Les universitaires ont déploré la déformation, la débaptisation et le remplacement des noms de lieux par des noms étrangers. Le laboratoire d'aménagement et d'enseignement de la langue amazighe de l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou organise depuis hier un colloque sur le thème «Le nom propre : mémoire et identité». Quinze communications sont au programme de cette rencontre scientifique de deux jours dont l'objectif, diront les organisateurs, est de contribuer au débat sur les problèmes liés au nom propre en proposant, entre autres, des axes de réflexion sur l'apport des sciences humaines à la connaissance des noms propres, les problèmes de la toponymie, la prénomination. «Des questions surgissent à chaque fois que l'on parle des noms propres, qu'il s'agisse de noms de lieu ou de personne, origine, motivation de la dénomination, orthographe, prononciation, significations. Ces questions interrogent la linguistique, mais d'autres disciplines qui se rapportent à l'histoire, à la sociologie, voire à la politique. Ce sont aussi les questions que se posent l'onomastique, avec ses deux principales subdivisions, la toponymie ou science des noms de lieu, l'éthnonymie ou science des noms de personnes ou de groupes de personnes, des sciences que se partagent la plupart des sciences humaines, de la linguistique à la littérature, de la sociologie à l'histoire, sans oublier les sciences plus techniques comme la géographie et la cartographie», a indiqué le comité scientifique du colloque. «En Algérie, l'onomastique est aussi une source de problème. Déjà, à l'époque coloniale, des noms des lieux ont été soit déformés ou alors débaptisés et remplacés par des noms étrangers, l'instauration de l'état civil par l'administration coloniale a bouleversé le système de dénomination et aujourd'hui encore, on en subit les conséquences, avec des noms déformés ou des orthographes inadéquates. A cela s'ajoutent des décisions de l'administration qui imposent, pour ce qui est des prénoms, des listes ou l'attribution de nom de lieu, sans la consultation des spécialistes», ajoute-t-on. Abordant les origines de la toponymie algérienne, Mohand Akli Haddadou, professeur à l'université de Tizi Ouzou a indiqué : «Les noms propres de lieux en Algérie sont généralement d'origine berbère, reflétant la situation linguistique actuelle du pays. Mais à cause des occupations étrangères que le pays a subies tout au long de son histoire, la toponymie en conserve les traces, des noms phéniciens, latins peuvent encore être reconnus, en dépit des transformations qu'ils ont pu subir. Si l'étymologie de la plupart des noms actuels est aisément identifiable, d'autres sont contestables.» Sur un autre plan, M. Haddadou a déploré : «Des prénoms employés depuis des années sont supprimés alors que d'autres comme Ayatollah sont tolérés. Cela porte atteinte à la culture algérienne. Les chercheurs ont relevé de nombreuses incohérences dans l'état civil. Idem pour des noms propres qui ont été dénaturés.» Dans son exposé, Nora Tigziri, professeur dans la même faculté, a évoqué les problèmes liés à la géolocalisation des toponymes auxquels les chercheurs ont été confrontés lors de leurs recherches en géographie linguistique et insisté sur la nécessité de créer une base de données de toponymes normalisés. «Notre travail depuis quelques années en géographie linguistique nous a confronté à la problématique de la représentation d'un nom de lieu sur une carte. En effet, pour un lieu donné, il peut exister plus d'un nom connu pour le représenter et produire différentes orthographes, ce qui complique la recherche des paramètres de géolocalisation dans les bases de données de toponymes existants à l'heure actuelle. Tant que l'on n'arrive pas à une normalisation de l'écriture des toponymes berbères, nous continuerons à nous débattre dans des problèmes de représentation spatiale de ces données.» Intervenant à l'ouverture du colloque, l'universitaire Idir Ahmed Zaïd a mis en relief l'importance de la thématique abordée. «Ce champ de recherche, à l'échelle nationale, reste en friche, il est pratiquement à l'abandon. Le nom propre est un indicateur de la résilience d'une société qu'il faudra se réapproprier. Il retrace l'histoire et les évolutions, les mutations subies par la société ainsi que la relation entre l'être humain et l'espace qu'il occupe. Il faut se réapproprier le nom propre et son sens pour les réinjecter dans le développement de la langue. 70% des noms des wilayas en Algérie ont un sens amazigh», a-t-il souligné.