Dans le cadre du Fonds de solidarité prioritaire (FSP), un projet initié par le gouvernement français dans le cadre de la coopération internationale et mis en œuvre par Expertise France, un séminaire portant sur «La professionnalisation et l'employabilité des jeunes en Méditerranée» a eu lieu les 18 et 19 janvier à Paris. Regroupant les principaux acteurs de la formation et de l'enseignement supérieur de l'Algérie, du Maroc et de la Tunisie d'un côté et les chefs et autres représentant des entreprises de l'autre côté, il a permis de discuter et d'évaluer ensemble les réalisations atteintes dans le cadre du FSP et les moyens à mettre en œuvre à l'avenir pour consolider les passerelles déjà établies entres les deux sphères. Désormais, la problématique de l'emploi, notamment celle des diplômés chômeurs, est au centre des intérêts des deux côtés de la Méditerranée. Stage, mobilité, apprentissage, alternance, professionnalisation des études et employabilité sont autant d'épithètes, de concepts et d'enjeux primordiaux pour les Etats. Le chômage des diplômés est aussi au centre de toutes les politiques. Les raisons sont multiples et les moyens d'y remédier ne peuvent faire l'objet d'un programme propre à chaque Etat. «Aujourd'hui, travailler chacun son propre programme en solo ne peut plus marcher», souligne d'emblée Anne Grillo, directrice de la coopération culturelle, universitaire et de la recherche au ministère français des Affaires étrangères, à l'ouverture du séminaire «Professionnalisation et employabilité des jeunes en Méditerranée» organisé par le MAE français les 18 et 19 janvier à Paris, dans le cadre du projet FSP relatif aux «Compétences professionnelles supérieures» lancé en août 2012 en Algérie, au Maroc et en Tunisie. «On ne peut pas tisser des liens sans oublier toujours cette articulation entre formation et emploi. Pour nous ce projet, en l'occurrence ce FSP, est l'illustration la plus aboutie, cette idée de rapprocher tous les partenaires et créer des cadres intermédiaires techniciens, dont les pays ont besoin, et donner aux jeunes l'envie d'acquérir un savoir-faire, de développer l'esprit d'entreprise, tout cela pour avoir une expérience professionnelle», explique-t-elle. Ce séminaire s'est tenu à un moment tout à fait particulier : les Nations unies ont adopté récemment un agenda universel concernant l'éducation, qui s'inscrit dans un objectif de développement durable. Ainsi, les ensembles régionaux, à l'exemple de la région méditerranéenne, doivent «travailler en collectif et utiliser l'ensemble des outils, l'ensemble des compétences pour relever les défis de l'employabilité de la jeunesse en Méditerranée. C'est aussi l'affaire de tous et non pas l'affaire exclusive des Etats, car ces derniers ont la responsabilité d'impulsion. Les autres acteurs — les ONG, les entreprises, les universités et les instituts de formation doivent s'impliquer». observe Anne Grillo. Et de souligner «le rôle des collectivités locales qui sont d'un apport important pour la réalisation de ces objectifs». Contexte socioéconomique Intervenant lors du séminaire, Jean-Louis Levet, haut responsable à la coopération industrielle et technologique franco-algérienne, a tenté, à travers son intervention, d'analyser et décortiquer le contexte dans lequel évolue l'économie algérienne en s'appuyant sur une approche empirique : «Sur le terrain, j'ai constaté une réelle prise de conscience des entreprises algériennes de l'importance de la formation et un engagement qui ne cesse de croître dans le domaine de la formation professionnelle.» Car les entreprises algériennes sont engagées dans un processus qualité. «Le consommateur algérien est de plus en plus exigent. Donc l'entreprise est en lien avec la demande finale, qui est le consommateur, et doivent répondre à ses exigences en matière de qualité et des normes et s'inscrire ainsi dans une objective de pérennité de l'entreprise», souligne-t-il. Des exigences auxquelles les acteurs économiques doivent adapter une logique de compétence, de qualification et de métier. «Leur portefeuille n'est pas seulement un produit, plutôt des compétences et des qualifications, et ce, afin de leur permettre d'enclencher une démarche qualité puis aller vers la compétitivité». Les préoccupations des entrepreneurs, selon M. Levet, ne se limitent pas uniquement à comment améliorer la qualité du produit, leur souci est aussi de «fidéliser les salariés et de limiter leur mobilité excessive». Ces dernières années, l'entreprise algérienne a connu des mutations et les profils qualifiés sont en constante recherche d'un meilleur environnement de travail. Ainsi, le besoin accru en matière de gestion de la ressource humaine préoccupe les entrepreneurs afin de constituer un capital ou un portefeuille de ressource humaine compétente, qualifiée et compétitive. Cela ne peut se faire avec un système de formation cloisonné et centré sur l'offre. «Les entreprises veulent que le système de formation soit concentré sur la demande. Ce que nous avons mis du temps, en France, à réaliser. Seulement voilà, ce n'est pas parce qu'on a besoin de cinq soudeurs que nous allons former cinq soudeurs. Il faut que le système soit fondé sur une stratégie globale à laquelle souscrit tout le monde selon les spécificités de chaque territoire», observe-t-il. Selon M. Levet, les entrepreneurs algériens ont