Retiré de la vie politique depuis quelques années en raison de sa maladie, sa disparition marquera la fin d'une époque, d'une génération qui a forgé dans la douleur une conscience politique patriotique. Il est l'esprit de l'indépendance, la mémoire vivante d'un combat glorieux et l'indomptable combattant pour la démocratie. Une vie pour la liberté. Il est l'homme de l'idéal national. Un homme entièrement à part. Jusqu'au bout, il aura été un rempart contre toutes les dérives autoritaires, un barrage politique et moral contre les renoncements. Le leader historique, Hocine Aït Ahmed, est décédé hier à Lausanne, en Suisse, à l'âge de 89 ans. Dernière grande figure historique de la Révolution algérienne, lui qui n'aimait pas qu'on lui colle le titre de «héros national» aura incarné, durant toute une vie militante, une Algérie combattante et héroïque, celle malmenée par l'instauration par la violence d'un ordre autoritaire à l'indépendance. Retiré de la vie politique depuis quelques années en raison de sa maladie, sa disparition marquera la fin d'une époque, d'une génération qui a forgé dans la douleur de la colonisation une conscience politique patriotique, une histoire cherchée de belles victoires et aussi de défaites amères. Sa part active à la prise de conscience nationaliste dès son jeune âge durant les années 1940 l'avait propulsé au-devant de l'effroyable combat indépendantiste. Joignant engagement révolutionnaire et réflexion idéologique, Aït Ahmed était un homme d'action. Théoricien et partisan de la lutte armée au moment où le mouvement national traversait une crise historique, l'enfant de Aïn El Hammam, ex- Michelet, avait le sens de l'histoire et la capacité d'anticipation sur les événements. Lorsqu'il proposait au congrès clandestin de PPA-MTLD, en 1947, la mise en place d'une organisation paramilitaire «L'Organisation Spéciale» pour préparer les militants à la lutte armée, le vieux Messali a vite compris – la mort dans l'âme – que la jeunesse d'Aït Ahmed et ses camarades allaient forcer le destin à une histoire douloureuse. A l'âge de 21 ans, il devient le dirigeant de l'OS, succédant au vaillant militant Mohamed Belouizdad. Ce fut l'étape fondatrice pour la suite du combat national et pour le jeune révolutionnaire dont le rôle était décisif dans le déclenchement et le triomphe du combat indépendantiste. Mouloud Hamrouche, qui avait côtoyé l'homme de Bandung, a eu raison de dire que le «parcours d'Aït Ahmed se confond avec la naissance de l'Algérie». Sans relâche, il a été de tous les combats pour de nobles causes, au service d'un pays martyrisé et d'un peuple trahi. Son destin ne diffère pas de celui des héros qui ont fait l'histoire dans le monde. Militant révolutionnaire qui a connu les prisons coloniales aux côtés des Boudiaf, Ben Bella, Khider, Bitat, il a vécu pleinement les conflits au sein du mouvement de libération nationale, partisan de Abane Ramdane et des résolutions du Congrès de la Soummam. A l'indépendance, il se range du côté de la légitimité du Gouvernement provisoire contre les putschistes d'Oujda, signant sa rupture avec le nouvel ordre et sans capituler. Il rentre en dissidence et prend la tête d'une rébellion armée contre le régime du duo Ben Bella- Boumediène. Ce fut le début d'un second combat, celui de la démocratie et des libertés. Un combat qui le mène en prison, puis à l'exil trois ans seulement après le recouvrement de la souveraineté nationale. C'était le terrible destin des pères fondateurs. Certains lâchement assassinés, d'autres emprisonnés ou exilés dans une Algérie qu'ils ont pourtant libérée du joug colonial. Légendaire opposant au régime, le dernier «fils de la Toussaint» a été un modèle de militance, d'engagement sincère pour un idéal pendant que beaucoup cédaient aux sirènes du pouvoir. Homme d'ouverture, de réconciliation et de paix, le chef historique du Front des forces socialistes n'a jamais tourné le dos à l'Algérie. Quand le pays a été précipité dans le bain de sang des années 1990, il avait déployé tout son courage, son intelligence, sa pédagogie pour sauver l'Algérie du naufrage. L'assassinat de son compagnon historique, Mohamed Boudiaf, en juin 1992, l'a contraint une seconde fois à l'exil, mais sans tourner le dos à son pays. Il s'est fortement impliqué dans la recherche d'une solution à la crise inextricable dans laquelle se débattait l'Algérie. Ses positions ont longtemps divisé l'opinion. Aux côtés de Abdelhamid Mehri, il a essuyé des attaques les plus assassines. Mais l'homme avec une hauteur que l'on ne trouve que chez les grands de l'histoire n'a jamais cédé. Sa rectitude morale, son engagement sans faille pour la démocratie et les droits de l'homme ont fait de lui un modèle pour les nouvelles générations qui le célèbrent aujourd'hui. «Son défaut et peut-être sa qualité est d'être trop collé à ses principes», témoigne Djamel Zenati qui a été son directeur de la campagne présidentielle de 1999 et conseiller politique durant des années. Sa disparition nous rappelle combien de sacrifices ont été consentis pour que vive une Algérie indépendante et libre, mais également les tourments, les échecs, et les blessures d'une nation. Aït Ahmed portait l'Algérie dans son cœur, une Algérie digne des sacrifices des pères fondateurs, une Algérie libre et démocratique, pas celle des privilèges et d'une minorité riche contre une majorité écrasée. Certes, Hocine Aït Ahmed est parti sans voir se réaliser une Algérie rêvée par ses compagnons d'armes, mais il laissera un héritage de fierté, de dignité, de courage politique et d'un patriotisme sans faille. L'éditorialiste Saïd Djaffer qui a connu Aït Ahmed a cette belle phrase pour rendre hommage à Da l'Hocine : «Il ira tranquillement au paradis des révolutionnaires.»