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Le condamné pour "exercice de la poésie"
AHMED FOUAD NEGM
Publié dans L'Expression le 07 - 12 - 2013

Repose en paix Ahmed Fouad Negm toi qui a essayé d'éclairer notre chemin
«Mon ami, mon frère, si toi tu ne brûles pas, si moi je ne brûle pas, qui éclairera la route?» Nazim Hikmet
Décidément cette année 2013 aura vu la disparition de monuments qui, à des degrés divers, ont marqué leur passage sur terre, soit comme dirigeant avec la disparition de Nelson Rohlilahla Mandela soit comme scientifique de haut vol, le prix Nobel de biologie en avril comme François Jacob. Chacun de ces personnages illustre à sa façon la dignité humaine et le sacerdoce d'une vie au service du bien pour la communauté de l'humanité. Je veux dans cette petite réflexion revenir sur la mort, il y a quelques jours d'un chantre de la liberté qui, comme Nelson Mandela, l'a tellement chantée qu'il l'a perdue pendant de longues années de sa vie. Il s'agit justement, de Ahmed Fouad Negm le barde, le poète qui avant son ami Cheikh Imam a bercé les rêves d'une jeunesse «arabe» de l'Atlantique au golfe en chantant la vie, la liberté, la démocratie, l'alternance, bref les belles choses dont rêvent les Arabes.
Qui est Ahmed Fouad Negm?
Ahmed Fouad Negm, né en 1929 dans le nord de l'Egypte, a passé au total 18 années de sa vie derrière les barreaux, incarcéré pour ses poèmes, connu à travers tout le Monde arabe, critiquant ouvertement les dirigeants égyptiens. Cet ambassadeur des pauvres, selon les Nations unies (2007), est connu pour ses poèmes révolutionnaires, surtout après la guerre des Six-Jours en 1967, et pour ses critiques virulentes envers les présidents égyptiens et les chefs arabes, ce qui lui a coûté 18 ans de prison. Mais cela ne l'a pas empêché d'écrire des poèmes, même en prison. Il a travaillé notamment avec son ami Cheikh Imam, chanteur des pauvres. Il est le père de la journaliste, activiste des droits de l'homme et blogueuse égyptienne Nawara Ahmed Fouad Negm. Ce poème, célèbre dans le Monde arabe et ailleurs, composé dans les années 1970, n'a été mis en musique par Cheikh Imam qu'en 1973. Ainsi, il servait d'ouverture à tous les concerts de Cheikh Imam. «Quand le soleil se noie dans une mer de brume, Quand une vague de nuit déferle sur le monde, Quand la vue s'est éteinte dans les yeux et les coeurs, Quand ton chemin se perd comme dans un labyrinthe, Toi qui erres et qui cherches et qui comprends, Tu n'as plus d'autre guide que les yeux des mots.»
L. Graba du journal El Moudjahid résume assez bien l'itinéraire de cette icône de la poésie arabe mais aussi du combat pour la liberté: «Le pays des pharaons, écrit-il, considéré comme l'une des plus prestigieuses et anciennes civilisations du monde, perd en la voix de son poète, Ahmed Fouad Nadjm, le plus représentatif de son âme populaire, une sommité de la poésie engagée qui a dû batailler avec sa plume au service des couches sociales les plus défavorisées en élevant son cri de douleur et de réprobation en faveur des inégalités provoquées par le pouvoir et de certains chefs arabes prônant le diktat sur toutes les libertés humaines. Plus tard, sa fille Nawara Ahmed Fouad Nadjm, à laquelle il transmettra son fervent esprit de dissidence, suit l'exemple du combat que menait son père puisqu'elle est considérée aujourd'hui comme l'une des journalistes acharnées qui militent pour les droits de l'homme. Ce poème, célèbre dans le monde et ailleurs, composé dans les années 1970, n'a été mis en musique par cheikh Imam qu'en 1973. Il servait d'ouverture à tous ses concerts, il parle de l'honneur des poètes vivants parmi leurs peuples et à l'écoute de leurs exigences de progrès et de paix dans un espoir qui, quels que soient les obstacles ne peut plus se taire.
