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Le marché du livre au cœur de gros enjeux financiers
Subventions, contrats publics, importations
Publié dans El Watan le 09 - 11 - 2015

La 20e édition du Salon international du livre d'Alger (SILA) a regroupé plus de 900 exposants, dont plus des deux tiers sont des étrangers. Moins de 300 exposants nationaux étaient présents quand on sait que l'Algérie recense plus de 800 éditeurs, selon le ministre de la Culture.
Ils seraient un millier, d'après le CNRC. A peine 300, à en croire certains membres du Syndicat national des éditeurs de livres (SNEL).
La différence de chiffres serait représentée par ce que Noureddine Necib, patron des éditions Necib, appelle «des éditeurs fantômes» quand d'autres les qualifient de «parasites» attirés par les subventions de l'Etat et le marché de l'importation.
Selon Abdallah Cheghnane, directeur des éditions Dahleb, spécialisé dans les livres historiques, «il y a un millier d'éditeurs, parmi lesquels beaucoup d'importateurs.
Ceux qui ne font que l'édition doivent être autour de 300.» Difficile de définir la taille du marché quand on n'arrive même pas à estimer le nombre de ses acteurs. Ce qui est certain, c'est que la profession est sujette à «des tiraillements et une guerre de leadership en raison de l'argent qu'il y a en jeu», soutient Abdallah Cheghnane.
D'un côté, le SNEL qui compterait plus de 80 éditeurs, selon Noureddine Necib, et de l'autre l'ONEL (organisation nationale des éditeurs de livre) qui elle regroupe les grosses pointures du secteur tel Casbah, Chihab, Barzakh, Dalimen, Enag, etc. Ces derniers sont accusés d'attirer toutes les aides de l'Etat, pendant que les petits éditeurs peineraient à survivre.
Le directeur du Centre national du livre (CNL) a récemment fait savoir que plus de 100 millions de dollars ont été dépensés ces dernières années pour soutenir 8000 livres. Noureddine Necib estime que «plus de 50% des éditeurs sont en difficultés financières. Certains d'entre eux cherchent même un travail à mi-temps».
Selon lui, ceux qui sont subventionnés par le ministère de la Culture ne le ressentent pas, mais «ceux qui vivent uniquement des ventes, si !» Un avis loin d'être partagé.
Dire que la plupart des éditeurs sont dans une situation critique n'est pas vrai, selon Abdallah Cheghnane. «Celui qui perdrait de l'argent ne resterait pas dans le métier». «Sur un livre vendu, il faut compter une marge de 25% pour l'éditeur, 50% pour l'impression et 10% pour l'auteur», argumente-t-il. Pour Sofiane Hadjadj, des éditions Barzakh, 25% est aussi un chiffre très plausible. Mais pour certains éditeurs, cela ressemble plus à une utopie.
Inégalités
Noureddine Necib cite l'exemple d'un ouvrage sur le moudjahid Debbih Cherif, tiré à 1000 exemplaires, dont seulement 200 à 250 ont été vendus en un an et demi.
Il a coûté 140 000 DA à l'éditeur. «Quand l'éditeur sort un livre, il ne sait même pas s'il va le vendre», soutient M. Necib. L'aide de l'Etat qui permet au ministère de la Culture d'acquérir par exemple 1000 à 1500 exemplaires d'un ouvrage et de soulager donc l'éditeur «n'est pas équitable».
Une poignée d'éditeurs qui constituent un lobby parmi les plus grosses maisons en bénéficient. Les petits sont, quant à eux, criblés de dettes.
Si certains ne bénéficient pas des aides alors qu'ils y ont droit, d'autres, en revanche, sont exclus de fait. Mohand Cherif Belaïd, directeur des éditions Pages Bleues dédiées aux publications scientifiques et techniques, explique que le coût de l'édition pour un livre technique varie entre 50 000 et 100 000 DA, sans compter les frais d'impression.
Mais ce type de livre n'est pas éligible à l'aide de l'Etat, car «on estime qu'il est du ressort de l'université. Il n'ouvre donc pas droit aux subventions». En revanche, «beaucoup d'éditeurs ont vu le jour juste pour bénéficier des fonds publics», soutient notre interlocuteur. «Cela permet à beaucoup de parasites de se faufiler. Selon moi, il n'y aurait pas plus de 60 vrais éditeurs, c'est-à-dire ceux qui font réellement de la production de livres.»
Il faut dire que la manne à dépenser est importante, surtout à l'occasion des manifestations internationales organisées ces dernières années par le ministère de la Culture. Les prix du pétrole aidant, l'argent coulait donc à flots. Selon Abdellah Cheghnane, «les plus gros marchés ont commencé en 2003 avec la manifestation Année de l'Algérie en France».
Le Festival panafricain, Constantine capitale de la culture arabe, Tlemcen capitale de la culture islamique, Alger capitale du monde arabe, le cinquantième anniversaire de l'indépendance sont autant de grosses opportunités offertes à un nombre restreint de maisons d'édition, nous dit-on. Pour ce dernier événement, le ministère de la Culture avait un programme d'édition ou de réédition d'un millier de livres à plus de 1000 exemplaires chacun.
