«Le culte du souvenir est la condition de survie de l'âme d'un peuple.» Marcel Proust Ali la Pointe, Hassiba Ben Bouali, P'tit Omar, Mahmoud Bouhamidi. Illustres noms de martyrologe au panthéon de l'histoire et de la mémoire collective. Ils ont pour noms Amar Ali, surnommé Ali la Pointe, l'intrépide vaillant chef fidaï, cauchemar de la police et des ultras colonialistes, Hassiba Ben Bouali, une symbolique de gloire nationale, Omar Yacef, dit P'tit Omar, un enfant sans enfance au courage précocement proverbial déchiqueté barbarement dans ses treize printemps, Mahmoud Bouhamidi, un agent de liaison, compagnon fidèle de lutte et de combat. Leur souvenir toujours vivace est à jamais ancré dans la pensée des Casbadjis qui ont vécu dans leur chair ce funeste mardi 8 octobre 1957, un martyrologe de résistance jusque-là inédit. Mardi 8 Octobre 1957 : Une nuit horrible de supplice et d'apocalypse à la Casbah d'Alger En ce jour, l'histoire a tenu à démontrer à la face du monde entier une œuvre unique de courage et de gloire accomplie par ces héros de légende. Cernés pendant plus d'une journée par un gigantesque arsenal de feu de l'armée d'occupation qui a transformé La Casbah en un vaste camp retranché de meurtres et de torture à huis clos, ces valeureux fidaï sommés de se rendre dans un combat inégal ont autrement réagi dans un sursaut d'orgueil et de dignité. Ceux-ci ont par leur noble attitude avili un ennemi honteusement désemparé par la détermination de ces militants d'exception, de foi, de convictions et d'amour pour l'Algérie. Après les harassantes tentatives menées une journée durant, où se relayaient sans répit toutes les structures des services psychologiques de la soldatesque coloniale et en réponse au dernier ultimatum de reddition lugubrement annoncé par des vociférations amplifiées de porte-voix, nos moudjahidine de l'honneur ont répliqué par le silence de l'abnégation qui a été l'expression de leur choix. Celui du refus de se rendre à l'ennemi à travers une élévation d'âme de supériorité de valeurs humaines, pour rabaisser la lâche bête immonde et la vaincre par l'esprit de sacrifice en une cause juste et sacrée : l'indépendance de l'Algérie ressuscitée d'un séculaire naufrage colonial d'asservissement, d'injustice et de ségrégation. C'est dans ces sinistres conditions de sauvagerie bestiale de l'âge de pierre et de déni d'humanité que l'horreur a surgi dans une apocalypse de fin du monde provoquée par une déflagration explosive dévastatrice froidement actionnée par des soldats criminels de déshonneur et d'humiliation, artisans d'un terrible carnage de nombreuses victimes innocentes, femmes, bébés, vieillards habitants de douérate riveraines à celle où sont tombés nos héros d'éternité, certes broyés et ensevelis sans sépulture, mais auréolés par la divinité du sacrifice pour la patrie et la liberté. Le sacrifice suprême par le don de soi : une offrande de leur vie pour l'amour de l'Algérie et la dignité des générations futures. Ceci n'est point une fiction, mais une réalité d'une leçon particulière qui revêt une symbolique expressive du sacrifice suprême par le don de soi. Elle est également la vérité d'une offrande volontaire des vies de nos inoubliables et valeureux martyrs pour la dignité de la descendance algérienne à libérer du joug colonial au sein de sa patrie souveraine d'essence civilisationnelle dans le concert des nations. Cette lumineuse épopée de l'histoire et de la mémoire a été revisité lors de son 59e anniversaire par une imposante procession de femmes, d'hommes et d'anciens compagnons de lutte des martyrs remémorés en la circonstance dans un recueillement d'intense émotion sur les lieux mêmes de la tragédie érigés au 5, rue des Abderames en musée d'un souvenir ineffable, tant les colonnes, les murs et le «wast adar» (cour) sont parlants dans l'ombre du silence où planera éternellement l'âme des immortels qui reposent désormais dans la grandeur au panthéon de l'histoire et de la mémoire collective. Les vestiges de ce qui est devenu un miroir d'un acte humain d'apothéose s'illustre ainsi en repère mémoriel d'une gloire de sublimité à pérenniser en direction de la jeunesse, des générations montantes et de la postérité universelle. Yacef Saâdi évoque ses compagnons d'armes de la résistance En marge de cette cérémonie d'un pèlerinage de la pensée, Yacef Saâdi le chef de la Zone autonome d'Alger historique, qui n'a pu se déplacer sur les lieux, a tenu à marquer l'événement à travers une conférence au siège de la section de l'Organisation nationale des moudjahidine de La Casbah. Aux côtés d'anciens militants, Youcef Zani, Mahmoud Arbadji, ainsi que de Djouher Akrour, une moudjahida condamnée à mort, l'orateur, du haut de ses 88 ans et qui est aussi un des acteurs privilégiés de la stratégie politico-militaire de la guérilla urbaine à Alger, a magistralement développé ce pan d'histoire dans sa phase implacable de répression féroce exercée par une armée coloniale qui dans une cécité et une déroute politique du gouvernement français de l'époque s'est reconvertie en machine de guerre de terre brûlée et d'anéantissement du peuple algérien. Par la même, il a tenu à mettre en exergue le courage, la motivation et le sacrifice des militantes et militants qui ont bravé ce déluge démentiel de répression en persévérant dans la lutte et le combat libérateur. Manière de rendre hommage par l'évocation à des combattants de notoriété, à l'image de Omar Hamadi, proche compagnon d'actions armées d'Ali la Pointe et d'autres moudjahidine nombreux également cités dans une atmosphère solennelle de ferveur et de recueillement. C'est dans ce contexte qu'il a évoqué dans l'émotion affective le parcours héroïque et de sacrifice d'exemplarité d'Ali la Pointe 28 ans – Hassiba Ben Bouali 19 ans – P'tit Omar 13 ans – Mahmoud Bouhamidi 18 ans – martyrs à la fleur de l'âge et dont les noms illustres incrustés en lettres d'or dans la mémoire collective incarneront ainsi pour la postérité un repère mythologique de la guerre de Libération et des chouhada du devoir. Pour la réappropriation de l'histoire et de la mémoire collective, un legs générationnel à cultiver en direction de la jeunesse. Cette date phare de la résistance a ainsi été commémorée dans la fierté et l'émotion d'une nombreuse assistance où, hélas, la jeunesse n'était pas au rendez-vous, à part quelques rares exceptions où l'un des frères du petit Omar, Boubekeur, présent dans la salle, était accompagné par son chérubin âgé de 12 ans au prénom de Omar ainsi perpétué dans la lignée familiale. Heureux présage dans une symbolique porteuse de réappropriation de la mémoire et de la pensée susceptible d'impulser un déclic pour une massive participation des jeunes lors de la prochaine rencontre du souvenir, Incha Allah. Lounis Aït Aoudia Président de l'association des Amis de la Rampe Louni Arezki-Casbah Email : [email protected]