Redha Malek se permet de sortir du contexte historique pour aborder l'aspect politique. Il dit qu'après l'indépendance, il y a eu une «précipitation» et un «chamboulement dans les programmes». Le témoin et l'acteur de premier plan des Accords d'Evian, l'ancien chef de gouvernement (1993-1994), Redha Malek, est revenu hier, lors d'une conférence-débat organisée par la fondation Slimane Amirat, sur les étapes de la création, en septembre 1958 au Caire, du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Cet événement est considéré comme un moment fort dans la lutte pour l'indépendance de l'Algérie. Pour la première fois, Redha Malek se permet de sortir du contexte historique pour aborder l'aspect politique. Il dit qu'après l'indépendance, il y a eu une «précipitation» et un «chamboulement dans les programmes». Ce cafouillage que nous avons connu, explique Redha Malek, a créé beaucoup d'incertitudes et un traumatisme politique profond. Le porte-parole de la délégation algérienne envoyée à Evian reconnaît, devant un parterre composé d'anciens moudjahidine et de personnalités politiques, qu'aujourd'hui nous payons, en quelque sorte, le prix de cette «précipitation». Pour Redha Malek, il fallait dès l'indépendance permettre la création d'une Assemblée constituante et au GPRA de rendre ses pouvoirs : «Nous avions élaboré et adopté un programme, nous avons tenu une réunion qui ne s'est pas terminée et l'Assemblée constituante qui devait prendre le relais du GPRA n'a pas abouti. Les événements se sont alors succédés.» Redha Malek — qui a assisté aux discussions, sur les bords du lac Léman, qui ont conduit à la signature des Accords d'Evian, le 18 mars, et au cessez-le-feu entré en application le lendemain — qualifie Abane Ramdane de grand homme, un homme d'une rigueur inégalée et qui touchait un salaire très modeste. «J'ai bien connu Abane, sa mort nous a choqués, attristés, son souvenir est vivace dans nos esprits. Malheureusement, dans une révolution, il y a, certes, des choses qui nous choquent, seulement nous devons continuer cette révolution», explique le conférencier. Pour Redha Malek, il faut être un génie et un homme de la trempe de Abane pour organiser un Congrès de la Soummam dans les conditions de l'époque. «D'ailleurs, Abane disait que c'était fou d'organiser dans cet endroit un tel congrès. Mais tout le monde a reconnu que c'était un coup de maître. Abane était un homme courageux, il était aussi très sévère mais ouvert.» En décrivant Abane, Redha Malek le qualifie d'homme exceptionnel. Revenant sur cette plateforme juridique qui posait les jalons de l'Algérie indépendante et la création du GPRA, Redha Malek affirme que le contenu des accords est connu de tous : «Nous n'avons rien à cacher ni sur les essais nucléaires, ni sur la création de base militaire. Les Accords d'Evian étaient clairs et le contenu a été rendu public et publié.» Et de préciser que «les clauses accordaient trois ans de délai à la France coloniale pour transférer ses expériences ailleurs, à la demande du général de Gaulle», a-t-il assuré. Interrogé sur les déclarations de l'ancien président français, Sarkozy, de revoir les Accords d'Evian, Redha Malek répond que «Sarkozy ne connaît pas l'histoire et ses déclarations n'ont aucun intérêt». «Il est complètement hors sujet ce Président qui a mal géré le dossier de la Libye…», ironise Redha Malek qui n'a pas manqué de rappeler les magouilles de l'OS, une organisation qui a tenté d'infiltrer la délégation algérienne pour saboter le travail, la position de Houari Boumediène et ses collègues de l'état-major qui n'ont pas caché leur opposition aux Accords. Par ailleurs, Redha Malek révèle un autre fait important : les appétits du président tunisien Bourguiba, qui voulait négocier un morceau du Sahara. «De Gaulle avait accepté d'aller vers un référendum pour le nord de l'Algérie, le GPRA avait refusé en posant la condition d'un référendum pour tout le territoire national. La France a fini par accepter, mais la Tunisie s'est élevée pour revendiquer un morceau de notre Sahara, les Français ont rejeté cette revendication malgré les multiples tentatives de Bourguiba.» Revenant dans le détail sur la création du GPRA, Redha Malek explique que l'idée germait depuis bien longtemps. L'enlèvement en octobre 1956 des cinq principaux dirigeants de la Révolution, considéré comme le premier acte de piraterie aérienne de l'histoire, fut un des déclencheurs de cette idée. Il y a eu aussi la conférence de Tanger en avril 1958. Le travail d'information a eu des résultats inattendus, explique l'ancien diplomate : «L'éclatement de la Révolution de 1958 en Irak proclamant Kassem au pouvoir verra la majorité des pays arabes entraînés par la position de l'Irak à reconnaître le GPRA.»