Quid des importations
Pour la manifestation Constantine capitale de la culture arabe, 1500 ouvrages étaient concernés. «Il y avait beaucoup d'argent en jeu. Environ 5 à 10 milliards de centimes par an». «Il y a un clan d'éditeurs qui en a fait son beurre. Ils ont pris le maximum de projets d'édition.
Nous avons arraché quelques marchés dans leur sillon», reconnaît Abdellah Cheghnane. Aujourd'hui, avec la crise, on s'attend à plus de restrictions budgétaires. Pourtant, les importateurs pourront toujours continuer à prospérer.
De nombreux éditeurs sont d'accord pour dire que le plus gros du marché est livré à l'importation. On affirme qu'environ 8 livres vendus sur 10 sont importés. Le nombre de livres importés a augmenté de plus de 10% au cours des trois dernières années, selon les statistiques douanières (voir graphe).
Plus de 21 millions d'unités uniquement pour les neuf premiers mois de l'année 2015. L'édition locale serait en panne avec quelques centaines de nouvelles éditions chaque année et des tirages qui se situeraient entre 1500 et 2000. L'importation accapare le plus gros du marché, note Abdallah Cheghnane.
«Mais il n'y a aucune possibilité de réciprocité. Quand nous allons participer aux foires internationales, c'est à peine si nous avons droit à 5 exemplaires. Quand eux viennent chez nous, c'est avec des containers».
Pour Mohand Belaïd, le livre importé est lucratif. Il coûte au bas mot 4000 DA, alors que le local fait à peine 400 à 500 DA. «Il y a plus d'argent à se faire dans l'importation».
En outre, dit-il, tout est fait pour encourager l'importation. «Chaque université a son propre marché, mais le plus souvent elles ne font même pas l'acquisition des ouvrages produits par leurs propres enseignants». «Les appels d'offres sont destinés aux importateurs. Les titres demandés dans les cahiers des charges correspondent à 95% aux publications importées», argumente-t-il.
M. Belaïd estime le marché du livre universitaire et scientifique à environ 50 millions d'euros par an (2013). «Il y a 64 millions de manuels scolaires, nous ne représentons même pas 1%.»
Selon Sofiane Hadjadj, ce qui est importé et qui coûte le plus cher ce sont surtout les ouvrages médicaux et techniques. «Nous n'avons pas de production locale dans ces branches.» En tout état de cause, ce ne sont pas ces branches-là qui dessinent la tendance du marché du livre aujourd'hui. Selon Abdallah Cheghnane, «ce qui marche le mieux c'est le livre jeunesse».
L'éditeur avoue que le marché tend à plus de spécialisation. «Chez nous, 80% de la collection sont constitués de livres historiques, en particulier l'histoire contemporaine de l'Algérie». Est-ce vraiment vendeur ? A priori non, car la demande il faut la chercher parmi les plus de 40 ans. La spécialisation ne rapporterait pas gros. C'est d'ailleurs pour cela que beaucoup d'éditeurs font dans l'importation et s'impliquent dans le livre parascolaire.
Le boom
Sofiane Hadjadj ne pense pas qu'il soit profitable de vivre uniquement des romans et des essais. «Se limiter à la littérature n'est pas très rentable. Les circuits de distribution pèsent lourd.
Les éditeurs investissent beaucoup, mais l'argent reste immobilisé chez le libraire». Il faut, dit-il, avoir un très gros catalogue pour pouvoir vivre de ça uniquement. «Si vous éditez 1000 exemplaires, il faut 2 ou 3 ans pour les écouler, et encore.
C'est pour cela que beaucoup d'éditeurs s'investissent aujourd'hui dans le parascolaire et vivent de contrats publics (type Constantine capitale de la culture arabe).» Le parascolaire est devenu le nouveau bon filon à exploiter.
Sa présence au Salon du livre est d'ailleurs remarquée. On affirme que dans le marché local, le livre scolaire représente la plus grosse part. Tout le reste est marginal. «Si vous arrivez à faire 1000 unités hors de ce créneau, vous pouvez considérer que c'est une bonne performance», indique Sofiane Hadjadj.
60% du marché du livre sont détenus par le parascolaire, selon Abdellah Cheghnane. «Entre 50 et 60% en volume», selon Sofiane Hadjadj. Noureddine Necib l'estime, quant à lui, autour de 40%. Une part justifiée, car «les parents n'ont pas trop le choix.
Ça aide les enfants à réussir.»
Selon le représentant de la maison d'édition Dar Ennajah, spécialisée dans le livre parascolaire, le marché est «en pleine expansion».
Cela s'explique par le fait que les manuels scolaires ne suffisent pas aux élèves et pour cela «les parents sont près à mettre le prix, et ce, de la 1re année scolaire à la classe de terminale».
Il n'est, selon lui, pas étonnant de voir les parents acheter tous les volumes d'une série qui en compte six, à 500 DA l'unité, pour leur enfant qui passe le bac. Une aubaine qui n'a pas fini de faire des heureux.


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