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Révision constitutionnelle et questionnements
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Publié dans El Watan le 09 - 01 - 2016

Par les temps qui courent, une polémique semble couver sur la voie référendaire ou parlementaire que compte suivre le président de la République pour faire adopter les amendements qu'il entend apporter à la Constitution.
Un tel questionnement n'a pas lieu d'être car la matière est réglée par la procédure des articles 174 et suivants, soumettant toute réforme de la loi fondamentale au suffrage du peuple, qu'elle soit initiée par le Président ou organisée par le Parlement. En revanche, et il n'est jamais assez de le souligner, c'est la crédibilité même du scrutin qui devrait normalement poser problème en raison du taux d'abstention élevé des citoyens aux diverses consultations électorales.
I - un questionnement qui n'a pas lieu d'être La révision de la Constitution est toujours tributaire du suffrage du peuple, qu'elle s'exerce dans le cadre procédural constitutionnel classique ou de celui du recours direct au référendum .
1- la procédure classique prévue par la constitution
La procédure est des plus classiques. L'initiative présidentielle prend la forme d'un projet de loi soumis directement au Parlement, sans discussion en Conseil de ministres ni immixtion du gouvernement, dont le rôle consiste à accompagner la démarche du chef de l'Etat en l'inscrivant à l'ordre du jour de l'APN et en assurant le soutien lors de sa discussion solennelle en séance publique et adoption. La révision deviendra effective après son approbation en termes identiques par le Conseil de la nation et sa ratification populaire dans un délai de cinquante jours. Cependant, ce recours au peuple n'est pas systématique, le Président peut en faire l'économie en promulguant directement le texte, à l'impérative condition qu'il soit adopté par au moins les trois quarts des députés et les sénateurs réunis en congrès et recueilli l'avis favorable du Conseil constitutionnel quant à sa conformité aux principes régissant la société algérienne, aux droits et libertés de l'homme et du citoyen et aux équilibres fondamentaux des pouvoirs.
En fait et à l'analyse, ces préventions n'ont aucune raison d'être car elles font redondance avec les énonciations de l'article 178 qui interdit toute révision constitutionnelle pouvant porter atteinte à l'unité du peuple, à l'intégrité du territoire, au caractère républicain de l'Etat, à l'ordre démocratique basé sur le multipartisme, à l'islam, religion d'Etat, et à l'arabe comme langue nationale et officielle, lesquelles constituent par définition l'essence même des principes évoqués.
La deuxième modalité constituée par la révision organisée par le Parlement au sens de l'article 177 obéit par contre à des conditions plus rigoureuses. Elle implique une proposition de loi votée par les trois quarts des membres des deux chambres du Parlement siégeant en congrès, approuvée par le président de la République et ratifiée au suffrage universel. Pour la remarque, cette situation ne s'est jamais présentée, car à ce jour aucune révision n'a été initiée à partir d'une proposition parlementaire. La raison essentielle est que le système présidentiel veut que le Président, gardien de la Constitution, est seul en droit d'initier la réforme de la loi fondamentale en sa double qualité d'incarnation de l'Etat et de la nation.
2- Le recours au référendum
Le pouvoir constituant appartient au peuple et qu'en vertu de l'article 8 de la Constitution, le président de la République peut directement le saisir par voie référendaire sur toute question d'importance nationale. Ce recours au suffrage universel, indemne de toute procédure préalable, procède d'une prérogative souveraine que le chef de l'Etat exerce sans autres formalités que celles résultant des conditions et modalités requises habituellement pour toute opération électorale.
Sans remonter aux années de plomb, plusieurs référendums ont été organisés depuis l'avènement de la Constitution de 1988, une première en 1996 pour réformer la Constitution, une seconde en 1999 pour approuver la Charte d'entente nationale. Toutes ces consultations se sont soldées par une victoire massive du «oui» et que dans tous les cas le référendum a parfaitement rempli son rôle puisqu'il permit le retour de la paix civile avec la reddition de la quasi-totalité des groupes terroristes disséminés à travers le territoire national.
On en conclut donc à l'issue de cette première partie de l'exposé que l'initiative de la révision constitutionnelle est toujours décidée par le chef de l'Etat, résulte de sa propre initiative ou d'une proposition parlementaire et que dans les tous cas le texte doit obligatoirement être ratifié par le peuple. En foi de quoi la controverse n'a pas lieu d'être, car le véritable questionnement concerne la participation active des citoyens qui donne au scrutin sa véritable crédibilité.
II le véritable questionnement qui a lieu d'être
Selon l'article 3 de la Constitution, la souveraineté appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. La voie référendaire est celle qui est prisée, semble-t-il, par la gent politique, bien qu'elle soit, potentiellement, celle sur laquelle pèsent les plus grandes réserves à cause de son instrumentation politique et surtout du phénomène de l'abstentionnisme qui fausse la crédibilité du suffrage et entame la légitimité des élus.
1- L'abstentionnisme
L'appel au suffrage du peuple comme procédé d'expression directe de la souveraineté populaire pour faire adopter un dispositif constitutionnel est rarement neutre. Le peuple adhère partiellement et l'abstention qui en résulte n'est pas toujours d'essence politique, mais trouve source souvent dans l'indifférence des citoyens à l'endroit de la chose publique et paradoxalement dans le caractère non obligatoire du vote. Dans les conditions socio-politiques exécrables qui furent et sont actuellement celles de la masse des Algériens, une proportion non négligeable de citoyens désertent les bureaux de vote, car faute d'instruction civique ils sont incapables de se prononcer correctement sur des questions aussi pointues que celles relatives à l'organisation et le fonctionnement des institutions.
