Son vœu n'a pas été exaucé. Son père était plus que centenaire et il m'a avoué un jour qu'il vivrait autant, sinon plus. Tahar a tiré sa révérence hier, en fêtant son 90e anniversaire. Avec son humour corrosif et sa voix rauque et lasse, il avait lancé sans rire, lors d'un entretien qui nous a réunis il a y 7 ans : «Je suis au regret de vous dire qu'il ne reste plus que deux vieux communistes dans le monde, Castro et moi.» C'est dit sur un ton sérieux mais de franche rigolade. Avec lui, c'est comme ça, les boutades succèdent aux anecdotes. Tahar est de ceux pour qui il n'y a pas une histoire, un métier d'historien, mais des métiers, des histoires, une somme de curiosités, des points de vue. Réputé pour avoir la gâchette facile, ceux qu'il ne porte pas dans son cœur passent à la moulinette, broyés par des critiques acerbes. Fouad Negm, le poète populaire du Caire, l'avait qualifié d'«empereur de la discorde». Tahar parlait souvent de son père, Brahim, qui lui a refilé quelques comportements : «Chef de caravane, tout le temps en partance, il faisait commerce de produits prohibés et fabriquait même des armes. C'était un hors-la-loi, un rebelle, mais un bandit au grand cœur.» A 9 ans, Tahar était analphabète. Son frère Ali le soumet aux aux études coraniques, puis l'emmène à la fameuse Zitouna de Tunis. En 1950, il est déjà imprégné des choses politiques et sympathise avec les idées communistes. Il participe à la lutte armée. A l'indépendance, il préfère l'enseignement au poste de cadi qui lui était proposé à Oued Fodda. Son aventure avec les médias sera riche. Ses émissions à la télé seront axées sur les luttes des classes ouvrières. Puis il change de cap pour réaliser des documentaires sur la civilisation musulmane. Tahar voyage en URSS, puis en Afrique. Un jour, dans un bistrot à Alger, Tahar commanda une normale, mais le serveur nouvellement recruté n'avait pas compris. Alors, fou furieux, Tahar émit cette réflexion : «Il n' y a que la bière qui est normale dans ce pays et tu feins de l'ignorer.» Le serveur est resté coi, mais cette remarque a été répercutée en haut lieu. «Un jour, Boumediène m'en fit part, j'ai maintenu ce que j'ai dit, mais le Président ne m'a pas tenu rigueur sachant que j'étais l'un des rares à critiquer, dès 1962, Ben Bella.» Il a été fait appel à Tahar pour siéger au CNT en 1994, mais il a refusé. Né au printemps 1925 à Guemmar, près d'El Oued, Tahar a été historien, chercheur, journaliste, mais surtout provocateur, ce qui lui a valu beaucoup d'inimitiés. Repose en paix, Tahar …