Politologue et spécialiste du Monde arabe, Hasni Abidi estime que c'est toute l'expérience tunisienne qui est consacrée. Le prix Nobel décerné au quartette est «une consécration à la société civile tunisienne qui s'est approprié le processus de transition». - Quel commentaire vous inspire la remise du Nobel de la paix à quatre organisations tunisiennes qui ont joué un rôle dans la transition démocratique ? Une agréable surprise. Cela va au-delà de la simple récompense. C'est une consécration de la société civile tunisienne qui s'est approprié le processus de transition. Elle a défendu contre vents et marées les acquis d'un changement pacifique. Aujourd'hui, on célèbre les institutions et l'Etat de droit et on encourage la diversité et le dialogue inclusif. Le propre d'une transition réussie réside dans la négociation et les concessions mutuelles. - La Tunisie apparaît comme l'unique pays parmi ceux qui ont connu des révolutions à mener à terme sa transition sans grands dégâts. Pourquoi cela a marché dans ce pays alors que d'autres (Egypte, Libye, Syrie, Yémen) s'enlisent dans le chaos ? La valeur ajoutée de la Tunisie réside dans la vitalité de sa société civile et l'engagement de son élite. Elle a le mérite de privilégier le consensus et la négociation. Sans oublier une initiation militaire républicaine, gardienne de la transition, qui a laissé le quartette, primé aujourd'hui, y jouer un rôle majeur. La nature militaire et sécuritaire des régimes égyptien et libyen a radicalisé les positions et raté une occasion historique d'évoluer. - L'Algérie apparaît comme un pays à la traîne en matière de réformes démocratiques. Est-elle un pays irréformable ? Est-elle un contre-exemple ? L'Algérie a contribué sans le vouloir à ce Nobel de la paix. Son armée a sécurisé les frontières le plus sensibles de la Tunisie et supporté le coût humain et financier de cet engagement. Mais elle l'a fait pour des raisons sécuritaires et non pas pour consolider la transition tunisienne. L'Algérie est le pays des occasions manquées par excellence. Depuis Octobre 1988, elle n'arrive pas à trouver sa voie. Son système politique est sclérosé et sa société civile émiettée et démissionnaire. L'Algérie possède le personnel politique le plus périmé au monde. Ainsi, le décalage entre la société et le pouvoir empêche tout lien social et politique. S'ajoute à cela une gestion catastrophique de la rente pétrolière. Le pays est désormais en marge de l'histoire, accusant un retard considérable sur son voisin et sur les principes fondateurs de la transition pacifique. L'Algérie s'expose ainsi à des secousses sociales et sécuritaires sans aucune alternative. - Tout le monde s'accorde à dire que le régime politique algérien est à bout de souffle, mais refuse de «mourir». Pourquoi, selon vous ? Le régime a montré une capacité à élargir son assise et faire de la cooptation politique et économique. Il a également joué la carte de la peur avec le peuple et avec l'étranger comme une arme pour se relégitimer. Le prix est exorbitant : dilapider les richesses du pays et ajourner les vraies réformes politique et sociales. Le régime est certes debout, mais il n'est pas vivant. Son maintien est artificiel et je redoute un effondrement, avec des conséquences lourdes pour le pays.