La suspension du code de l'indigénat en juillet 1914 marquera ainsi le début de la mobilisation des Algériens «colonisés» dans une guerre qui ne les concernait pas. La fin de la Première Guerre mondiale a apporté une grande déception aux milliers d'Algériens qui y ont pris part, et qui aspiraient avoir accès à la citoyenneté et à l'égalité des droits avec les Français.» C'est la conclusion d'une conférence animée, mardi soir, à l'Institut français de Constantine, par l'historien français Gilbert Meynier, professeur émérite à l'université de Lyon, grand spécialiste de la Grande Guerre (1914-1918), mais qui a aussi produit de nombreux ouvrages sur l'histoire de l'Algérie. «Pour la première fois depuis 1830, le pouvoir français avait décidé de solliciter les Algériens dans un conflit armé, qui survient dans des circonstances difficiles, marquées surtout par la sécheresse et la famine qui ont frappé un pays qui avait de tout temps nourri la France», affirme Meynier. La suspension du code de l'indigénat en juillet 1914 marquera ainsi le début de la mobilisation des Algériens «colonisés» dans une guerre qui ne les concernait pas, dans le but de «barrer le chemin à la barbarie». «Cela n'a pas été facile, même s'il y avait une sorte d'attentisme de la part des Algériens, hormis une opposition manifestée lors de la révolte de Beni Chougrane, mais aussi celle des Aurès, vite réprimées», poursuit le conférencier. Meynier affirme que si le service militaire obligatoire était en fait théorique, l'incorporation totale commencera en septembre 1916. Parallèlement, l'appel au djihad des Turcs, engagés dans la guerre aux côtés des Allemands, essuiera un échec cuisant. Il faut dire que la propagande française a été plus efficace. Entre le mois d'août 1914 et 1918, les effectifs des soldats algériens, entre appelés et engagés «volontaires», ont atteint près de 175 000 hommes, selon les chiffres communiqués par Gilbert Meynier. «Les Algériens mobilisés dans l'armée française avaient reçu des promesses. Sur le front, ces Algériens ont été les premiers engagés dans les assauts à partir de 1916. Ils avaient énormément souffert de la discrimination, même s'ils auront droit par la suite à la permission.» Meynier, qui a étudié les lettres adressées par ces soldats à leurs familles, évoque des hommes bien accueillis par les familles françaises dans les régions à majorité protestante. «Plusieurs d'entre eux se sont bien intégrés dans la société française, en allant travailler dans les usines où ils ont acquis l'esprit ouvrier, avant de s'engager dans les rangs du Parti communiste français», explique Meynier, qui considère cette étape comme «un début du commencement de la libération». Ces mêmes ouvriers seront par la suite à l'origine de la création à Paris, en 1926, de l'Etoile nord-africaine, premier parti politique dans l'histoire de l'Algérie. Mais l'apport de ces soldats, dont des milliers sont morts au front, ne sera pas reconnu. Après la fin de la guerre, le code de l'indigénat sera reconduit en 1920. «A part une faible progression du droit des Algériens à la scolarité, les promesses du droit à la citoyenneté et à l'égalité ne seront guère tenues, ce sera une grande occasion manquée de la part du pouvoir français», conclut Meynier.