A sa sortie de prison dans les années 1980, Nadjm sera accueilli par l'Algérie où il a vécu de nombreuses années aux côtés de son compagnon de lutte cheikh Imam avant la disparition de ce dernier en 1995. Le poète, qui a contribué récemment à la création des deux partis d'opposition aux Frères musulmans en Egypte (El Ahrar et Eddoustour), était également connu pour ses positions contre les régimes de Hosni Moubarak (1981-2011) et de Mohamed Morsi (2012-2013).» (1)
Dans une contribution parue sur Le Monde diplomatique, avec des mots justes, avec des mots simples, Ahmed Fouad Negm raconte ses maux. «C'est un cri d'affamé que nous allons étouffer par indigestion», disait déjà M. Mohamed Hassanein Heykal à Nasser au sujet des poèmes de Fouad Negm. Nous donnons la parole à Ahmed Fouad Negm pour nous décrire son utopie d'un monde de liberté: «J'ai souvent été emprisonné, mais c'est la première fois qu'un jugement est prononcé contre moi par un tribunal militaire.»
Pour la première fois dans l'histoire de l'Egypte et du Monde arabe, un poète comparaît devant une juridiction militaire sous l'inculpation d'«exercice de la poésie».
Le poète raconté par lui-même
Avant, il était courant qu'on me jette en prison pour une période indéterminée, sans jamais être traduit en justice. A l'époque, ils avaient un peu de pudeur car il leur était difficile de reconnaître qu'ils condamnaient un poète pour de la poésie; mais maintenant, comme l'a écrit un journal, «on a saisi de la poésie chez le poète» comme si c'était de l'opium ou du haschisch.(...)» (2)
«En Egypte, les gens qui détiennent les moyens d'information et de diffusion ne font qu'exprimer l'opinion de... Sadate, de... Bégin, de... l'administration américaine et de tout ce qui tourne autour...) Mais les voix intègres, elles, sont muselées. L'art, la littérature et les choses de l'esprit sont frappés de stérilité. C'est le règne de l'insignifiance et de la vulgarité, que ce soit au cinéma, à la télévision, au théâtre ou dans les journaux. Il y a un abaissement général à tous les niveaux, étant donné que se voient systématiquement exclus ceux-là même qui sont pour l'«accord de paix» mais à qui il arrive de s'exprimer autrement que par des platitudes. La parole est une arme; elle est parfois le signe que l'on agrafe sur la poitrine d'un ami, le présent qu'on lui offre; elle est parfois le poignard pour frapper un ennemi; elle peut être aussi la savate qu'on utilise, lorsque l'on est en relation avec des gens juste dignes de mépris. La parole est la chose la plus sacrée et je la respecte. Je la chéris sans compromis. J'en paie le prix de ma personne et ne peux pas marchander avec elle.» (2)
Ahmed Fouad Negm et tant d'autres élites accueillis dans l'Algérie d'alors
Je fais partie de cette jeunesse qui, dans les années 1960 et 1970 a eu l'immense privilège de baigner dans cette Algérie «Mecque des révolutionnaires», véritable bouillon de cultures qui n'a naturellement rien à voir avec la pauvreté des chansons actuelles ou avec les trémoussements payés à prix d'or pour bercer l'imaginaire des Algériens et leur faire oublier leur condition, et sa malvie. C'était l'époque où l'on pouvait croiser à Alger Nelson Mandela et d'autres révolutionnaires africains tels que Amilcar Cabral, Samora Matchel, des révolutionnaires de gauche européens, des exilés chiliens, après le coup d'Etat contre Allende. C'était l'époque où Che Guevara venait souvent à Alger. C'est d'ailleurs à partir de son discours d'Alger qu'il coupa «idéologiquement» avec le communisme à la soviétique et avec Castro, et partit se battre en ouvrant un autre front pour la liberté dans les maquis de Bolivie où il trouva la mort en octobre 1967.
