Attentats antimaghrébins en Corse, discussions sur la notion de discrimination positive, réquisitoires sur les inégalités : la France n'est décidément pas à l'aise avec ses immigrés même si un Français sur trois compte dans son arbre généalogique un ancêtre d'origine étrangère. C'est dans ce contexte que commence à s'installer la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, créée par un décret publié samedi au Journal officiel, pour une ouverture au public en 2007. Selon le décret, cette institution “contribue ainsi à la reconnaissance des parcours d'intégration des populations immigrées dans la société française”. D'ores et déjà, le public peut parcourir, en avant-première, l'ébauche de la future exposition permanente du musée, qui retracera deux siècles d'histoire de l'immigration en France, sur le site internet. La Cité de l'immigration, qui a statut de musée national, a mis des années à voir le jour. Evoqué à plusieurs reprises depuis plus de dix ans, envisagé par Lionel Jospin, promis par le candidat Chirac en 2002, le projet a été concrétisé en juillet par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin, qui a annoncé sa création sur son site même, dont le choix a été longtemps discuté. La cité aura son siège au palais de la Porte Dorée. L'Agence pour le développement des relations interculturelles (Adri), centre de ressources sur l'intégration des immigrés, créé en 1998, qui a concocté le projet, s'y installera aussi, avec un fonds documentaire déjà riche. Premier musée national créé sans collection préexistante, la Cité a deux ans pour s'enrichir de documents d'archives écrites, audio et vidéo, d'objets emblématiques de la vie quotidienne, d'œuvres d'art également et pour installer l'exposition permanente. Pour l'instant, un film d'une demi-heure raconte déjà l'histoire de l'immigration en France de 1820 à nos jours, de l'arrivée des premiers Allemands aux foyers de Maliens actuels, avec plus de 130 illustrations et des extraits de documents vidéo prêtés par l'Institut national de l'audiovisuel (Ina). Plusieurs dossiers thématiques sont déjà consultables, sur Les juifs d'Europe centrale et orientale, les indigénophiles, ces Français qui, dans les années 1920, sont passés du racisme dû à l'ignorance à un paternalisme excessif. Les derniers dossiers portent sur l'islam de France et les foyers d'immigrés. Le site va s'enrichir de portraits d'immigrés, permettant une approche plus intimiste, avec photos de famille, souvenirs, anecdotes. À l'occasion de cet évènement, l'historien Gérard Noiriel, qui a participé à la création de la Cité, publie un ouvrage qui retrace au travers de 450 photographies en noir et blanc, un siècle d'histoires mêlées de la France et de ses immigrés. Gens d'ici venus d'ailleurs (éditions du Chêne) nous apprend notamment qu'un Français sur trois compte dans son arbre généalogique un ancêtre d'origine étrangère. En Europe, rapporte Gérard Noiriel, aucun autre pays n'a vu sa population renouvelée dans de telles proportions depuis le XIXe siècle. Pourtant, dit-il aussi, à la différence des Américains, qui accordent une place essentielle à l'immigration dans leur mémoire collective, elle n'est pas encore considérée en France “comme un aspect légitime de l'histoire nationale”. La création de la Cité nationale de l'histoire de l'immigration, Porte Dorée à Paris (XIIe), devrait pallier ce manque. “Réinscrire l'immigration dans le patrimoine collectif, c'est faire comprendre que leur histoire est aussi notre histoire”, écrit l'auteur, qui dédie son livre aux “immigrants”, évitant volontairement le terme “péjoratif” d'immigrés. Y. k.