Non seulement ils ne peuvent juger de leur valeur, et quand ils peuvent en saisir la pertinence ils le font sous la pression conjuguée des consignes partisanes et de l'influence de la propagande officielle. Et pour cause, tous les observateurs soutiennent que la plupart des révisions constitutionnelles passées approuvées par référendum étaient d'une complexité telle que seuls les initiés peuvent prétendre en peser les conséquences. Plus encore et de surcroît, le citoyen est sommé de répondre par un «oui» ou par un «non» à un ensemble d'amendements, ni totalement bons ni totalement mauvais, contenus dans un texte concocté en haut lieu par des professionnels initiés agissant souvent sur commande.
Talleyrand disait fort astucieusement que les «oui» et «non» sont les mots les plus courts, les plus faciles à prononcer et ceux qui demandent le plus d'examen. Ce désintérêt constant qui s'empare du corps électoral depuis quelque temps surgit aussi d'une sorte de lassitude en raison de la répétition trop fréquente de scrutins à caractère souvent fragmentaire et routinier qui réduit à néant la volonté de l'électeur et l'enfonce dans les travers de la passivité, la désinvolture.
Ce désintéressement exempt de toute signification politique se renforce parfois d'un défaut d'intégration sociale chez les groupes des désœuvrés et des mal lotis qui répugnent à choisir entre les hommes et les programmes en compétition qu'ils estiment aléatoires et inintéressants. Et puis, enfin il y a par le caractère non obligatoire du vote qui est un droit civique que les citoyens sont en droit d'accomplir ou de s'abstenir sans risquer la moindre sanction ou reproche. Son caractère strictement facultatif fait que les citoyens s'y prêtent difficilement car ils n'appréhendent pas comme aux temps anciens la poigne des pouvoirs publics, qui pourrait toujours se retourner contre eux quand il s'agit de solliciter le moindre service.
Pendant toute la période héroïque du parti unique, la carte de vote poinçonnée aux entournures constituait pour toute une catégorie d'Algériens moyens le sauf-conduit nécessaire leur permettant de pénétrer les arcanes.
Tous ces facteurs réunis font que moins de la moitié seulement des électeurs inscrits participe aux différentes consultations législatives et présidentielle, si bien qu'il n'est pas exagéré de dire qu'un nombre appréciable des membres composant les différentes institutions sont élus avec un fort taux d'abstention avec, en prime, une légitimité équivoque.
2- la légitimité des élus
La Constitution algérienne en son article 13 élit la légitimité a côté de la légalité comme critère du gouvernement démocratique, en érigeant comme devise de l'Etat : «Par le peuple et pour le peuple». La formule célèbre prononcée par le président des Etats-Unis, Abraham Lincoln, en 1860, après la bataille de Gettysburg et adoptée depuis par la plupart des Etats définit la démocratie comme le système où le peuple détient et exerce le pouvoir. Elle exprime en particulier la relation exemplaire qui doit exister entre le peuple et ses représentants en induisant le principe du gouvernement légitime celui qui réunit l'assentiment général de la population. Pour ce seul motif, il ne serait peut-être pas présomptueux d'envisager sérieusement l'instauration pure et simple du vote obligatoire pour donner un minimum de crédibilité aux institutions.
Ce système qui existe notamment en Belgique, en Autriche et dans certains cantons suisses et länders allemands procède de la théorie de l'électorat-fonction, selon laquelle le vote est une fonction que la nation confie à ses citoyens qui doivent l'exercer sous peine d'infraction à la loi. Des peines, notamment pécuniaires, sont prévues. La formule peut être aisément consacrée par notre loi électorale et ce n'en serait que justice, car si on exige tout de l'Etat nourricier, il faut bien qu'en retour s'accomplisse envers lui la plus fondamentale des obligations citoyennes qui engage l'avenir de la nation. On peut toujours pérorer sur l'atteinte aux libertés individuelles de faire ou de pas ne faire ou gloser sur le droit élémentaire des gens, il restera toujours que la liberté n'est jamais celle de tout faire ou de ne rien faire. Le volumineux dossier exigé par la bureaucratie dominatrice pour la délivrance de la moindre pièce administrative peut bien s'enorgueillir d'une pièce supplémentaire attestant de l'accomplissement du plus fondamental des devoirs.
Le slogan de l'Etat du peuple sert aujourd'hui de plus en plus l'alibi des élites réactionnaires et des puissances de l'argent qui s'abritent derrière les travers commodes de la volonté générale pour investir le champ politique, ne laissant à la masse que peu de possibilité pour peser davantage sur les destinées du pays. C'est pourquoi cette même masse doit se distraire des modes d'expression dépassés pour lutter efficacement contre la démission civique.
Conclusion
La leçon à tirer utilement de la problématique de la révision est que s'il est un fait que la Constitution proclame le fondement démocratique du pouvoir, l'affirmation resterait placide aussi longtemps qu'elle ne recouvre pas la forme d'un mode opératoire définissant avec la précision de l'aiguille d'une montre les cas limites du recours au Parlement en tant d'expression de la volonté nationale et ceux d'un appel direct au peuple en tant que dépositaire originaire du pouvoir constituant. Une telle solution aura le privilège de situer les compétences respectives et supprimera d'un trait tous les questionnements actuels. Et comme disait la citation latine : «Fais ce que doit et advienne que pourra».

Amar Benguerrah : Magistrat à la retraite,
ex-membre du Conseil
constitutionnel


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