«Sans nostalgie aucune écrit Amine Zaoui qui nous décrit ces temps bénits des années 1960 et 1970, mais...! Ils étaient nombreux, écrivains, dramaturges et universitaires, les plus éminents créateurs du Monde arabe, qui, un jour, ont atterri sur le sol algérien. Cela s'est produit dans les années soixante-dix! Les années de liesse! Venant des quatre coins du monde, dans leurs imaginaires créatifs, l'image de l'Algérie grande était associée à celle de Dib, de Moufdi Zakariya, de Mouloud Mammeri, de Malek Haddad ou encore à celle d'Abdelkader Alloula, de Kaki ou de Lakhdar Hamina. Elle était aussi assemblée à celle de Djamila Bouhired symbole éternel de la liberté, héroïne de la résistance et qui a fortement nourri l'imagination créative des célèbres poètes arabes: Nizar Kabbani, Sayyab, el-Jawahiry, Abdelwahab Bayati ou encore le cinéaste Youssef Chahine.» (3)
«Cette Algérie, poursuit Amine Zaoui, soeur jumelle de la liberté, fascinait les écrivains libres. Elle charmait ceux qui défendaient la cause de la libération des peuples. Les noms les plus connus, les plus respectés, en littérature ou en théâtre, ont séjourné dans notre pays. Y a-t-il quelqu'un, aujourd'hui, qui se rappelle du romancier palestinien Afnane El-Kacem, qui a passé une dizaine d'années à Bordj Bou-Arréridj? Qui parmi nous se souvient du poète syrien Chawki Baghdadi ou encore de Djili Abderrahmane, le poète soudanais le plus moderniste, ou encore de l'Irakien Saâdi Youcef... et d'autres? Mais parmi cette présence intellectuelle remarquable d'écrivains arabes libres et modernes, la scène culturelle et littéraire a conservé davantage deux noms:
1- D'abord le romancier syrien le plus polémique Haydar Haydar, auteur de Walima li aâchab al-bahr (Nachid al mawt) «Festin pour les herbes de la mer (le chant de la mort)» édition Dâr Amwâj, 1988 Beyrouth. Ce roman a été interdit par les censeurs d'el-Azhar. Ecrit en Algérie, à Annaba où l'écrivain a séjourné au début des années 1970, le texte retrace une tranche de l'histoire de notre pays. Il décrit aussi avec brio cette ambiance intellectuelle féconde qu'a vécue l'Algérie de cette période d'or. L'Algérie culturellement hospitalière et engagée.»(3)
«Ahmed Fouad Najm, poursuit Amine Zaoui, fuyant la répression du régime d'Anouar Al-Sadat, accompagné de son camarade le musicien Cheikh Imam, débarqua dans notre pays. Accueilli par les étudiants, ses poèmes engagés, pleins d'humour politique, étaient sur toutes les langues. Installé à Alger, le premier souhait d'Ahmed Fouad Najm était de rencontrer Kateb Yacine. Une fois la rencontre réalisée, bien que les deux écrivains parlent deux langues différentes, où l'un ne comprenait pas l'autre, les deux artistes ont passé une nuit en débat, fraternité et compréhension. Mais pourquoi est-ce que, aujourd'hui, aucun écrivain libre ne s'intéresse à l'Algérie? Pourquoi est-ce que l'Algérie n'attire plus les écrivains de la trempe d'Ahmed Fouad Najm, de Saâdi Youcef ou de Haidar Haidar? Je suis triste.» (3) Nous aussi. René Naba a à sa façon traduit pour la jeunesse arabe, le sacerdoce pour la liberté du duo Ahmed Fouad Negm et Cheikh Imam. Nous l'écoutons: «Le tandem magique de la contestation arabe, ce furent eux. Les pourfendeurs des puissants et des plus puissants, c'est encore eux. Les duettistes les plus corrosifs, les plus mobilisateurs de la jeunesse arabe de la seconde moitié du vingtième siècle, c'est également eux. Eux dont la production a scandé les marches de protestation du monde arabe de Beyrouth au Caire, de Khartoum à Rabat, d'Alger à Sanaa. (...) Pour l'exaltation du sacrifice suprême personnifié dans la mort au combat de leur idole absolue, Ernesto Che Guevara dans le maquis de Bolivie, en 1967. «Guevara Mat» résonne encore dans la mémoire des foules, incontournable oraison funèbre de tous les combattants tués l'arme à la main.(...) Poète égyptien engagé, Ahmed Fouad Najm traduira en vers les blessures et les humiliations du petit peuple, les dérives et les errements politiques des sociétés arabes. Sa poésie, portée par le luth et la voix de Cheikh Imam, est entrée dans les prisons, les cafés et les amphithéâtres. Apprise par coeur répétée et amplifiée, elle fut un baume dans la grande détresse des années 1970 pour une jeunesse brimée et désorientée.» (4)
