Les travaux du Campus international d'Alger, coorganisé par les barreaux d'Alger et de Paris, ont pris fin lundi sur un goût d'inachevé. Les participants sont restés sur leur faim en raison du temps, insuffisant, prévu pour débattre des problèmes de fond que rencontrent les avocats des deux pays, liés notamment au droit des affaires, à l'arbitrage et à l'exécution des décisions de justice en matière de statut personnel, surtout lorsqu'il s'agit de divorce par répudiation et de kafala. Pendant les deux journées des travaux (8 et 9 novembre) du Campus international d'Alger, coorganisé par les barreaux d'Alger et de Paris, les avocats ont, durant les maigres espaces de temps consacrés aux débats, suscité une vive discussion dans la salle de conférences de l'hôtel El Aurassi. Celle-ci ne concernait pas les lois en vigueur en Algérie et en France, sujet qui s'est taillé la part du lion du programme de ce Campus, mais plutôt les questions liées particulièrement à l'exequatur, c'est-à-dire l'exécution des décisions de justice, des deux côtés de la Méditerranée, relatives au statut personnel. La première conférence à avoir suscité le débat est celle de Me Yakout Amroune, professeur de droit à la faculté d'Alger et à l'Ecole supérieure de la magistrature. Pour elle, l'Algérie a mis au point un cadre législatif extrêmement libéral en matière d'arbitrage, qualifiant ce dernier de «bien en avance» par rapport à celui existant en France. «Contrairement à la France, la justice algérienne reconnaît le principe de reconnaissance des jugements rendus à l'étranger», dit-elle, soulignant plus loin qu'en matière de statut personnel, «la répudiation n'est qu'un vocable qui n'apparaît pas dans la décision de divorce». «L'exécution d'une décision ne peut être valide que s'il y a des conventions d'exequatur et que toute sentence arbitrale entre l'Algérie et la France doit être soumise à l'exequatur. L'Algérie a rejeté le système de la révision de la décision et s'est approprié celui du contrôle du jugement». L'avis n'est pas entièrement partagé par Frederic Bicheron, professeur agrégé à l'université de Paris, qui lui succède à la tribune pour apporter des précisions. «L'exécution des décisions rendues par les tribunaux algériens ne rencontre de problème que lorsqu'il s'agit de jugements liés au statut personnel et à la famille. J'ai entendu le Président algérien, il y a quelques mois, promettre de revoir la législation en la matière. Ce qui est une bonne chose. Il faut savoir que certaines institutions du droit musulman peuvent être heurtées par des décisions du droit français. Tout comme elles peuvent elles-mêmes choquer notre approche, basée sur le respect des droits de l'homme et l'égalité en droit entre les hommes et les femmes», dit-il avant d'argumenter son exposé par deux cas d'école : la kafala et le divorce par répudiation : «Un couple de binationaux, mariés en Algérie et vivant depuis des années en France, dont le mari décide de répudier l'épouse dès son retour en Algérie pour échapper à la contribution des charges du mariage en France. Le juge va-t-il reconnaître une décision de divorce prononcé de manière unilatérale par l'époux pour que ses comptes en banque en France ne soient pas bloqués en raison du non-paiement des dommages résultant du divorce ?» Pour qu'une décision soit exécutée, il faut trois conditions, dit-il : «La compétence indirecte du juge étranger, la conformité avec l'ordre public et l'absence de fraude. Dans ce cas précis, le juge a estimé que la décision du magistrat algérien vient à l'encontre du droit public et de la justice universels qui protègent l'intégrité de la personne et sa dignité.» Le deuxième exemple, ajoute-t-il, est lié à la kafala ou adoption. «La requête en adoption peut-elle lui conférer une filiation et tous les droits y afférents», s'est demandé l'orateur. Il suscite la réaction de nombreux avocats. «La répudiation n'existe pas dans les textes. C'est un vocable seulement lorsque le juge prononce le divorce, il ne l'évoque pas», lance un avocat du barreau d'Alger, avant de donner la parole à une de ses consœurs : «C'est la nature unilatérale du divorce par répudiation qui viole le principe d'égalité. En France, seul le mariage par consentement mutuel est reconnu et il n'est pas susceptible d'appel. En Algérie, il l'est sur les aspects liés à l'argent seulement.» Les interventions se rejoignent pour reconnaître les inégalités contenues dans le statut personnel. Me Nasreddine Lezzar évoque les différentes instances d'arbitrage qui, selon lui, sont souvent mal connues. Il révèle que l'Algérie occupe la première place des pays de la région Maghreb et Afrique du Nord (MENA) qui recourent à la Chambre de commerce international (CCI) et explique cette position en disant : «L'embellie financière qu'a connue le pays mais aussi les réformes judiciaires qui ont été effectuées, notamment celles qui ont touché le code de procédure pénale, ont concouru au nombre important des affaires portées devant la CCI.» Selon lui, «les entreprises algériennes sont souvent défenderesses et très hésitantes». Me Lezzar exhorte les avocats à s'impliquer davantage et la Banque d'Algérie à permettre aux sociétés de transférer en devises les fonds nécessaires pour assurer une bonne défense devant les instances d'arbitrage internationales. L'avocat conclut en appelant à une chambre d'arbitrage à Alger pour statuer sur les litiges en Afrique. Membre du cabinet Searman et du barreau de Paris, Me Coralie Darrigade qualifie le droit algérien de très libéral et permet une très grande protection des investissements. Le nombre de contentieux algériens portés devant le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi) a connu une hausse entre 2007 et 2014, dont 60% concernent le respect des traités bilatéraux. «L'Algérie a signé 47 traités, dont 27 sont en vigueur. Elle est membre observateur de la Charte de la conférence de protection dans le domaine des énergies. Elle a gagné un procès intenté par la Fédération de Russie qui réclamait 50 millions de dollars. Devant le Cirdi, il y a eu cinq actions contre l'Algérie. Avec Astaldi, la décision a été favorable, avec Mearks qui réclamait la taxe de profit, l'affaire a été classée après le retrait de la plainte, et avec Orascom, l'affaire est toujours en cours.»