Abdelkader Djeriou, jeune comédien (32 ans), metteur en scène et concepteur de l'émission «Jornane El Gosto», revendique haut et fort la nécessité de renouer avec le théâtre politique et «engagé», en évitant de tomber dans un discours direct ou de se substituer aux politiques. Son crédo : la satire politique. Dans Delali, comédie théâtrale écrite par Youcef Mila d'après l'œuvre de l'Iranien Bahram Beyzai, Djeriou tourne en dérision des acteurs politiques de premier rang en usant de codes sociaux qui se réfèrent, essentiellement, à la culture raï. - Que signifie pour vous le théâtre engagé ? L'acte théâtral est en lui-même un acte politique, un acte engagé. La réponse la plus évidente est que le théâtre a pour fonction le divertissement. Le public assiste à une représentation théâtrale afin de se distraire, mais si le théâtre peut divertir, il peut également mener à la réflexion. Pour un artiste, ce n'est pas le discours politique qui importe le plus. Nous ne sommes pas dans le discours direct. Le plus important est de susciter la réflexion avec beaucoup de divertissement, beaucoup de profondeur. - La réussite des compagnies et associations de théâtre à Sidi Bel Abbès est due, justement, à leur engagement… Tout à fait. Le théâtre à Sidi Bel Abbès a été porté dans les années 1990 par les associations et compagnies théâtrales qui étaient au cœur des revendications sociales. Aux pires moments du terrorisme, ce sont les compagnies théâtrales qui étaient au devant de la scène. Bien avant, et dans un autre contexte, la troupe de Kateb Yacine, qui a marqué le mouvement théâtral à Sidi Bel Abbès, a été à l'avant-garde de la revendication sociale et identitaire. - Le public s'intéresse-il encore au théâtre engagé ? Contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, le public s'y intéresse beaucoup. Que ce soit avec la pièce Delali ou l'émission Jornane El Gosto, j'ai pu constater un superbe engouement du public, notamment pour la dérision politique. Et, à mon avis, la défection du public constaté dans les théâtres est en partie liée à un manque d'engagement et à la faiblesse des codes utilisés. La génération d'aujourd'hui n'est pas celle des années 1980 ou 1990, elle utilise d'autres codes et perçoit les réalités du pays sous une un autre angle. D'ailleurs, ce n'est pas pour rien que j'utilise un langage puisé du Rai dans la pièce Delali. Le public s'identifie à notre discours et s'y sent proche. - Cet engagement existe-il toujours ? Ce n'est pas évident. Malheureusement, beaucoup de troupes publiques sont tombées dans le piège des commandes de l'Etat : Tlemcen, capitale de l'année islamique, Constantine, capitale de l'année arabe….. Je n'ai rien contre le fait de participer à ce genre de manifestations, mais je revendique, en parallèle, un théâtre qui puisse interpeller le public sur des questions qui le concerne en premier lieu. Mieux encore, je crois qu'il faut renouer avec le théâtre engagé au sein même des théâtres d'Etat et avec l'argent de l'Etat. Toutefois, cette forme de théâtre engagé ne doit se référer qu'aux seules règles artistiques admises et acceptées par les professionnels du 4ème art. Pour moi, le théâtre engagé ne doit tirer ni vers la gauche ni vers la droite, mais toujours vers le haut.