Le dernier combat du poète
Lors de la révolution de la place Tahrir en 2012, le poète acclamé a vu ses chansons chantées en coeur. Pour moi dit-il «Je tire mon inspiration du peuple égyptien Le marchand chante, le peuple chante. Toute cette fourmilière qui a construit les pyramides et creusé le canal de Suez ne chante pas le 25 janvier c'est le deuxième épisode de la révolution de 1919»
«À quoi ont servi les morts écrit Heger Charif? À quoi a servi la révolution? Au plus fort de la révolution de la place Tahrir le grand poète égyptien révolutionnaire, Ahmed Fouad Najm (82 ans) risque la prison. Il fut accusé par la justice égyptienne d'atteinte à l'islam lors d'interventions télévisées. Il est également accusé de vouloir détourner les soldats des commandements du maréchal Tantaoui, suite à ses critiques à l'égard du régime militaire. Ami de Pablo Neruda et de Che Guevara, Najm a pris l'initiative en 2011 de rassembler un million de signatures afin de supprimer la mention de la religion des documents officiels; mention dont sont victimes les non-musulmans en Egypte. Il a été nommé ambassadeur des pauvres par les Nations unies en 2007. Les poèmes de Najm et la musique du Cheikh Imam ont éveillé des millions de consciences de jeunes Arabes qui avaient soif de liberté, de démocratie et de justice. Tous les étudiants arabes rebelles ont chanté et chantent encore Ahmed Fouad Najm et Cheikh Imam.»(5)
Nous partageons avec l'Egypte l'amour du beau, du noble et à bien des égards en dehors de l'instrumentalisation des pouvoirs des aspirations primaires de la jeunesse comme nous l'avons vu dans la malheureuse affaire du soporifique du football- les peuples algérien et égyptien sont victimes à des degrés divers des mêmes avanies. «Il ne faut pas rentrer lit-on sur Algérie focus, dans le jeu...Le peuple qui a enfanté des Taha Hussein, Djamel Abdennasser, Cheikh el Imam, Ahmed Fouad Nedjm, le général Saâd Eddine Chazli, Henri Curiel, Youcef Chahine et autres Neguib Mahfoud, ne peut être notre ennemi. Les Algériens doivent savoir que d'illustres voix égyptiennes se sont élevées contre la campagne anti-algérienne du régime Moubarak. Elles furent étouffées. Ce sont elles qui expriment le sentiment profond du grand peuple égyptien et qui doivent nous éviter de tomber dans la haine à l'égard de ce peuple.» (6)
Je laisse le lecteur savourer cette vidéo-entretien avec Fouad Negm, le poème suivant y est chanté:«Pour sa pensée on le jette en prison et il n'a plus d'amis. Tant que notre pays est un pays de muets c'est le menteur qui gagne. Mais O! Masr viendra le jour du réveil où l'on reconnaîtra l'oppresseur de l'Oppressé.» (7)
Repose en paix Ahmed Fouad Negm toi qui a essayé d'éclairer notre chemin, toi qui n'a jamais pensé te présenter aux élections...! Que la Terre te soit légère!
1. L. Grabahttp://www.elmoudjahid.com/fr/ actualites/50567
2. Ahmed Fouad Negm, «Un cri d'affamé». Le Monde diplomatique juillet 1981
3. Amine Zaoui http://www.liberte-algerie.com/culture/entre-kateb-yacine-et-ahmed-fouad-najm-souffles-183813
4. René Naba http://www.mondialisation.ca/ima-hommage-a-ahmad-fouad-najm-le-contestataire-inoxydable/5360344
5.Heger Charif http://blogs.mediapart.fr/ blog/hejer-charf/220312/le-poete-ahmed-fouad-najm-accuse-datteinte-lislam 22 mars 2012
6. http://www.algerie-focus.com/blog/2009 /12/algerie-egypte-de-quelques-lecons-politiques-dune-competition-de-football/ #sthash.GMHMpKfE.dpuf
7. http://www.youtube.com/watch?v=ojd2xcxWoTw&list=TLlZ_gR0JVb0LZjmnTpgTI7tTJQEZPdhF0


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