A peine sortie de son impénétrable tour d'ivoire à la faveur de l'ouverture démocratique de la fin des années quatre-vingts, la communauté universitaire algérienne a résolument investi pour une rupture avec les scories de l'ancien monde, mais a vite été rattrapée par son excès d'audace. Premiers ennemis à abattre : les scientifiques algériens ont été décimés par l'effondrement du système d'enseignement bien plus que par les atteintes à leur intégrité propre. Réduits depuis au silence, les membres de la communauté scientifique algérienne demeurent isolés, chacun dans son antre savante, sans véritable immixtion pluridisciplinaire avec leurs pairs ni intervention effective dans le champ social et politique : qui ruminant son aigreur sur sa branche, surperspécialisé mais oisif et sans intérêt pour la communauté, qui subissant en silence la répression d'une nomenklatura de mauvais gestionnaires castrateurs. «La liberté académique est une chose bien sensible pour la céder aux universitaires», semblent avoir tranché les dictateurs qui nous gouvernent. Ainsi donc, de censure en autocensure, notre élite véritable a perdu la voix, cédant la place aux imposteurs et autres «faux professeurs» pédants à la solde d'un système politique corrompu et médiocre, à leur image. Souvent liées à la corporation des médias, les atteintes à la liberté d'expression furent en vérité plus dramatiques à l'égard de l'élite scientifique algérienne : la disparition programmée des revues académiques et des journaux scientifiques en est l'affligeante illustration. La mise à mort des sociétés savantes et le noyautage des conseils scientifiques ne semble point émouvoir outre mesure, mais renseigne assurément sur une volonté tacite de condamner les citoyens les plus avertis — et donc les mieux indiqués à s'exprimer — au silence. D'aucuns se demandent, inquiets si la configuration politique actuelle — résolument antidémocratique et qui semble glisser de plus en plus sous la férule d'une oligarchie tyrannique — n'augure pas de temps encore plus sombres que l'épisode chaotique des années quatre-vingt-dix. Des confins de son désert communicationnel, la communauté universitaire est sommée de briser cette chape de plomb aujourd'hui plus que jamais. Notre élite intellectuelle a tout intérêt à communiquer, à s'exprimer et à renouer avec sa vocation de transmetteur de savoir. Et à défaut d'espaces d'expression, elle a tout intérêt à s'allier avec la presse indépendante. A l'occasion de cette centième édition de notre supplément El Watan-étudiant, notre humble rédaction, qui «exprime son opinion sur tout sans être spécialiste de rien», renouvelle son appel à manifestation à l'ensemble de la communauté scientifique : prenez la parole !