Seule la vague possibilité d'une réaction violente d'extrémistes religieux a suffi pour que le Deutsche Oper annule Idoménée, une œuvre de Mozart. De peur qu'elle ne suscite des réactions parmi les fidèles des grandes religions, notamment des musulmans, Kerstin Harms, directrice du Deutsche Oper, a pris cette décision solitaire, lundi, sans débat avec la troupe de la maison ni le sénateur de l'intérieur à Berlin. Dans l'une des scènes de l'opéra, Idoménée, le roi de Crète, sort d'un sac ensanglanté les têtes du dieu de la mer (Poséidon), de Jésus, de Bouddha et du Prophète Mohammed. C'est ainsi que la direction du Deutsche Oper a décidé de déprogrammer Idoménée. « Il en va de la sécurité du public et des collaborateurs de l'opéra », a déclaré la directrice de l'établissement, un des opéras les plus lyriques de Berlin. Le point de départ a été l'appel anonyme d'une femme à la police nationale allemande avertissant l'opéra. La police régionale de Berlin a toutefois affirmé ne pas avoir été informée de menaces réelles à l'encontre du Deutsche Oper. La décision de Kerstin Harms a cependant suscité un vaste débat sur la liberté d'expression en Allemagne où résident quelque trois millions de musulmans, en grande majorité des Turcs. Comme un nombre de politiciens et d'intellectuels, Hans Neuenfels, le metteur en scène, a reproché à la directrice d'avoir cédé à « l'hystérie ». L'islamologue Michael Kiefer a estimé qu'un tel acte d'autocensure basé sur la peur est dangereux. Sacrifier sans peine la liberté de l'art ferait la cause des islamistes. « On capitule devant des gens qui cherchent le clash des cultures alors qu'il y a des organisations musulmanes qui cherchent le dialogue », a-t-il affirmé. Un représentant de l'office pour la protection de la constitution a estimé que le recul de la directrice de l'opéra représente une invitation aux islamistes de « continuer jusqu'à ce qu'ils aient réalisé leurs idées ». A-t-on trouvé la réaction adéquate dans une telle situation de menace floue ? C'est la question que se posent nombre d'Allemands dans des forums d'internet. « On devrait montrer du respect et de la tolérance envers l'islam, comme d'ailleurs envers toutes les religions », témoigne quelqu'un qui s'appelle Don Gato. « Mais cela exige également que dans un pays comme le nôtre où domine le christianisme ou encore l'athéisme, on ne devrait pas se fayoter. La tolérance ici signifie aussi la tolérance des autres envers notre libre expression », ajoute-t-il. « La raison ordonne le respect envers les religions et donc l'annulation d'une telle mise en scène », estime cependant le signataire Sicro. « Pourquoi Mme Harms aurait intérêt à entrer en polémique avec les musulmans ? Depuis quand est-ce qu'un opéra doit jouer le rôle d'un pionnier dans un conflit politique ou religieux quelconque ? Ce n'est pas sa fonction », conclut-il. « L'Islam a apporté beaucoup de bien au monde », déclare par contre E.B. et il continue : « Cela demande notre respect. La dévotion de beaucoup de musulmans est plus respectable que la foi tiède de pas mal de chrétiens. Mais ce qui me bouleverse, c'est que dans plein de pays musulmans on ne respecte guère la libre pratique d'autres religions. » L'annulation d'Idoménée est arrivée au moment de la première conférence d'Islam en Allemagne instaurée par le ministre de l'Intérieur Wolfgang Schäuble. Tandis que les participants musulmans à cette conférence ont déclaré vouloir aller visiter l'œuvre contestée, le Deutsche Oper examine la reprise d'Idoménée. Mais les discussions n'ont pas encore trouvé de conclusion. Condition basale d'une reprise serait la sécurité garantie pour tous les visiteurs de la pièce, a déclaré hier l'attaché de presse du Deutsche Oper à Berlin.