exprimé le souhait de «se doter d'un outil de veille et de prospective afin notamment de travailler sur les métiers de demain». Pour eux, d'après le conférencier, «les métiers de demain sont aussi ceux de l'artisanat, basé sur le travail d'innovation dans les métiers dits traditionnels, pas seulement ceux liés aux nouvelles technologies». L'enjeu d'accroître la productivité du travail, «défi gigantesque auquel est confrontée l'Algérie», est de «sortir d'une économie centralisée et basée sur la rente pétrolière vers celui d'une économie basée sur l'entrepreneuriat». Pour cela, Jean-Louis Levet préconise de passer des relations d'échanges commerciaux à de la coopération effective, en faisant de la formation un axe majeur sur lequel l'Algérie et la France doivent travailler mutuellement. Institut universitaire de technologie (IUT) En Algérie, le FSP a permis l'ouverture progressive d'un réseau structuré d'instituts de technologie à l'horizon 2016-2017. Ainsi, quatre instituts de technologie — sur sept en cours de création — ont ouvert leurs portes, à savoir ceux de Tiaret, de Bouira, de Ouargla, en collaboration avec des IUT français. Les programmes ont été élaborés, pour la formation en HSE, avec les IUT Lumières et Le Havre, pour celui de GEA avec les IUT de Chambéry et Valence. La demande ne cesse de croître, à croire nos interlocuteurs, notamment de la part des acteurs économiques : «Nous avons, grâce à cette dynamique, reçu plusieurs invitations de la part des entreprises actives dans la région.» Ainsi, l'université de Constantine compte lancer prochainement son IT grâce à l'insistance des entrepreneurs de la région. Amina Mekhelfi, directrice de l'Institut de technologie de l'université de Ouargla (lancé en 2013), indique : «Au départ, les étudiants hésitaient à intégrer notre institut, nous avons alors réfléchi à comment les intéresser, nous avons donc invité des responsables d'entreprise à venir à l'université. Les étudiants ont été séduits par cette approche.» A son lancement, l'institut comptait quelque 176 étudiants. Pour l'enrichissement du cursus pédagogique, l'institut a opté pour une logique d'ouverture de son environnement socioéconomique. Des journées portes ouvertes sont organisées pour permettre ce rapprochement entre la sphère économique et l'université. Les passerelles étant établies, les relations ont évolué jusqu'à devenir un véritable lien de coopération, qui s'est traduit par l'organisation des «journées pédagogiques professionnelles et l'intervention de professionnels lors des cours magistraux», énumère Amina Mekhelfi. Ce qui a apporté aux étudiants de l'institut l'enrichissement de leur cursus pédagogique. Le rapprochement passe ensuite à une autre étape : celle d'offrir aux étudiants des connaissances pratiques de l'environnement économique et la découverte des métiers de l'entreprise. «Des sorties pédagogiques chez l'acteur économique et l'organisation de stages de découverte au profit des étudiants, avec une prise en charge totale des entreprises, ont été réalisées. Sur place des cours magistraux ont été dispensés, en collaboration avec nos équipes pédagogiques.» Dernière étape de cet intense programme : inviter les entreprises à évaluer les compétences des étudiants, une suite logique de ce processus liant les entreprises à l'institut. Un forum étudiants-entreprises, axé sur les métiers de l'entreprise, a été institué «où les responsables étaient invités à évaluer les compétences des étudiants avec l'appui des pédagogues, au côté des experts des IUT français dépêchés dans le cadre de notre coopération. Ainsi, cela nous a permis à nous aussi, lors des conseils scientifiques et pédagogiques, de nous évaluer à notre tour et d'identifier certaines lacunes qu'il faudrait combler. C'est une interaction positive et enrichissante» atteste Amina Mekhelfi. Projet professionnel personnel Sur le plan pédagogique, un nouveau module a été introduit et «fait le bonheur des étudiants», selon la directrice de l'institut. Il s'agit du module «projet professionnel personnel» (PPP). «Nous avons tenté de rassembler et répertorier toutes les compétences des étudiants dans ce module, dans une sorte de base de données, avec l'appui des experts francais, et les résultats sont plus que probants», assure Amina Mekhelfi. Le PPP permet aux étudiants de s'exprimer, de parler d'eux-mêmes, de leur propre expérience et de leur projet futur en fonction des expériences passées et actuelles. Il est même considéré, selon la directrice, comme «le point nodal de tous les autres modules car il permet aux étudiants d'acquérir les compétences et des qualifications». Et d'ajouter : «Au départ les CV des étudiants inscrits étaient dépourvus d'expérience professionnelle et de compétences ; à leur sortie, ils seront enrichis, ce qui permettra leur employabilité, donc leur insertion professionnelle rapide.» Ce qui confirme l'importance de l'implication des entreprises dans la réussite de cette formation. Face à ce succès, l'Institut de technologie de l'université de Ouargla a réduit considérablement le nombre des étudiants pour se consacrer à la qualité des enseignements, leur nombre est ainsi passé de 197 à 90 cette année. En dehors des paramètres de sélection connus, comme la moyenne obtenue au baccalauréat et le choix des étudiants, un entretien-test a été institué pour l'accès à l'institut.