapidement emplie d'habitants, préoccupés de savoir qui était recensé ou pas par la commission. «Je ne veux ni l'argent de la direction de la résidence d'Etat, ni ses solutions. Je demande à ce que l'Etat régularise nos actes de propriété, suspendus depuis l'indépendance», insiste Slimane, 32 ans. Au domaine Mohamed Ben Saâd, les femmes sont aussi sorties pour s'indigner. L'une d'elles est Fatiha Bensmaya, 55 ans, fille de moudjahid et propriétaire de la seule alimentation générale de cette région de Staouéli. «Nous allons tous entamer des recours, car les membres de la commission nous ont menti en nous faisant croire que c'était un recensement, promet-elle. Ils ont dit que nous vivons dans des bidonvilles, ce qui est un mensonge. Toute ma maison a été refaite et ils ne possèdent probablement pas ce que j'ai chez moi.» Et d'ajouter : «J'ai tous les documents qui prouvent que je paye mes impôts avec mon propre registre du commerce. Pourquoi veulent-ils me fermer mon magasin ?» Des bidonvilles, il y en a pourtant quelques-uns. Le plus connu s'appelle la Normandie, du nom d'un bar fermé il y a quelques années, implanté au milieu de la ville. «La majorité de ceux qui habitent ce bidonville sont venus durant la décennie noire. Ils ont fui leur région ravagée à l'époque par le terrorisme, explique un membre du comité de quartier. C'est une minorité qui n'attendait d'ailleurs que le relogement pour en finir avec leur misère. Enfin, ce n'est pas elle qui a été recensée, mais nous !» Lettres Dans cette région, il y a aussi des résidants dont les parents ont fait le choix de ne pas bénéficier de terrains agricoles. Parmi eux, les membres de la famille Harhad, aussi menacés de relogement — Hakim Harhad, 55 ans, et ses douze frères et sœurs, dont le père était membre de l'Organisation secrète et du MTLD (ancien détenu politique de l'armée française, décédé en 1992) —, sont dans tous leurs états. Leur mère, Taous, 85 ans, en robe kabyle, assise sous un grenadier, la tête entre les mains, exprime son mécontentement. Tous mariés, ils ont construit chacun leur maison. «Notre père a choisi le train et non la coopérative agricole. Nous avons investi des centaines de millions, mes frères et moi, pour avoir le train de vie que nous avons aujourd'hui. Comment voulez-vous que nous quittions tout ça ? Jamais…», promet Hakim. Les habitants des domaines Mohamed Ben Saâd et Chirikou rappellent leur bon voisinage avec ceux de la résidence d'Etat et promettent de «faire barrage», si le PDG de la résidence d'Etat du Sahel persiste dans sa décision de relogement. Le comité du village affirme qu'il n'a reçu aucune réponse aux lettres envoyées au Premier ministre, au ministre de l'Agriculture, au wali d'Alger, au ministre des Moudjahidine, au P/APC de Staouéli et au chef de daïra de Zéralda. Nous avons sans succès tenté de joindre Hamid Melzi. Quant au ministère de l'Agriculture, personne n'a souhaité répondre à nos questions.